« Il est temps que Facebook paie des réparations » Par Maung Sawyeddollah, réfugié rohingya âgé de 22 ans

Maung Sawyeddollah, réfugié rohingya âgé de 22 ans

Il y a six ans jour pour jour le 25 août, le nettoyage ethnique de la population rohingya du Myanmar commençait véritablement. Des milliers de personnes sont mortes et plus de la moitié de la population rohingya a dû fuir vers le Bangladesh voisin. Maung Sawyeddollah, réfugié rohingya âgé de 22 ans, en attribue la responsabilité, tout au moins en partie, à Facebook.

J’aimerais vous parler de l’endroit d’où je viens.

Je viens d’un village appelé Nga Yent Change dans l’ouest du Myanmar. Mon père y était propriétaire d’un magasin prospère. Je vivais avec mes parents et j’étais l’aîné de six frères et sœurs. Nous habitions une grande maison avec un vaste jardin entouré de manguiers, de cocotiers et de bananiers. Parfois des éléphants s’aventuraient jusque dans le village, puis repartaient dans la forêt.

J’avais beaucoup d’amis dans le village voisin. Qu’ils soient Rakhines (majoritairement bouddhistes) et nous Rohingyas (majoritairement musulmans) n’avait aucune importance. Nous étions simplement des enfants et on se retrouvait sur un terrain partagé pour jouer au chinlon (un jeu collectif très populaire qui se joue avec une balle de rotin tressé). On s’amusait bien ensemble, entre enfants.

Aujourd’hui, six ans après les « opérations de nettoyage » menées par l’armée du Myanmar, je vis à Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugiés du monde, de l’autre côté de la frontière au Bangladesh. Près d’un million de Rohinqyas s’entassent désormais dans ce camp, sous de minuscules abris de fortune faits de bambous et de bâches. La vie est un combat quotidien, ne serait-ce que pour trouver de la nourriture et de l’eau. Il y a des incendies, il y a des meurtres.

Comment en est-on arrivés là ?

Je reproche à Mark Zuckerberg, à Facebook et aux gens qui gèrent Meta d’avoir contribué à créer les conditions qui ont permis à l’armée du Myanmar de déchaîner les feux de l’enfer contre nous. L’immense richesse de l’entreprise est générée, tout au moins en partie, grâce à la misère humaine endurée par les Rohingyas.

Je n’avais que 11 ans lorsque j’ai constaté pour la première fois la montée des discours de haine contre ma communauté sur Facebook, après qu’un groupe de Rohingyas a été accusé d’avoir violé et tué une jeune fille bouddhiste en 2012. Ce crime, à ma connaissance, n’a jamais été résolu. C’est à ce moment-là que mon amitié sincère avec mes voisins rakhines a commencé à décliner.

Les tensions entre les communautés de la région ne datent pas d’hier, mais je n’avais jamais ressenti d’animosité au quotidien jusqu’à l’arrivée de Facebook et des téléphones portables. Facebook est devenu un outil entre les mains des responsables politiques, des fanatiques et des opportunistes pour propager et attiser la haine contre mon peuple, ce qui s’est ensuite traduit par des violences dans la vraie vie.

Fin 2016, les persécutions ont commencé à avoir un impact direct sur ma famille. Mon père et d’autres Rohingyas stables d’un point de vue financier ont été accusés à tort d’avoir attaqué un poste de police et ont écopé de lourdes amendes. Mon oncle Abusufian et son fils Busha ont été arrêtés pour défaut de paiement et incarcérés sans jugement ; ils ont passé plus de quatre ans derrière les barreaux.

Entre 2016 et 2017, de nombreux messages haineux et islamophobes visaient les Rohingyas sur Facebook. Un message incitait les gens à se rassembler et à « sauver le pays et flanquer les Bengalis illégaux dehors », tandis qu’un autre affirmait que « le taux de naissance des illégaux est très élevé. Si nous laissons faire, bientôt le président de notre pays aura une barbe. » Les jours où nous jouions au chinlon avec mes amis rakhines étaient révolus.

J’ai signalé ces messages à Facebook, mais ils n’ont rien fait, se contentant de répondre : « Cela ne contrevient pas aux standards de notre communauté. »

Puis les homicides ont commencé.

Je n’avais que 15 ans à l’époque et j’étais bon élève, j’espère devenir avocat un jour. Le 25 août 2017, je me suis levé tôt pour étudier mon « matric » (examen final d’études secondaires). Soudain, j’ai entendu des coups de feu venant du poste de police, et cela a duré environ trois heures ; puis l’armée est arrivée, ils ont tué Mohammad Shomim, un villageois propriétaire d’une boutique au marché local. Je ne l’ai pas vu mourir, mais j’ai vu son cadavre dans la rue. Ensuite, ils ont posé en secret des explosifs dans la rue et j’ai été témoin de la mort d’un villageois appelé Hussin Ahmed lors d’une explosion. Tout le monde a eu peur et beaucoup sont partis se cacher dans la forêt.

Nous avons appris que les autorités avaient commencé à assassiner les Rohingyas dans d’autres villages et certains ont fui vers le Bangladesh dès le lendemain. Nous sommes restés chez nous jusqu’au 30 août. Plus tard, l’armée a annoncé que tout le monde devait se rassembler dans un champ de notre village, à côté d’un bureau du Croissant-Rouge. Nous n’y sommes pas allés. Nous avions entendu parler de ce qui s’était passé dans d’autres villages et nous étions persuadés qu’ils allaient nous tuer.

Nous nous sommes réfugiés chez des amis de la famille dans d’autres villages pendant quelques nuits et sommes rentrés brièvement chez nous, mais notre village était désert. Tout le monde savait que des violences avaient été commises partout dans la région – beaucoup de morts et des femmes et des filles victimes de viols.

Ma famille et moi-même avons alors décidé de fuir au Bangladesh, à pied. En chemin, nous avons vu de nombreux cadavres dans les villages, sur la route et dans les rizières, et des maisons réduites en cendres. Nous avons poursuivi notre marche dans la jungle et à travers la montagne, dans le froid et sous la pluie. Nous n’avons rien mangé pendant des jours. Au bout de 15 jours, nous sommes enfin arrivés au Bangladesh.

Aujourd’hui, six ans après exactement, et alors que je vis dans le camp de réfugié·e·s de Cox’s Bazar, je n’ai qu’une envie : rentrer chez moi. Je refuse d’abandonner mon rêve de devenir avocat, mais les opportunités sont rares pour les jeunes Rohingyas de s’extirper de ce camp, nous n’avons pas droit à l’éducation.

Je crois encore en un avenir meilleur, à la possibilité de vivre dans un monde sûr et pacifique. Les personnes qui gèrent Facebook ressentent-elles la même chose ? Elles n’ont rien fait pour faire barrage à ces contenus haineux, même au niveau de leur propre politique.

J’aimerais rencontrer Mark Zuckerberg et son équipe, peut-être aimeraient-ils venir passer une nuit ou deux dans le camp de réfugié·e·s ? Je leur dirais : « Ne voyez-vous pas le rôle que vous jouez dans nos souffrances ? Nous vous avons demandé, maintes fois, de tenter d’améliorer notre sort. Financer l’éducation pour aider les jeunes n’effacera jamais ce qui s’est passé, mais cela nous aiderait au moins à construire un avenir plus radieux. Mais vous n’écoutez pas nos appels. Dites-moi, ressentez-vous quelque chose pour nous ? S’agit-il seulement de données, s’agit-il uniquement de dollars ? »

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