Communiqué de presse

Yémen. Un journaliste d’investigation est finalement libéré, mais de graves questions restent sans réponse

Les autorités yéménites doivent répondre aux allégations selon lesquelles un journaliste d’investigation a subi des mauvais traitements et a été emprisonné de manière arbitraire en raison de son travail sur le rôle de l’armée américaine dans une attaque meurtrière menée en 2009, a indiqué Amnesty International à la suite de sa libération mardi 23 juillet.

Les autorités yéménites ont finalement remis en liberté Abdul Ilah Haydar Shayi, grâce aux pressions internationales, mais il fait toujours l’objet d’une interdiction de voyager pendant deux ans.

« Il semble qu’Abdul Ilah Haydar Shayi était un prisonnier d’opinion, pris pour cible uniquement en raison de son travail légitime de journaliste. Maintenant qu’elles l’ont libéré, les autorités yéménites doivent mener une enquête indépendante et impartiale sur l’attaque de 2009 qu’il a contribuée à dénoncer », a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Les autorités yéménites et américaines doivent répondre à certaines questions importantes en lien avec cette affaire. Ses allégations de mauvais traitements doivent également faire l’objet d’une enquête.  »

Abdul Ilah Haydar Shayi a été le premier journaliste yéménite à parler d’une implication des États-Unis dans l’attaque menée avec des missiles en 2009 contre un village dans le gouvernorat d’Abyan, dans laquelle 41 habitants, dont 21 enfants et 14 femmes, avaient trouvé la mort. Peu après l’attaque, au cours de laquelle ont été utilisées des bombes à sous-munitions – interdites par les règlements internationaux – il a rédigé des articles pour des journaux et accordé une interview à la chaine d’informations Al Jazira.

Il a été arrêté à son domicile, dans la capitale yéménite Sanaa, en août 2010. Le 18 janvier 2011, il a été condamné à cinq ans de prison pour avoir entretenu des liens avec Al Qaïda – accusations qui découlent d’interviews qu’il a menées avec des membres du groupe armé pour son travail journalistique.

Quelques semaines après son procès, l’ancien président yéménite Ali Abdullah Saleh a publié un décret ordonnant sa libération ; cependant, il n’a pas été appliqué, le président américain Barack Obama ayant fait part de sa préoccupation quant à la remise en liberté du journaliste.

« Depuis qu’il a été arrêté et jugé, il y a tout lieu de penser que ce journaliste est pris pour cible parce qu’il a exercé son métier », a estimé Philip Luther.

« Les pressions politiques intenses des États-Unis semblent correspondre à une tentative flagrante d’outrepasser la procédure judiciaire dans un autre pays.  »

Le gouvernement yéménite a affirmé que l’attaque menée avec des missiles ciblait un « camp d’entraînement de terroristes » à al Maajala, dans le gouvernorat d’Abyan (sud du Yémen). Une commission parlementaire yéménite a été mise sur pied pour enquêter sur cet épisode et a révélé à Amnesty International en 2010 n’avoir trouvé aucune preuve de l’existence d’un tel camp.

La commission a invité le gouvernement du Yémen à ouvrir une information judiciaire sur cette attaque et à traduire en justice les responsables présumés de la mort d’« innocents ». À la connaissance d’Amnesty International, rien n’a été fait. Le gouvernement a par la suite présenté ses excuses aux familles des victimes, expliquant que les homicides étaient une « erreur » lors d’une opération qui avait pour objectif des militants d’Al Qaïda.

Amnesty International a obtenu des clichés qui laissent à penser qu’un missile de croisière de fabrication américaine porteur de bombes à sous-munitions aurait été utilisé pour cette attaque ; en mai 2010, l’organisation a écrit au secrétaire d’Etat à la Défense de l’époque, Robert Gates, sollicitant des précisions sur la participation des forces américaines, mais n’a pas reçu de réponse. Un câble diplomatique américain rendu public plus tard est venu corroborer les conclusions de l’organisation suggérant que c’était l’armée américaine qui avait procédé à cette attaque.

« Nous demandons une nouvelle fois aux gouvernements du Yémen et des États-Unis de dévoiler la vérité sur cet épisode qui est au cœur des mesures prises contre ce journaliste d’investigation – à savoir la vérité sur les responsables de la mort de dizaines de civils dans le tir de bombes à sous-munitions  », a poursuivi Philip Luther.

Amnesty International exhorte les autorités yéménites à enquêter sur les allégations de graves irrégularités dans cette affaire, notamment sur la déclaration de culpabilité prononcée malgré le manque de preuves des liens présumés d’Abdul Ilah Haydar Shayi avec Al Qaïda, sur sa détention au secret à l’isolement, et sur ses allégations de mauvais traitements en détention, qui lui ont valu des blessures au thorax et une dent cassée. S’il est confirmé que sa détention était arbitraire, il doit recevoir réparation et son interdiction de voyager pendant deux ans doit être levée.

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