Iran. Amnesty International s’inquiète d’un renforcement de la censure

Déclaration publique

MDE 13/133/2006

Amnesty International est fortement préoccupée d’une aggravation de la censure en Iran, et du harcèlement permanent des défenseurs des droits humains par le gouvernement. Le blocage de l’accès à des sites Internet, la fermeture de journaux et de sites Web, l’interdiction de livres, et l’arrestation et intimidation de journalistes, de blogueurs et de défenseurs des droits humains qui diffusent des nouvelles relatives à des violations des droits humains : tout cela indique que les autorités iraniennes poursuivent et renforcent les restrictions du droit à la liberté d’expression, notamment le droit à la liberté de chercher, recevoir et partager des informations et des idées.

Récemment, des sites fréquentés comme Wikipedia, YouTube et Amazon.com ont été bloqués, de manière permanente ou temporaire, dans le cadre d’une tendance croissante à la restriction de sites considérés comme « immoraux ou contraires aux principes de l’islam ». En pratique, de nombreux sites appartenant à des agences d’information nationales ou internationales, à des organisations politiques et à des médias traitant des droits humains ont été bloqués – comme le site de l’Organisation kurde des droits de l’homme à Téhéran, et le site Meydaan qui apporte des informations sur les droits fondamentaux des femmes, notamment une campagne lancée récemment visant à abolir l’exécution par lapidation en Iran.

Des militants des droits humains et d’autres personnes ont été interrogés et inculpés pour avoir accédé à des sites Internet étrangers, ou avoir reçu ou envoyé des informations par courrier électronique. Par exemple, Mehdi (Oxtay) Babaei Ajabshir, un Azéri iranien, a été arrêté en juillet 2006, alors qu’il s’apprêtait à participer au rassemblement culturel annuel des Azéris iraniens ; il a été condamné en septembre à six mois d’emprisonnement pour « appartenance à des groupes illégaux d’opposition visant à nuire à la sécurité nationale ». Parmi les éléments retenus contre lui figuraient « l’envoi de plusieurs courriers électroniques au site Web de Gamoh pour protester, selon lui, contre leur projet de nouveau drapeau. En outre, l’inculpé a consulté d’autres sites Web nationalistes et ethniques, et a transmis certains de leurs articles à ses amis. »

Les tentatives croissantes des autorités iraniennes de contrôler l’usage d’Internet apparaissent dans des déclarations officielles. Par exemple, en mai 2006, Reza Rashidi Mehrabadi, directeur exécutif de l’Agence gouvernementale des technologies de l’information, a annoncé qu’il activerait bientôt une base de données nationale de filtrage, pouvant bloquer l’accès à des sites Internet. Reza Rashidi Mehrabadi aurait déclaré que ses services pourraient identifier chaque utilisateur d’Internet du pays et vérifier ses accès aux sites Internet.

En septembre 2006, selon cette agence, plus de dix millions de sites Internet étaient filtrés par les autorités compétentes, notamment le système judiciaire, le comité pour l’identification des sites non autorisés et la base de données filtrante ; en outre, selon lui, « 200 à 300 sites immoraux échappant aux filtres » étaient interceptés chaque jour.

En octobre, l’organisation chargée de réguler les radio et télécommunications a publié une réglementation qui restreindrait le débit d’Internet à 128 kilobits par seconde, et interdirait aux fournisseurs d’accès à Internet de proposer des connexions à haut débit ; cette mesure technique limiterait sévèrement la possibilité des Iraniens de télécharger des informations sur Internet. Des membres du Majles (parlement iranien) ont protesté contre cette règle. À la fin novembre, tous les sites Web traitant de l’Iran se seraient trouvés dans l’obligation de s’enregistrer auprès du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique dans les deux mois suivants, mesure permettant sans doute de faciliter la fermeture des sites non enregistrés.

L’année 2006 a également vu une répression continue frapper d’autres médias. Les autorités ont continué à fermer des journaux, et leurs responsables et journalistes ont été arrêtés ou convoqués au tribunal sous des chefs d’inculpation vagues, comme « propagande contre le système » ou « insulte au gouvernement ». D’autres journalistes ayant voyagé à l’étranger ont été harcelés à leur retour. En novembre, par exemple, un groupe de journalistes ayant suivi un séminaire de formation aux Pays-Bas organisé par une ONG néerlandaise et l’Association des journalistes iraniens ont été détenus et interrogés pendant trois heures à l’aéroport de Téhéran, avant d’être libérés. Un nombre croissant de livres ont été interdits, y compris des ouvrages ayant auparavant reçu la permission d’être imprimés. En juillet, les autorités ont annoncé des mesures de répression visant l’usage privé de paraboles satellite qui, bien qu’illégales, sont largement utilisées en Iran depuis ces dernières années. Des milliers de paraboles auraient été confisquées.

Le droit international garantit le droit à la liberté d’information et la libre circulation des idées par-delà les frontières. L’Iran a l’obligation particulière, aux termes de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de garantir le droit à la liberté d’expression. Certes, ce droit peut être légitimement restreint dans des circonstances particulières, mais Amnesty International constate avec inquiétude que les restrictions imposées par les autorités iraniennes vont bien au-delà de ce qui est admissible aux termes du droit international relatif aux droits humains.

Dans un rapport de décembre 2005, le Rapporteur spécial sur le droit à liberté d’opinion et d’expression recommandait que :
[tout] organe intergouvernemental administrant la réglementation d’Internet, partiellement ou en totalité, respecte la liberté d’opinion et d’expression ;
tous les États prennent des mesures pour garantir la liberté d’opinion et d’expression sur Internet, entre autres, en étendant aux contributeurs des sites Web et aux bloggeurs la même protection qu’aux autres médias ;
les fournisseurs d’accès à Internet et l’enregistrement des sites Web auprès des autorités nationales ne soient soumis à aucune exigence particulière (UN doc. E/CN.4/2006/55, § 78-79).

Amnesty International demande aux autorités iraniennes de libérer tous les prisonniers d’opinion, notamment les blogueurs détenus comme Arash Sigarchi et Kianoosh Sanjari, immédiatement et sans conditions, de supprimer toutes les restrictions à l’opération et l’utilisation d’Internet violant le droit à la liberté d’expression, et de mettre un terme à des pratiques comme la censure, le contrôle et la surveillance qui ne respecteraient pas les obligations internationales de l’Iran. L’Iran doit aussi réviser ses textes de loi pour faire en sorte, entre autres, de définir clairement ou de supprimer des dispositions ambiguës comme celles relatives à la sécurité nationale, à la propagande ou aux insultes aux représentants de l’État – afin que ces dispositions ne puissent pas être appliquées de manière arbitraire pour étouffer des dissensions, débats et oppositions légitimes, ni la liberté d’expression.

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