Communiqué de presse

Yémen. Des manifestants pacifiques sont la cible de l’inquiétante « tactique de la torture » des Huthis

De nouveaux témoignages poignants recueillis par des experts d’Amnesty International au Yémen révèlent que des Huthis torturent des manifestants afin de dissuader toute opposition.

« Les Huthis ont atteint un dangereux niveau d’intimidation et de violence pour effrayer ceux qui contestent leur autorité » , a déclaré Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty International pour les situations de crise, actuellement en visite au Yémen.

« Des témoignages révèlent que des manifestants ont été détenus et torturés plusieurs jours d’affilée. La sécurité de toutes les personnes qui osent dénoncer la domination des Huthis est en jeu. »

Parmi les témoins qui ont parlé à Amnesty International figurent Ali Taher al Faqih, 34 ans, et Abdeljalil al Subari, 40 ans, qui ont été arrêtés lors d’une manifestation pacifique organisée à Sanaa le 11 février pour commémorer l’anniversaire du soulèvement de 2011. Ces deux hommes ont été appréhendés en même temps que Salah Awdh al Bashri, 35 ans et père de sept enfants, qui est mort des suites de ses blessures occasionnées par plusieurs heures de torture.

Tous trois et un quatrième militant, qui n’a pas été torturé, ont été emmenés dans un lieu indéterminé où ils ont été détenus au sous-sol jusqu’au soir du 13 février.

Lorsqu’Amnesty International les a rencontrés le 15 février, les marques et cicatrices de torture étaient encore très visibles, avec de profonds hématomes et, chez Abdeljalil al Subari, des plaies ouvertes sur les fesses.

Ali Taher al Faqih a déclaré à Amnesty International : « Le premier qui a été emmené était Salah [al Bashri]. Je ne l’ai revu que lorsque nous avons été libérés vers 2 heures du matin (le 14 février). Salah ne pouvait ni bouger ni tenir debout, même lorsque nous avons essayé de l’aider à se relever, et il ne pouvait pas parler. Il chuchotait juste “J’ai soif.” »

« Nous sommes allés à l’hôpital, où Salah a reçu des soins de base. Il y avait des Huthis sur place, dont certains en uniforme militaire, et nous craignions d’être à nouveau enlevés donc nous sommes partis et rentrés chez nous [à deux heures de route], mais l’état de Salah s’est dégradé et il est mort en chemin. »

Ali Taher al Faqih a raconté en détail son interrogatoire :

« Ils m’ont d’abord assis et interrogé sur mon travail, les manifestations auxquelles j’avais participé, leurs meneurs, mes relations avec l’ambassade américaine et avec des organisations opposées à Ansarullah (la branche politique des Huthis). Ensuite ils m’ont bandé les yeux et bâillonné. Ils m’ont attaché les mains derrière le dos, liés les pieds, m’ont fait allonger à plat ventre sur une sorte de table étroite et ont commencé à me frapper avec une sorte de matraque sur les fesses. Les coups ont duré longtemps, peut-être deux heures. La douleur était insoutenable. Ils n’arrêtaient pas de me dire d’avouer. Lorsqu’ils ont enfin arrêté de me frapper, j’étais à moitié inconscient. Ils ont dû m’aider à me relever. »

Amnesty International a également parlé à Fouad Ahmad Jaber al Hamdani, militant bien connu âgé de 34 ans, qui a été enlevé lors d’une très petite manifestation le 31 janvier au matin. Il a été détenu pendant 13 jours dans quatre lieux différents et également torturé. Il a toujours de profonds hématomes en bas du dos.

« Ils m’ont bandé les yeux et bâillonné, lié les mains et les pieds, attaché à plat ventre sur un banc étroit et frappé sur les fesses et le bas du dos avec une matraque ou une barre de fer jusqu’à ce que je perde connaissance. Ils disaient “Vas-tu parler ou devons-nous te faire parler ?” Ils m’ont accusé de recevoir de l’argent des États-Unis et de l’Arabie saoudite et d’avoir des liens avec des terroristes des Frères musulmans et certaines personnalités associées à l’ancien régime. Après quatre heures de coups ininterrompus, pendant lesquelles j’ai perdu connaissance à plusieurs reprises, j’ai accepté de rédiger des “aveux”. Ils m’ont alors détaché, m’ont sommé de ne pas organiser de manifestations ni contacter des opposants aux Huthis et m’ont conduit jusqu’à Zubeiri Street. Ils m’ont jeté au bord de la route. Je ne pouvais pas bouger et je suis resté allongé là jusqu’à ce qu’un passant me porte secours. »

Précédemment, un militant étudiant de 21 ans, Ahmad al Thubhani, a été enlevé après une manifestation le matin du 7 février près de l’Université du nouveau Sanaa. Cinq Huthis ont suivi le taxi à bord duquel il circulait, ont arrêté le véhicule et l’ont emmené. Il a été détenu pendant cinq jours dans une maison voisine de la résidence de l’ancien président Abd Rabbu Mansour al Hadi, où il a été torturé.

Il a raconté à Amnesty International : « Quand je leur ai dit que j’étais contre les milices, ils m’ont fouetté 20 fois d’affilée, principalement sur le dos et les jambes, et m’ont forcé à écrire des noms de meneurs de manifestations et de militants. » Les photographies de ses cicatrices examinées par Amnesty International correspondent à sa version des faits.

« Les Huthis doivent cesser immédiatement leur tactique illégale consistant à infliger des détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Le procureur général du Yémen doit enquêter sans délai sur ces cas et les autres qui sont similaires et conduire les responsables présumés devant la justice », a déclaré Donatella Rovera.

Complément d’information

Les Huthis, membres pour la plupart de la minorité chiite zaïdite (originaire du nord du pays), qui ont été systématiquement pris pour cible par le régime de l’ancien président Ali Abdullah Saleh lors de six conflits successifs entre 2004 et 2010, semblent maintenant attaquer leurs détracteurs et leur faire subir certaines des violations des droits humains qui leur ont été infligées par le régime précédent.

Ce groupe armé s’est emparé de certaines positions de l’armée et des forces de sécurité à Sanaa en septembre 2014. Au bout de la troisième semaine de janvier 2015, ils avaient attaqué des positions militaires, la résidence présidentielle et des bâtiments gouvernementaux. Le président Abd Rabbu Mansour al Hadi et son gouvernement ont alors démissionné et les Huthis ont pris le pouvoir de facto sur la capitale et d’autres zones du Yémen.

Ils consolident peu à peu leur emprise sur la capitale yéménite, Sanaa, et l’ensemble du pays. Le 6 février, ils ont dissout le Parlement et publié une déclaration constitutionnelle prévoyant la création d’un conseil présidentiel de transition qui fera office de gouvernement pendant une période intérimaire de deux ans.

Cette mesure a interrompu de fait l’initiative de réconciliation (peu respectée) reposant sur un partage du pouvoir, négociée par le Conseil de coopération du Golfe pour mettre fin au soulèvement de 2011 qui s’était soldé par le départ du président Ali Abdullah Saleh après 33 ans à la tête du pays.

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