YEMEN. Le Yémen abandonne les droits humains au nom de la lutte antiterroriste

ÉFAI - 25 août 2010

Les autorités yéménites doivent cesser de sacrifier les droits humains au nom de la sécurité face aux menaces d’Al Qaïda, aux rebelles chiites zaïdites dans le nord et aux demandes croissantes de sécession dans le sud, a déclaré Amnesty International ce mercredi 25 août dans un nouveau rapport.

Intitulé Yemen : Cracking Down Under Pressure, ce document rend compte de nombreuses atteintes aux droits humains, notamment des homicides illégaux de personnes accusées de liens avec al Qaïda et de militants du Mouvement du sud, des arrestations arbitraires, des actes de torture et des procès iniques.

Les Yéménites accusés de soutenir les Huthis, rebelles armés membres de la minorité chiite zaïdite dans la région de Saada (nord du pays), ou le Mouvement du sud font également l’objet de détentions arbitraires, de procès iniques se déroulant devant des tribunaux spécialisés et de passages à tabac, de même que les journalistes, les dissidents, les défenseurs des droits humains et les détracteurs du gouvernement.

Certains ont été soumis à une disparition forcée pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois par des organes de sécurité, dispensés de rendre compte de leurs actes pour la plupart, qui sont placés sous l’autorité directe du président du Yémen, Ali Abdullah Saleh.

« Une tendance extrêmement préoccupante se développe : les autorités yéménites, sous la pression des États-Unis et d’autres pour combattre al Qaïda, et de l’Arabie saoudite pour faire face aux Huthis, prennent la sécurité nationale comme prétexte pour s’attaquer à l’opposition et étouffer toute critique, a souligné Malcolm Smart, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Toutes les mesures prises au nom de la lutte antiterroriste ou d’autres enjeux de sécurité au Yémen doivent accorder une place centrale à la protection des droits humains. »

Le nombre de condamnations à mort prononcées contre des personnes accusées de liens avec al Qaïda ou avec les Huthis a sensiblement augmenté. En 2009, au moins 34 personnes accusées d’être en relation avec des groupes armés de Huthis ont été condamnées à la peine capitale.

Depuis l’an dernier, les forces de sécurité ont tué au moins 113 personnes lors d’opérations visant, selon les autorités, des « terroristes ». Ces attaques sont devenues plus fréquentes depuis décembre 2009 et les forces de sécurité, dans certains cas, n’essaient même pas d’arrêter les suspects avant de les tuer.

Le 17 décembre 2009, au moins 41 personnes ont trouvé la mort, dont 21 enfants et 14 femmes, lorsque leur campement de la région d’al Maajala, dans le gouvernorat d’Abyan (sud du Yémen), a été touché par des missiles.

« Les autorités yéménites ont le devoir de garantir la sécurité publique et de déférer à la justice les personnes participant à des attaques visant délibérément des membres de la population, mais elles doivent ce faisant respecter le droit international, a ajouté Malcolm Smart. Les disparitions forcées, les actes de torture et autres mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires ne sont jamais acceptables, et les autorités yéménites doivent immédiatement mettre fin à ces violations des droits humains. »

« Il est particulièrement inquiétant de constater que des pays comme l’Arabie saoudite et les États-Unis aident le gouvernement du Yémen, de façon directe ou indirecte, à s’engager dans un engrenage qui l’éloigne des avancées précédemment accomplies en matière de droits humains. »

Le Mouvement du sud est une coalition informelle d’individus, de groupes politiques et d’autres organisations qui réclament davantage de droits pour les habitants du sud. Ses origines remontent à la guerre civile de 1994 entre le nord et le sud du Yémen. De nombreuses factions de ce mouvement appellent aujourd’hui à la sécession du sud vis-à-vis du reste du Yémen.

Les Huthis, partisans de Hussain Badr al Din al Huthi, combattent les forces gouvernementales dans la région de Saada depuis 2004. Ce qui était au départ un mouvement de protestation contre l’invasion de l’Irak conduite par les États-Unis s’est transformé peu à peu en conflit armé, particulièrement après qu’Hussain Badr al Din al Huthi a été tué par les autorités.

Le Tribunal pénal spécial a été créé dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme » en 1999, sa compétence a été étendue en 2004, et trois autres instances de ce type ont été mises en place en 2009. Ces juridictions sont utilisées pour condamner des personnes, comme les journalistes, qui traitent du conflit à Saada ou des revendications du Mouvement du sud.

Plusieurs centaines de personnes ont été jugées par le Tribunal pénal spécial depuis sa création.

Les autorités yéménites ont désormais recours à ce type d’instance pour poursuivre un vaste éventail de personnes dont les activités ou les révélations sont considérées comme hostiles ou dommageables au gouvernement.

Qassem Askar Jubran, ancien diplomate, et Fadi Baoom, militant politique, ont été arrêtés en avril 2009 et jugés pour avoir « porté atteinte à l’indépendance de la République » et à « l’unité du Yémen » et organisé des manifestations en faveur du Mouvement du sud. Tous deux ont été condamnés à cinq ans d’emprisonnement en mars 2010, mais ils ont depuis été libérés.

« Tout ce que les autorités ont contre lui est l’implication dans le Mouvement du sud, la publication d’articles dans le journal Al Ayam et la participation à des rassemblements », a indiqué Salah Askar Jubran, le frère de Qassem, à Amnesty International en mars.

La création du Tribunal spécialisé dans la presse et les publications en mai 2009 a été vue par beaucoup comme une tentative du gouvernement visant à réprimer l’opposition non violente et l’expression d’opinions critiques dans les médias.

Anissa Uthman, journaliste travaillant pour le journal Al Wasat, figure parmi plusieurs journalistes et rédacteurs en chef jugés par cette juridiction. Elle a été condamnée par contumace à trois mois de prison en janvier 2010 pour diffamation envers le président Saleh. D’après certaines sources, elle était poursuivie pour avoir dénoncé, dans certains de ses articles, l’arrestation et l’emprisonnement de défenseurs des droits humains.

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