L’Arabie saoudite et les habits neufs de l’empereur par Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.

Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammad bin Salman Al Saud est en mission. L’héritier du trône saoudien nourrit de grands projets pour son futur royaume : il s’est engagé à détricoter plus d’un demi-siècle d’ultra-conservatisme, proposant une vision audacieuse qui accorde moins de pouvoir à la police religieuse et plus de liberté aux femmes.

On ne peut l’accuser de viser trop bas.

Les signes avant-coureurs de son influence grandissante se font sentir. Les restrictions empêchant les femmes de prendre le volant vont être levées, de nouveaux projets ambitieux de développement économique sont lancés, et de nombreux membres de la famille royale ont été évincés lors d’une récente purge dont il fut l’instigateur.

Ces évolutions sont accueillies avec ravissement par des pays avides de renforcer les liens économiques avec le royaume. Cependant, on ne saurait jauger si l’Arabie saoudite s’améliore au nombre de colonnes qui l’encensent dans les journaux, mais plutôt à l’aune de la vie quotidienne des Saoudiens ordinaires.

Afin d’évaluer les initiatives du prince héritier, il importe de dresser le bilan de ce dont il prend le contrôle.

Les autorités saoudiennes ont fortement restreint les droits à la liberté d’expression et harcèlent, arrêtent et poursuivent en justice quiconque ose suggérer une opinion dissidente. Elles n’y repensent pas à deux fois avant de condamner à mort des adolescents au motif qu’ils ont participé à des manifestations antigouvernementales, et la discrimination ancrée et systématique demeure une réalité quotidienne pour les femmes et les jeunes filles. Elle l’est également pour la minorité des musulmans chiites, fondamentalement traités comme des citoyens de seconde zone.

Dans ce contexte, il est de bon augure que le prince héritier souhaite être perçu comme un moteur de changement.

Toutefois, la communauté internationale ne doit pas tomber dans le piège qui consiste à louer des promesses qui se concrétiseront ou non, tout en ignorant commodément la réalité sur le terrain.

Depuis la nomination du prince héritier il y a quelques mois, peu d’éléments laissent à penser que ses ouvertures sont plus qu’un habile exercice de relations publiques. En fait, le terrible bilan du pays en termes de droits humains est loin de s’être amélioré.

En témoigne la vague d’arrestations qui touche les journalistes, les détracteurs et les dignitaires religieux. Quasiment tous les militants de la société civile et les défenseurs des droits humains bien connus, dont beaucoup avaient dénoncé haut et fort la corruption, sont actuellement derrière les barreaux. À l’instar de ses prédécesseurs, le prince héritier semble déterminé à écraser le mouvement de défense des droits humains dans le royaume.

La répression a notamment frappé Abdulaziz al Shubaily et Issa al Hamid, membres fondateurs de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), arrêtés et incarcérés en septembre. Cette association des plus estimées, qui dénonce les violations des droits humains et offre une aide juridique aux familles de prisonniers détenus sans inculpation, est depuis longtemps une épine dans le pied des autorités saoudiennes.

Sans doute désireuses de détourner l’attention de ces coups de filet, elles ont choisi de publier le décret royal autorisant les femmes à conduire le mois où elles ont procédé à ces arrestations. Le changement est sans nul doute une avancée pour les femmes saoudiennes et une joie pour toutes celles qui ont fait campagne au prix de grands sacrifices personnels.

Cependant, à la suite de l’annonce, ces mêmes femmes ont signalé avoir reçu des appels téléphoniques les avertissant de ne pas commenter publiquement cette actualité, au risque d’être convoquées pour interrogatoire.

Peu d’informations ont filtré sur la manière dont ce décret, qui entrera en vigueur en juin 2018, sera mis en œuvre. Tout ce que nous savons pour l’instant est qu’il sera conforme aux « réglementations légales établies », sans autre clarification. Or, les femmes continuent de vivre dans un système légal qui mandate un « tuteur » masculin pour prendre des décisions sur tous les aspects de leur vie ou presque.

Le principal signal d’alerte qui indique que l’Arabie saoudite n’est pas prête à prendre les droits humains au sérieux est son action au Yémen voisin.

En novembre, l’ONU a averti que le Yémen se trouve au bord de la famine, dans des proportions que le monde n’a pas connues depuis des décennies. Cette situation est en grande partie due aux actions de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui combat dans le pays.

Depuis début novembre, l’Arabie saoudite a durci le blocus qui empêche l’aide alimentaire et de premier secours d’atteindre une nation déjà affamée et vaincue.

Selon les estimations de Save the Children, 130 enfants yéménites meurent chaque jour. Des routes d’accès majeures ont été rouvertes depuis, mais on ignore si l’aide dont le pays a tant besoin est autorisée en quantité suffisante et si elle ne sera pas à nouveau restreinte à la suite de la prise de contrôle de Sanaa par les Houthis. Assurément, les frappes aériennes menées par la coalition que dirige l’Arabie saoudite ont connu une légère hausse en décembre.

Toutes les parties au conflit doivent répondre de crimes, et dans sa lutte contre les rebelles houthis au Yémen, l’Arabie saoudite a décidé que le fait d’imposer des sanctions collectives aux civils yéménites est une tactique de guerre acceptable. Or, il n’en est rien.

Les autorités saoudiennes préfèrent que le monde extérieur ne soit pas témoin de la manière dont elles mènent cette guerre. Pourtant les images commencent à filtrer. Ce sont ces images, ainsi que celles des vrais réformateurs qui croupissent derrière les barreaux en Arabie saoudite, que nous devrions garder à l’esprit la prochaine fois que nous envisageons de soutenir avec désinvolture les démarches du prince héritier en faveur de réformes.

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