L’état d’urgence n’est pas nécessaire

Amnesty International France rend compte de sa récente mission : la
nécessité de l’état d’urgence n’est toujours pas démontrée et les
violations des droits humains perdurent.

A la veille du débat parlementaire sur le renouvellement de l’état
d’urgence, Amnesty International France dénonce la pérennisation d’un
régime aux conséquences extrêmement lourdes pour les droits humains, comme en témoignent aujourd’hui des personnes visées par ces mesures.

« L’Assemblée nationale doit s’opposer à cette prolongation, à moins que le
gouvernement ne justifie pleinement de sa nécessité, au regard de la menace
encourue mais aussi du cadre législatif existant », a déclaré Geneviève
Garrigos, présidente d’Amnesty International France. « Le Parlement
français ne doit pas se laisser influencer par le discours de peur du
gouvernement. Il doit prendre ses responsabilités en mettant fin à cet état
d’urgence contraire aux engagements de la France en matière de droits
humains.
 »

Suite à une récente mission, Amnesty International a rassemblé des
témoignages dans la continuité de la recherche menée depuis novembre 2015 (www.amnesty.fr/etat-urgence). Ces témoignages montrent que, 6 mois après
l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, l’impact négatif sur les droits
humains est totalement disproportionné au regard des résultats escomptés.
Ainsi, selon les informations dont dispose Amnesty International, aucune
enquête pénale pour des infractions liées au terrorisme en vertu du droit
français n’a été ouverte contre une personne faisant ou ayant fait l’objet
d’une assignation à résidence. Cela comprend notamment les 69 personnes qui restaient soumises, au 3 mai 2016, au régime d’assignation à résidence, depuis bientôt 6 mois.

Le 4 mai 2016, le gouvernement français a présenté un projet de loi visant
à prolonger de deux mois supplémentaires l’état d’urgence en vigueur depuis
les attentats du 13 novembre 2015. Approuvée le 10 mai par les sénateurs,
cette prolongation doit désormais être débattue le 18 mai à l’Assemblée
nationale.

Le gouvernement a légitimé ce projet de loi en se référant au fait que le
pays continue d’être la cible potentielle de nouvelles attaques violentes,
en particulier dans le contexte des événements sportifs internationaux à
venir en France en juin et juillet 2016 (Championnat d’Europe de football
et Tour de France). Les autorités ont fait valoir que ces événements vont
attirer des millions de supporters, nécessitant la prolongation de mesures
de protection exceptionnelles.

Il est du devoir du gouvernement de prendre des mesures efficaces pour
assurer la sécurité publique, qui soient respectueuses des droits humains.
Les autorités n’ont pas justifié de façon satisfaisante la nécessité de
prolonger un régime dérogatoire qui se doit de rester exceptionnel et
limité dans le temps. Le gouvernement devrait notamment démontrer
l’insuffisance des pouvoirs ordinaires de police et de l’arsenal législatif
antiterroriste existant pour assurer la protection du public pendant ces
évènements sportifs.

Impact sur les droits humains des personnes assignées à résidence

Environ 80% des 344 assignations à résidence ordonnées depuis le 26
novembre 2015 n’ont pas été renouvelées après le 26 février.

Pour des personnes toujours soumises à ce régime d’exception, les raisons
invoquées par les autorités restent pour l’essentiel similaires aux raisons
invoquées initialement, sans que celles-ci ne soient étayées par d’autres
éléments que les « notes blanches » des services de renseignements. Il est
donc extrêmement difficile pour les personnes incriminées de contester les
mesures prises à leur encontre et de démontrer leur innocence. Les
conséquences de ces mesures sont pourtant particulièrement lourdes :
stigmatisation, perte d’emploi et précarité guettent les personnes
interrogées par Amnesty International ces dernières semaines.

Antho, président d’une association fournissant assistance et soutien aux
détenus, est assigné à résidence à son domicile dans la banlieue de Paris
depuis le 17 Novembre 2015. Les autorités ont justifié les mesures à son
encontre en faisant valoir qu’il aurait recruté des « combattants étrangers
 » et aurait apporté un soutien financier à des organisations considérées
comme terroristes par les autorités. Mais il n’a connaissance d’aucune
enquête criminelle ouverte contre lui.

« On m’a accusé d’être proche de gens dont le comportement représente une menace pour la sécurité publique par le biais de mon organisation. On m’a accusé de beaucoup de choses, mais, par exemple, ma maison n’a jamais été perquisitionnée, ni le siège de l’association… ils n’ont jamais gelé les comptes de l’association ».

Il poursuit : « j’ai essayé de me défendre au Tribunal administratif et
puis au Conseil d’Etat, j’ai produit d’abord 27, puis 35 témoignages au
Conseil d’Etat. Mais j’ai eu l’impression qu’ils avaient déjà décidé. La
juge du Conseil d’Etat m’a reproché quelque chose qui n’était même pas dans le mémoire du Ministère, en arguant qu’on avait changé les statuts de l’association il y a à peine trois mois pour élargir notre champ d’action
aux non musulmans. Or, nous les avions changés en janvier 2013. Même cela a été utilisé contre moi
. »

Lorsqu’Antho a annoncé à son employeur - une société informatique basée à Paris, qu’il ne pouvait plus aller au travail en raison de son assignation
à résidence, il a été licencié pour motifs réels et sérieux.

« Aujourd’hui, la précarité me guette, je ne peux pas travailler, je ne
peux plus payer la pension alimentaire de mes enfants qui vivent en
Angleterre, je survis de mes économies
 », dit-il.

« La vie des personnes ne revient que rarement à la normale après une
assignation à résidence. Elles sont aujourd’hui confrontées à une forte
stigmatisation qui impacte lourdement leur capacité à gagner leur vie et
plonge nombre d’entre elles dans la précarité », explique Geneviève
Garrigos. « Les personnes soumises à ces mesures d’urgence doivent avoir
accès à des voies de recours et de dédommagement efficaces et rapides
. »

Plusieurs personnes ayant fait l’objet d’assignations à résidence,
désormais levées, ont signalé à Amnesty International être visées par des
procédures de révision de leur statut de réfugié. Si l’on ne connait pas la
nature des éléments et informations sur lesquelles sont basées les
procédures administratives, il semble qu’elles aient été enclenchées sur la
base des mêmes informations vaguement formulées provenant des services de renseignement. Amnesty International avait déjà vigoureusement dénoncé l’usage de ces « notes blanches » comme unique base d’information pour ordonner des mesures restrictives dans le cadre de l’état d’urgence.

Islam, un réfugié tchétchène qui vit en France depuis sept ans, travaillait
comme vigile pour une école jusqu’à ce que, le 21 décembre 2015, le Conseil
national des activités privées de sécurité suspende son autorisation pour
travailler dans le secteur de la sécurité.

Assigné à résidence le 12 janvier 2016, la levée de son assignation le 26
février ne lui a pas permis de récupérer son autorisation de travailler.

« Je n’ai pas vraiment compris les raisons pour lesquelles j’avais été
assigné à résidence. Ils m’ont dit que j’étais en Syrie et que je recrutais
des gens qui voulaient partir en Syrie. Cela sans me donner des
informations plus précises. Aujourd’hui je ne peux plus travailler, j’ai
introduit un recours contre la décision de retirer ma carte professionnelle
et j’attends. Pourtant il n’y a aucune enquête contre moi et je ne suis
plus assigné à résidence. J’ai six enfants, j’essaie de trouver un travail
dans un autre domaine, mais ce n’est pas facile
. »

En outre, il a reçu une convocation à l’OFPRA le 1er mars 2016 pour une
procédure de retrait de son statut de réfugié selon l’article 711.6.1 du
Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

« L’OFPRA m’a convoqué le 8 avril pour me retirer le statut de réfugié. Ils
ont dit qu’ils allaient prendre une décision dans un mois, j’attends. Je
suis très inquiet car je connais un autre monsieur tchétchène auquel le
statut a été retiré. Mes parents en Tchétchénie continuent d’être harcelés
par les Russes qui veulent savoir où je suis, ce que je fais. Je ne peux
absolument pas y retourner.
 »

« Quelle que soit l’issue de ces procédures, elles ne devraient en aucun
cas mener vers le renvoi de personnes vers des pays où elles encourraient
un risque de traitements cruels, inhumains ou dégradants et d’autres
violations des droits humains », s’inquiète Geneviève Garrigos. « C’est
d’ailleurs une obligation qui s’impose en vertu de la Convention européenne
des droits de l’homme et la Convention des Nations-Unies contre la torture,
deux textes ratifiés par la France.
 »

Note aux rédacteurs

Une délégation d’Amnesty International a remis le 12 mai au Président de
l’Assemblée nationale une pétition, signée par plus de 60 000 personnes,
appelant les parlementaires à garantir les libertés et les droits humains
de tous.

Informations complémentaires
 Appel aux parlementaires « Pas de sécurité sans respect des droits »
 Témoignages de personnes toujours assignées à résidence disponibles sur
demande.
 Rapport de février 2016 : « Des vies bouleversées »
 Des photos de la remise des 60 000 pétitions sont disponibles sur
demande.

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