« Malgré nos demandes insistantes et répétitives, Monsieur Borsus fait la sourde oreille et continue de transférer massivement des armes au Royaume saoudien, malgré le manque de garanties dont dispose la Région wallonne quant à l’utilisation des armes qu’elle fournit à ce pays. Nous rappelons que l’Arabie saoudite mène une coalition responsable de crimes de guerre au Yémen et bafoue les droits humains sur son propre sol », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.
Le fait que des pays ou régions productrices d’armes tels que le Royaume-Uni, la France, les États-Unis, mais aussi la Région wallonne ont refusé de suspendre leurs transferts d’armes vers l’Arabie saoudite est devenu un cas emblématique de commerce irresponsable d’armes. Les ventes d’armes aux Émirats arabes unis sont également très risquées, en raison de leur transfert possible vers diverses forces de sécurité yéménites agissant en dehors de l’autorité de leur propre gouvernement et responsables de violations flagrantes des droits humains. En 2016, les Émirats arabes unis étaient le troisième plus important client de la Région wallonne.
« Nous dénonçons également l’opacité entourant la procédure d’octroi des licences d’exportation des armes wallonnes, qui ne permet pas au Parlement d’en contrôler la teneur et qui donne un pouvoir quasi discrétionnaire au Ministre-Président dans ce domaine. Pour qu’un réel débat démocratique soit possible, il est de prime importance que le Décret wallon relatif à l’importation, à l’exportation, au transit et au transfert d’armes civiles et de produits liés à la défense soit modifié », explique encore Philippe Hensmans.
Le TCA est entré en vigueur en 2014 à l’issue de nombreuses années de travail de campagne mené par Amnesty International et d’autres ONG. Il interdit les transferts entre États d’armes, de munitions et d’articles connexes quand l’on sait qu’ils risquent d’être utilisés pour commettre des crimes de guerre, ou en cas de risque prépondérant d’utilisation contribuant à la commission de violations graves des droits humains.
Des progrès ont cependant été réalisés ces dernières années, un nombre croissant d’États reconnaissant que le fait d’armer la coalition dirigée par l’Arabie saoudite risque de les impliquer dans des crimes de guerre.
Dans certains cas, des États ont cessé de procéder à des transferts vers l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et d’autres membres de cette coalition en raison de leurs agissements au Yémen.
En Belgique, en juin 2017, le Parlement fédéral s’est prononcé en faveur d’un embargo sur les ventes d’armes au Royaume saoudien. Par ailleurs, en juin dernier, le Conseil d’État belge a pris une décision historique en suspendant plusieurs licences d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite. Cette décision a fait suite à un recours en suspension et en annulation de quelque 28 de ces licences accordées par le Ministre-Président wallon introduit par la Ligue des droits de l’homme et la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie, avec le soutien d’Amnesty International. Les arrêts démontrent que, avant de lui vendre des armes, la Région wallonne n’a pas analysé la question du respect des droits humains et du droit international humanitaire par l’Arabie saoudite, ce qui est pourtant une injonction fondamentale de la législation wallonne et européenne.
Un manque de volonté politique et de transparence
En avril et en mai de cette année, Amnesty International a renouvelé son appel en faveur d’un embargo sur les armes à destination d’Israël après que des soldats israéliens eurent abattu au moins 140 manifestants palestiniens qui ne représentaient aucune menace imminente pour la vie, près de la barrière séparant la bande de Gaza et Israël. Les États-Unis sont de loin le principal fournisseur d’armes d’Israël, mais de nombreux autres États parties au TCA, notamment l’Allemagne, la France, l’Italie, la Bulgarie, la République tchèque et la Corée du Sud, continuent de fournir à Israël des armes et des munitions.
Malgré ces cas concrets et bien documentés, lors des dernières conférences, les États se sont nettement abstenus de discuter de ces graves problèmes. Outre les cas de suspicion de violation du traité, Amnesty International a dénoncé un manque persistant et préoccupant de transparence. Moins de la moitié des rapports annuels attendus portant sur les importations et exportations pour l’année 2017 ont été remis avant la date butoir du 31 mai. Deux États parties ont choisi de maintenir la confidentialité pour leur rapport, et plusieurs autres se sont abstenus de donner certaines informations pour des raisons commerciales ou de sécurité nationale.
« Les États ont fait preuve d’un manque massif de volonté politique quant à la nécessité de régler les problèmes de respect des dispositions du traité et de garantir l’obligation de rendre des comptes concernant le non-respect des règles pour les rapports, lors des dernières conférences, au cours desquelles ils ont eu tendance à se pencher sur des problèmes administratifs, a déclaré Patrick Wilcken, chargé de recherche sur le contrôle des armes et les droits humains à Amnesty International.
« Le Traité sur le commerce des armes a été adopté en vue de réduire les souffrances humaines et d’améliorer la transparence en ce qui concerne le commerce mondial des armes, mais de nombreux États continuent de privilégier les relations politiques et commerciales lucratives au détriment de ces objectifs. Ce traité peut permettre de sauver d’innombrables vies, mais seulement si les États respectent leurs obligations. »
En amont de la réunion qui se tient à Tokyo, Amnesty International a attiré l’attention sur trois autres violations possibles du traité :
Les chercheurs d’Amnesty International ont récemment remonté la piste de fusils utilisés par des soldats camerounais pour exécuter de façon extrajudiciaire des civils dans la ville d’Achigachia, qui a conduit à une usine située en Serbie. L’organisation a également examiné du matériel visuel montrant un fusil Zastava M21 entre les mains de séparatistes armés qui ont mené de violentes attaques dans des régions anglophones du Cameroun. D’après les données des Nations unies et les rapports annuels liés au Traité sur le commerce des armes, la Serbie a fourni un nombre considérable d’armes de petit calibre au Cameroun au cours de la dernière décennie. Ce n’est pas la première fois que des informations sont réunies sur des atteintes aux droits humains commises par les forces camerounaises au moyen d’armes de petit calibre serbes. Amnesty International demande à la Serbie et à tous les autres États de suspendre la fourniture d’autres armes.
« Le Traité sur le commerce des armes a été adopté en vue de réduire les souffrances humaines et d’améliorer la transparence en ce qui concerne le commerce mondial des armes, mais de nombreux États continuent de privilégier les relations politiques et commerciales lucratives au détriment de ces objectifs. »
Amnesty International a également rassemblé des informations sur le recours excessif à la force et sur des exécutions extrajudiciaires dont se sont rendues responsables les autorités au Nicaragua dans le cadre de la répression des manifestations qui ont débuté en avril. Plus de 300 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations, la grande majorité de ces homicides ayant été commis par la police et par des groupes armés alliés au gouvernement. Selon la base de données Comtrade de l’ONU, au cours des quatre dernières années, le Nicaragua a importé des armes de petit calibre, des pièces connexes et des munitions principalement depuis les États-Unis, le Brésil et le Mexique, dans cet ordre.
Aux Philippines, le président Duterte poursuit sa violente campagne de répression des prétendus délinquants liés au trafic de stupéfiants, qui a causé la mort de plusieurs milliers de personnes. Les armes les plus généralement utilisées pour commettre ces homicides sont des armes de petit calibre, en particulier des pistolets et des révolvers. Plusieurs pays ont exporté des armes de petit calibre vers les Philippines, notamment l’Afrique du Sud, la Bulgarie, la Corée du Sud, l’Inde et Israël. La Chine et la Russie ont également proposé de fournir des armes de petit calibre aux Philippines.