Des preuves accablantes de crimes de guerre imputables à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, armée entre autres par les États-Unis, mettent en lumière la nécessité d’ouvrir une enquête indépendante sur les violations des droits humains et de suspendre les transferts de certains armements, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié mercredi 7 octobre 2015.
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« Ce rapport dévoile de nouveaux éléments qui attestent de frappes aériennes illégales menées par la coalition que dirige l’Arabie saoudite, dont certaines constituent des crimes de guerre. Il expose de manière détaillée la nécessité d’empêcher que des armes ne servent à commettre de graves violations de ce type », a déclaré Donatella Rovera, conseillère principale à Amnesty International pour les situations de crise, qui a conduit une mission d’établissement des faits au Yémen.
« Les États-Unis et les États qui exportent des armes à l’une des parties au conflit au Yémen sont tenus de veiller à ce que les transferts qu’ils autorisent ne facilitent pas de graves violations du droit international humanitaire. »
Amnesty International demande la suspension des transferts à destination des membres de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui prennent part à la campagne militaire au Yémen, d’armes et de munitions servant à perpétrer des violations du droit international humanitaire, dont des crimes de guerre. Il faut notamment suspendre le transfert de bombes de la série Mark (MK) 80 et d’autres bombes d’emploi général, d’avions de chasse, d’hélicoptères de combat et de pièces et composants associés.
Ce sont les frappes aériennes de la coalition qui ont causé le plus grand nombre de victimes parmi la population civile durant le conflit au Yémen. La ville de Saada a été la plus touchée par ces frappes.
Le rapport dénonce le mépris flagrant pour la vie des civils dont fait preuve la coalition militaire conduite par l’Arabie saoudite, qui a désigné comme cibles militaires, en violation du droit international, les villes de Saada et de Marran, où vivent des dizaines de milliers de civils. Dans au moins quatre frappes aériennes sur lesquelles a enquêté Amnesty International, les maisons ont été touchées à plusieurs reprises, ce qui indique qu’elles ont été délibérément prises pour cibles alors qu’aucun élément ne prouvait qu’elles étaient utilisées à des fins militaires.
« Le fait que de larges zones à forte densité de population soient désignées comme cibles militaires et que des habitations civiles soient ciblées de manière répétée montre que les forces de la coalition ne prennent pas les précautions nécessaires pour épargner les civils, comme l’exige le droit international humanitaire », a déclaré Donatella Rovera.
Au total, 59 enfants ont été tués dans les 13 frappes aériennes recensées par Amnesty International dans la région de Saada entre mai et juillet 2015. Beaucoup jouaient devant chez eux, d’autres dormaient.
Le 13 juin, dans une maison d’al Safra, dans la vallée de Dammaj, huit enfants et deux femmes de la même famille ont été tués par une frappe de la coalition. Sept autres membres de la famille ont été blessés.
« Lorsque la frappe a commencé, 19 personnes se trouvaient à l’intérieur de la maison. Toutes des femmes et des enfants – sauf un homme. Les enfants, qui sont généralement dehors pendant la journée, se trouvaient à l’intérieur pour le déjeuner. Ils ont tous été blessés ou tués. Parmi eux, un bébé de 12 jours », a déclaré Abdullah Ahmed Yahya al Sailami, dont le fils âgé d’un an a également péri.
Un autre proche qui a participé aux secours a déclaré que le cadavre d’un bébé d’un an avait été retrouvé dans les décombres, sa tétine encore dans la bouche. Les chercheurs d’Amnesty International n’ont retrouvé que des objets domestiques – jouets, livres et ustensiles de cuisine – parmi les gravats. Aucune trace d’armes ni d’équipements militaires, ni aucun élément suggérant que la maison était une cible militaire légitime.
D’autres attaques ont frappé des véhicules transportant des civils qui fuyaient le conflit, des denrées alimentaires, des approvisionnements humanitaires et des animaux. Le rapport d’Amnesty International examine également plusieurs attaques ciblant des boutiques, des marchés et d’autres lieux commerciaux.
La population civile de Saada, qui vit dans la peur des frappes aériennes, doit aussi faire face à une crise humanitaire majeure, caractérisée par une coupure générale d’électricité dans la ville, l’effondrement du système de santé dans les régions reculées et une grave pénurie de médecins.
Les chercheurs d’Amnesty International ont retrouvé les restes de deux types de bombes à sous-munitions, les sous-munitions BLU-97 et leurs disperseurs (CBU-97), et les CBU-105, armes sophistiquées amorcées par capteur. Les bombes à sous-munitions, prohibées par le droit international, dispersent d’innombrables petites bombes sur une large zone. Un grand nombre de ces minibombes n’explosent pas au moment de l’impact et sont une menace mortelle pour quiconque entre en contact avec elles.
Mohammed Hamood al Wabash, 13 ans, a marché sur une minibombe qui n’avait pas explosé et souffre de multiples fractures au pied gauche. Amnesty International exhorte les membres de la coalition à cesser immédiatement d’utiliser des armes à sous-munitions et demande à tous les États de stopper les transferts de telles armes.
Appels en faveur de l’obligation de rendre des comptes
La semaine dernière, les initiatives du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève visant à ouvrir une enquête indépendante et internationale sur le conflit ont tourné court et une résolution a été adoptée qui appuie la création d’un comité national d’enquête.
« L’indifférence du monde face à la souffrance des civils yéménites dans ce conflit est choquante. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU n’a pas ouvert d’enquête internationale sur les violations commises par tous les belligérants et la communauté internationale se montre incapable de lutter contre l’impunité totale dont jouissent les auteurs de graves violations au Yémen », a déclaré Donatella Rovera.
« L’absence d’obligation de rendre des comptes contribue à aggraver la crise. Tant que les responsables pensent pouvoir échapper à la justice, les civils continueront d’en subir les conséquences. »
Une enquête internationale pourrait être mise sur pied via l’adoption d’une résolution par l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité de l’ONU, ou par le secrétaire général ou le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme agissant de leur propre initiative.