Écrire Une figure de l’opposition victime de harcèlement judiciaire

Abir Moussi, figure de l’opposition détenue arbitrairement, fait l’objet de poursuites pénales dans le cadre de deux procédures judiciaires distinctes pour avoir exercé légitimement ses droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a déposé quatre plaintes contre Abir Moussi à la suite de ses critiques publiques à l’égard du processus électoral. Elle est poursuivie au titre du décret-loi n° 54, texte draconien sur la cybercriminalité.

Abir Moussi est également visée par une autre procédure pour avoir exercé son droit à la liberté de réunion, à la suite de deux manifestations organisées par son parti politique, le Parti destourien libre (PDL).

Elle est détenue injustement depuis le 3 octobre 2023 car elle a tenté de soumettre un recours contre les décrets présidentiels relatifs aux prochaines élections locales.

Les autorités tunisiennes doivent libérer immédiatement Abir Moussi et abandonner les charges qui pèsent sur elle, car elles découlent uniquement de l’exercice pacifique de ses droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

L’avocate Abir Moussi, 48 ans, est la présidente du Parti destourien libre (PDL) et une farouche opposante politique du président Kaïs Saïed. Elle a été membre du Parlement de 2019 à 2021. Selon une lettre diffusée sur sa page Facebook, sa santé se dégrade en détention ; elle souffre de céphalées et de douleurs au cou, aux jambes, aux épaules et au dos. Elle a entamé une grève de la faim de 16 jours le 28 novembre et a observé une grève de la faim et de la soif du 26 au 28 janvier 2024 pour protester contre sa détention injuste.

Le 3 octobre 2023, 11 jours après avoir exprimé son intérêt pour une candidature à la prochaine élection présidentielle, Abir Moussi a été arrêtée par les forces de sécurité devant un bureau de l’administration publique annexé au Palais présidentiel à Carthage, au nord-est de Tunis. Elle avait tenté de déposer un recours contre les décrets présidentiels auprès de l’administration concernée, mais elle en a été empêchée. Elle a protesté contre ce refus arbitraire en restant devant le bâtiment de l’administration et en diffusant la scène en direct sur Facebook.

Selon des témoins et ses avocat·e·s, les forces de sécurité l’ont interpellée et emmenée dans un lieu tenu secret pendant près de deux heures avant que les personnes qui la représentent légalement ne la localisent dans un poste de police à La Goulette, un quartier de la capitale Tunis. Ses avocat·e·s ont déclaré à Amnesty International qu’elle a été blessée lors de son arrestation, la police ayant usé d’une force excessive. Ils ont ajouté qu’ils n’avaient pas été autorisés à voir leur cliente pendant l’interrogatoire de police, en violation flagrante de ses droits à une procédure régulière, et n’avaient été informés que plus tard de la décision du ministère public de la maintenir en détention provisoire à l’issue des 48 heures de sa garde à vue. Selon eux, pendant sa première nuit de garde à vue, les policiers ont ignoré ses demandes concernant des médicaments qu’elle est censée prendre à une heure précise tous les jours, ce qui a entraîné des complications de santé qui l’ont conduite à l’hôpital quelques jours plus tard.

Le 5 octobre, un juge d’instruction a interrogé Abir Moussi au tribunal de première instance de Tunis pour des accusations de « tentative de changement de la forme du gouvernement », « incitation à la violence sur le territoire tunisien » et « agression dans le but de provoquer le désordre » en vertu de l’article 72 du Code pénal, ainsi que de « traitement de données personnelles sans le consentement de la personne concernée » et d’« interférence avec la liberté de travail » en vertu des articles 27 et 87 de la loi sur la protection des données. Le 30 janvier, ce juge a abandonné les poursuites relevant de l’article 72 d’après un avocat d’Abir Moussi.

Dans son Observation générale n° 34, le Comité des droits de l’homme indique que « les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre le droit lui-même ». Les restrictions qui ne se conforment pas à cette condition violent la liberté d’expression même si elles n’aboutissent pas à une condamnation pénale. Elles portent atteinte non seulement au droit à la liberté d’expression des personnes qu’elles visent, mais aussi au droit d’autrui de recevoir des informations et des idées. Ces restrictions ne doivent jamais censurer la critique des personnalités publiques et des agents de l’État.

D’ailleurs, en ce qui concerne les droits et la réputation d’autrui, le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière exigent des représentant·e·s de l’État qu’ils aient une plus grande tolérance à la surveillance et à la critique que les simples citoyen·ne·s. En outre, les peines ne doivent pas être plus sévères pour l’outrage ou la diffamation à l’égard de représentant·e·s des autorités.

À cet égard, le Comité des droits de l’homme souligne dans son Observation générale n° 34 que toutes les personnalités publiques sont légitimement exposées à la critique publique et qu’il ne doit pas être interdit de critiquer les institutions publiques. Il relève notamment que « dans le cadre du débat public concernant des personnalités publiques du domaine politique et des institutions publiques, le Pacte accorde une importance particulière à l’expression sans entraves. Par conséquent, le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale… ».

Par ailleurs, aux termes du droit international, la diffamation doit être traitée comme relevant du droit civil et non du droit pénal, et ne doit jamais être punie d’une peine d’emprisonnement. Les fonctionnaires ou autres personnes qui veulent demander réparation dans une affaire de diffamation doivent le faire devant un tribunal civil, et non devant un tribunal pénal. Les lois relatives à la diffamation, la calomnie, l’injure ou l’outrage doivent avoir pour seul objectif de protéger la réputation des personnes, et non d’empêcher la critique des autorités. Le recours à des lois sur la diffamation dans le but ou avec l’effet d’empêcher les critiques non violentes à l’égard de représentant·e·s du gouvernement ou de l’État viole le droit à la liberté d’expression.

Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed s’est octroyé des pouvoirs d’exception prévus selon lui par la Constitution tunisienne de 2014.

Depuis février 2023, la situation des droits humains en Tunisie se dégrade rapidement tandis que plusieurs figures de l’opposition sont prises pour cibles. Les autorités ont ouvert des enquêtes pénales contre au moins 74 figures de l’opposition et autres personnes considérées comme des ennemis du président, dont au moins 44 sont accusées d’infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits fondamentaux.

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