États-Unis. La Cour suprême doit appeler le gouvernement à rendre des comptes pour les détentions à Guantánamo

Déclaration publique

AMR 51/188/2007

Le 5 décembre 2007, la Cour suprême des États-Unis entendra les déclarations orales dans l’affaire des détentions de Guantánamo, afin de déterminer si la Loi de 2006 relative aux commissions militaires a illégalement privé les tribunaux américains de la compétence d’examiner les requêtes en habeas corpus [procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté] déposées par des « combattants ennemis » étrangers détenus par les États-Unis.

L’habeas corpus est une procédure essentielle, garantie par le droit international, qui permet aux détenus de contester la légalité et les conditions de leur détention devant une juridiction indépendante et impartiale. Il favorise aussi l’obligation des États de rendre des comptes en permettant un contrôle judiciaire indépendant des abus du pouvoir exécutif ou législatif.

C’est un moment crucial pour les droits humains et les principes du droit. En effet, les questions posées à la Cour suprême dépassent largement le problème crucial des droits des détenus pour poser celui de la notion même d’obligation du gouvernement de rendre des comptes.

Les tribunaux américains ayant été privés de leur rôle de contrôle indépendant des actions de l’exécutif, ces six dernières années ont été marquées par une longue litanie de violations des droits humains, allant des transferts secrets de prisonniers aux crimes internationaux que constituent la torture et les disparitions forcées, en passant par la détention arbitraire, les traitements cruels et les procédures judiciaires inéquitables. Guantánamo est au cœur de ce régime de détention illégale.

L’habeas corpus n’a rien d’une subtilité technique ; c’est une garantie fondamentale contre les abus des gouvernements. Il est plus que temps de rétablir cette garantie en totalité pour tous les détenus.

L’administration américaine a choisi d’incarcérer les prisonniers de la « guerre contre le terrorisme » à Guantánamo car elle pensait que, en vertu de la jurisprudence américaine, les tribunaux ne pourraient examiner les requêtes en habeas corpus introduites par des ressortissants étrangers détenus sur un territoire situé en fait à Cuba. Six années plus tard et grâce maintenant à la Loi relative aux commissions militaires, ce régime de détention illégal reste pour l’essentiel intact.

La zone de « non-droit » que les États-Unis ont tenté de créer à Guantánamo exige de façon criante un contrôle judiciaire exhaustif et efficace et la restauration des garanties d’une procédure régulière. Toute mesure moindre mettrait les États-Unis en situation de non-respect de leurs obligations légales internationales.
Après les affaires l’affaire Rasul C. Bush en 2004 et Hamdan C. Rumsfeld en 2006, ce sera la troisième fois que la Cour suprême des États-Unis se penchera sur des aspects du régime de détention de Guantánamo. Bien qu’un certain nombre de points aient été retenus contre elle dans ces deux précédentes affaires, l’administration américaine a interprété les décisions de la Cour suprême de manière à pouvoir continuer d’éviter ou de retarder tout contrôle judiciaire et en violant les droits internationalement reconnus des détenus.

La Cour doit rendre une décision dans l’affaire Boumediene c. Bush durant le premier semestre de 2008 ; les détenus de Guantánamo auront alors largement entamé leur septième année de détention.


Complément d’information

Au cœur de cette controverse juridique figure le tribunal d’examen du statut de combattant, organe exécutif créé par l’administration deux ans et demi après les premières incarcérations à Guantánamo afin de déterminer si les prisonniers étaient « détenus à bon escient » en tant que « combattants ennemis ». Dans le cadre de cette procédure, le jury, composé de trois militaires, peut s’appuyer pour rendre sa décision sur toutes les informations dont il dispose, y compris des informations obtenues au moyen d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Le détenu, virtuellement coupé du monde extérieur, ne peut pas bénéficier des services d’un avocat et n’a pas accès aux informations classées secrètes retenues contre lui. Le contrôle judiciaire se limite à une seule cour fédérale d’appel et à une simple évaluation de la « légitimité de la détention » décidée par le tribunal d’examen du statut de combattant. Le gouvernement affirme que cette procédure remplace l’habeas corpus de façon satisfaisante.

Amnesty International considère que, en l’absence de respect de la procédure légale, les prisonniers de Guantánamo sont détenus arbitrairement, en violation du droit international relatif aux droits humains, qui s’applique en toutes circonstances, y compris en cas de danger exceptionnel ou de guerre, quelle qu’en soit la définition. Les détenus ont le droit de contester la légalité de leur détention devant un tribunal indépendant et impartial, et ont droit à réparation, que ce soit sous la forme d’une libération ou de l’ouverture d’une procédure judiciaire. Un examen administratif tardif, inéquitable et incomplet, suivi d’un contrôle judiciaire limité est loin d’être conforme aux obligations internationales des États-Unis. En outre, près de six ans après l’arrivée des premiers prisonniers à la base de Guantánamo, la cour d’appel n’a encore procédé au contrôle d’aucune des décisions du tribunal d’examen du statut de combattant.

Parmi les carences du tribunal d’examen du statut de combattant, on peut citer notamment son manque d’indépendance, le fait qu’il ne soit pas habilité à ordonner des réparations, l’absence d’avocat pour le détenu, qui n’a aucun moyen valable de contester les arguments du gouvernement à son encontre, l’utilisation d’informations obtenues par des méthodes illégales, telles que des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que l’absence de transparence du tribunal d’examen du statut de combattant, qui peut occulter les motifs de ces détentions illégales. En outre, étant réservée aux ressortissants étrangers, cette procédure est discriminatoire et donc contraire au droit international.

Le tribunal d’examen du statut de combattant est devenu l’un des outils de la recherche perpétuelle, par le gouvernement, d’un pouvoir sans limites dans la « guerre contre le terrorisme ». Cette volonté de pouvoir illimité a entraîné la violation des droits de toute une catégorie de détenus, qualifiés de « combattants ennemis », ce qui ne correspond à aucune définition officielle du droit international, du moins avec les conséquences que les États-Unis ont attachées de façon unilatérale à ce statut.

Des éléments tendent à prouver que le tribunal d’examen du statut de combattant a été manipulé dans le dessein de satisfaire la volonté de l’exécutif d’échapper à tout contrôle judiciaire. Cette démarche s’inscrit dans une politique plus large d’exploitation ou de manipulation systématique, par le gouvernement, des affaires relatives aux détenus de la « guerre contre le terrorisme », qui a été particulièrement visible à chaque intervention des autorités judiciaires.

Pour plus d’informations, voir : USA : No substitute for habeas corpus : six years without judicial review in Guantánamo, novembre 2007, http://web.amnesty.org/library/index/ENGAMR511632007. Ce rapport accompagne un mémoire (Amicus Curiae) présenté à la Cour suprême des États-Unis par Amnesty International et trois autres organisations internationales, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme, l’Institut des droits humains de l’Association internationale du Barreau et l’International Law Association.
Ce mémoire est disponible (en anglais uniquement) sur le site : http://www.mayerbrown.com/public_docs/probono_Amnesty_International.pdf

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