Sur quoi porte ce rapport ?
Le document intitulé "We Will Destroy Everything" : Military Responsibility for Crimes against Humanity in Rakhine State, Myanmar est l’aboutissement de neuf mois de recherches intensives sur ce qui s’est exactement passé durant cette période. Il livre un récit détaillé des violations commises par l’armée birmane et révèle de nombreuses informations inédites, par exemple quelles unités militaires précises ont été impliquées dans les massacres, les viols et les incendies de villages, et dévoile que certains des plus hauts gradés de l’armée birmane sont impliqués dans des crimes contre l’humanité.
Ce rapport de 186 pages est fondé sur plus de 400 entretiens, ainsi que sur une masse considérable d’éléments venant à l’appui des propos recueillis, dont des images par satellite, des photographies et des vidéos dont l’authenticité a été vérifiée, ainsi que des analyses médicolégales de photos de blessures et des documents confidentiels sur l’armée du Myanmar.
Quelles sont ses principales conclusions ?
Le rapport identifie en détail les modes opératoires qui caractérisent les violations et les crimes perpétrés dans le cadre des « opérations de nettoyage » menées par l’armée après les attaques de l’ARSA et fournit de nombreuses preuves crédibles pointant la responsabilité du commandant en chef des forces armées du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, et de 12 autres personnes identifiées dans la commission de crimes contre l’humanité.
Il fournit des informations détaillées sur les massacres imputables à l’armée dans les villages de Chut Pyin, Min Gyi et Maung Nu, ainsi que sur les centaines de villages rohingyas incendiés dans les municipalités de Rathedaung, Buthidaung et Maungdaw. Il dévoile que les soldats ont violé et infligé des violences sexuelles à des femmes et des jeunes filles rohingyas de manière généralisée, terrorisant les communautés rohingyas, ce qui a contribué à faire fuir de nombreux habitants du nord de l’État d’Arakan.
Ce rapport identifie les unités militaires précises responsables de massacres et autres violations dans certains villages. Lors d’entretiens, des victimes et des témoins ont décrit les insignes sur les uniformes des unités qui sont venues dans leurs villages et ont commis des atrocités. Certains ont eu des interactions directes avec des soldats et des commandants sur le terrain, et ont parfois pu identifier à quelle unité ils appartenaient. Après avoir vérifié ces entretiens en les comparant, nous les avons corroborés avec des informations issues de sources libres d’accès, notamment des publications Facebook dans lesquelles les soldats et d’autres personnes sur le terrain indiquaient quelles unités étaient déployées à quel endroit. Grâce à ces informations, Amnesty International a pu confirmer que deux des unités de combat les plus redoutables, sur lesquelles elle avait déjà recueilli des éléments indiquant qu’elles avaient commis des violations et des crimes de guerre dans d’autres régions du Myanmar, étaient déployées dans le nord de l’État d’Arakan juste avant le 25 août et se sont rendues responsables de nombre des pires atrocités.
Des informations confidentielles sur l’armée du Myanmar sont également révélées, notamment au sujet de son organisation hiérarchique et du contrôle que le haut commandement exerce sur les unités sur le terrain.
Autre conclusion majeure de ce rapport, l’armée du Myanmar a soumis des hommes et des garçons rohingyas à la détention arbitraire, aux disparitions forcées et à la torture au cours des semaines précédant le 25 août 2017. La torture, notamment les coups, les incendies, le « waterboarding » (simulacre de noyade) et les violences sexuelles, visait à extorquer des « aveux » ou des informations sur l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA).
Le rapport inclut aussi des informations très détaillées sur les exactions de l’ARSA, notamment les homicides illégaux de villageois hindous et d’ethnie mro, ainsi que les homicides et enlèvements ciblés de Rohingyas soupçonnés de collaborer avec les autorités.
Sur quels éléments Amnesty International fonde-t-elle ces affirmations ?
Ce rapport est l’aboutissement de recherches menées sur le terrain et à distance de septembre 2017 à début juin 2018.
Il s’appuie sur des témoignages directs recueillis auprès de victimes et de témoins au Bangladesh et au Myanmar, et utilise des techniques comme l’analyse d’images et de données satellite, l’examen médicolégal de photographies de blessures et de documents photos et vidéos dont l’authenticité a été vérifiée, afin de corroborer leurs récits.
En outre, Amnesty International a pu avoir accès à des documents confidentiels, particulièrement sur la hiérarchie et le mode opératoire de l’armée du Myanmar. Elle a mené des entretiens avec des analystes ayant une bonne connaissance du sujet et enquêté sur des matériels en libre accès, notamment des publications Facebook de l’armée birmane ou en lien avec l’armée.
Témoignages directs de victimes et de témoins
Les chercheurs d’Amnesty International ont entrepris quatre missions de recherche dans le district de Cox’s Bazar, au Bangladesh, entre septembre 2017 et janvier 2018, ainsi que quatre missions au Myanmar – dont une dans l’État d’Arakan.
La vaste majorité des personnes interrogées étaient soit des victimes de violations des droits humains et de crimes relevant du droit international, soit des témoins directs de violations liées aux opérations menées par l’armée birmane.
En outre, Amnesty International a interrogé des professionnels de santé chargés du traitement des réfugiés rohingyas, des représentants d’organisations humanitaires, des représentants des autorités bangladaises, des responsables influents de la communauté rohingya et des journalistes.
Diverses méthodes ont ensuite été utilisées afin de recouper ces informations.
Images satellite
Tout au long de la crise du Myanmar, un expert d’Amnesty International sur le repérage à distance a suivi et analysé les images et données satellite sur le nord de l’État d’Arakan. Ce travail incluait la détection d’incendies de grande ampleur, l’examen de dizaines de villages spécifiques qui ont été incendiés – ce qui a contribué à démontrer le caractère délibéré et cible de ces attaques – et le suivi en 2018 des zones rasées au bulldozer et reconstruites après que la majorité de la population rohingya ait été contrainte de fuir vers le Bangladesh.
Ces images ont alors été recoupées avec les témoignages directs afin de vérifier que les informations qui nous étaient livrées correspondaient à ce que nous observions sur les images par satellite.
Vérification numérique des documents audiovisuels
Amnesty International a reçu des centaines de photos et vidéos qui auraient été prises dans le nord de l’État d’Arakan. Grâce à son Service de vérification numérique et à ses experts en vérification photo et vidéo, elle a analysé de manière indépendante les données disponibles pour évaluer l’authenticité des documents. L’analyse incluait l’examen de métadonnées contenues dans un fichier image ou vidéo, et la « géolocalisation », qui permet de faire correspondre les caractéristiques d’une image ou d’une vidéo avec celles d’une source vérifiée (comme des images satellite) d’un même endroit.
Ces documents authentifiés ont fourni d’autres éléments corroborant les événements spécifiques relatés par des victimes et des témoins dans le rapport.
Analyse médicolégale de photos de blessures
Lors des premières missions au Bangladesh en particulier, les chercheurs d’Amnesty International ont photographié de nombreuses blessures que présentaient des hommes, des femmes et des enfants rohingyas, qui leur auraient été infligées par les forces de sécurité du Myanmar. Certaines de ces photos ont alors été envoyées à des experts médicolégaux indépendants, qui ont déterminé si elles coïncidaient avec les témoignages fournis.
Documents confidentiels
Amnesty International a interviewé plusieurs analystes ayant une bonne connaissance de l’armée birmane, et a obtenu et examiné des documents confidentiels sur les forces armées du Myanmar.
Ces documents indiquaient que, lors des opérations militaires du type de celles menées dans le nord de l’État d’Arakan, les éléments déployés sur le terrain opéraient normalement sous le contrôle étroit de hauts gradés. Les unités de combat, responsables de l’immense majorité des crimes commis contre les Rohingyas, doivent rendre compte dans des conditions très strictes de leurs déplacements, de leurs interventions et de l’usage fait de leurs armes. D’après la doctrine de l’armée du Myanmar, les hauts commandants auraient dû avoir connaissance de ces informations, ce qui signifie, entre autres, qu’ils savaient ou auraient dû savoir où se trouvaient telles unités, tels jours.
Recherches sur les publications Facebook et autres informations « open source »
Amnesty International a fait des recherches sur des publications Facebook et autres informations disponibles en libre accès ou « open source » afin de rassembler d’autres informations sur l’armée.
Cela nous a permis de confirmer que plusieurs hauts responsables de l’armée, dont le général Min Aung Hlaing, commandant en chef des forces armées, se sont rendus en personne dans le nord de l’État d’Arakan, avant et pendant la campagne de nettoyage ethnique, afin de superviser une partie des opérations.
Cela nous a permis de suivre les propos désobligeants ou incitant à la haine tenus par des hauts gradés de l’armée et des responsables civils à l’encontre des Rohingyas, avant et pendant la campagne de violences. Enfin, dans une moindre mesure, nous avons pu valider quelles unités militaires précises étaient basées dans les différents secteurs du nord de l’État d’Arakan, puisque les soldats et les personnes ayant interagi avec eux ont publié sur Internet où ils se trouvaient et ce qu’ils faisaient.
Que souhaite Amnesty International pour la suite ?
Le rapport formule des recommandations détaillées en faveur de mesures qui permettront de traduire en justice les responsables de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains. Il cite 13 personnes précises contre lesquelles Amnesty International a recueilli suffisamment de preuves pour qu’elles soient poursuivies en justice pour leur responsabilité hiérarchique et/ou directe dans des crimes contre l’humanité.
Amnesty International demande au Conseil de sécurité des Nations unies de soumettre la situation au Myanmar à la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêtes et poursuites, et engage le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à créer un mécanisme chargé de recueillir et de préserver les éléments destinés à de futures procédures pénales.
Comment en savoir plus ?
Amnesty International et SITU Research ont mis en place une nouvelle plateforme qui permet de visualiser les éléments attestant de la vague de crimes contre l’humanité commis depuis le 25 août 2017 par les forces armées du Myanmar contre la population rohingya du nord de l’État d’Arakan. L’internaute peut y suivre de manière interactive et au moyen de cartes la situation – dans un groupe de villages du nord de l’État d’Arakan – au fil des semaines qui ont précédé les violences, le déploiement des forces armées sur le terrain et les atrocités qui l’ont accompagné, la fuite massive des Rohingyas vers le Bangladesh et les chantiers récemment mis en route sur les ruines des villages détruits. Cette plateforme plaide pour que les responsables du Myanmar ayant joué un rôle majeur dans les atrocités perpétrées contre les Rohingyas (meurtres, viols, expulsions, etc.) soient tenus de rendre des comptes. Consultez les cartes recensant les atrocités commises contre les Rohingyas en cliquant ici.