Attraction touristique ou crime de guerre ? AirBnb et TripAdvisor ne s’en soucient guère Par Gabriela Quijano, directrice de l’équipe Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International

Depuis quelques mois, des bulldozers de l’armée israélienne entrent et sortent de Khan al Ahmar, un petit village bédouin en Cisjordanie occupée. Jusqu’ici, les bulldozers n’ont fait que niveler le sol. Mais ils vont bientôt revenir pour démolir des dizaines d’habitations, ainsi que l’école, la clinique et la mosquée du village.

La Cour suprême d’Israël a approuvé la démolition de Khan al Ahmar en septembre, et les 180 villageois se sont vu offrir le « choix » entre deux destinations possibles pour leur réinstallation : un site jouxtant l’ancienne décharge municipale de Jérusalem, ou un site à proximité d’une station d’épuration, non loin de Jéricho.

À deux kilomètres à peine de Khan al Ahmar se trouve la colonie israélienne de Kfar Adumim, où la vie est bien différente. Cette colonie, où vivent environ 400 familles, est un centre touristique prospère de la région en raison de sa vue magnifique sur le désert de Judée et la vallée du Jourdain. À Kfar Adumim, les touristes peuvent réserver de coûteuses excursions en camping pour « vivre comme à l’époque biblique ». Sur des terres volées à des Palestiniens, et à quelques pas des habitations vouées à la démolition de Khan al Ahmar, des touristes venus du monde entier paient pour dormir et se restaurer dans des tentes traditionnelles de style bédouin.

Les colons qui organisent ces excursions, ainsi que les entreprises et les particuliers qui proposent des hébergements à Kfar Adumim, prospèrent notamment grâce à la promotion que leur font les entreprises de réservation en ligne. Un nouveau rapport d’Amnesty International montre comment les géants du tourisme que sont Airbnb, Booking.com, Expedia et TripAdvisor favorisent des violations des droits humains des Palestiniens en proposant des hébergements et des attractions touristiques dans les colonies de peuplement israéliennes, y compris à Kfar Adumim. Les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés sont illégales au regard du droit international et constituent des crimes de guerre. Le transfert forcé des Bédouins qui vivent à Khan al Ahmar est également un crime de guerre. Kfar Adumim a été construit plus de 30 ans après Khan al Ahmar, et a depuis lors empiété sur quasiment toutes les terres que les Bédouins utilisaient pour faire paître leurs animaux d’élevage. Cela a eu de graves répercussions sur leurs moyens de subsistance traditionnels, les forçant à vivre dans la précarité.

Les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés sont illégales au regard du droit international et constituent des crimes de guerre. Le transfert forcé des Bédouins qui vivent à Khan al Ahmar est également un crime de guerre.

Pourtant, au moment de la rédaction du présent article, Airbnb, Booking.com, Expedia comme TripAdvisor proposaient nombre d’activités et d’hébergements à Kfar Adumim. Airbnb, Booking.com et Expedia mentionnent ainsi « Desert Camping Israel », un camping situé à l’est de la colonie, où les visiteurs peuvent louer des tentes bédouines pour une somme allant jusqu’à 235 dollars des États-Unis la nuitée. TripAdvisor propose une excursion à « Genesis Land », gérée par la même société que « Desert Camping Israel », ainsi que deux propriétés réservables via son site Internet. TripAdvisor donne également des appréciations sur un hôtel, deux restaurants et cinq « choses à faire » dans la colonie et ses environs. 

Ni Airbnb ni TripAdvisor n’indiquent clairement que ces offres concernent des colonies de peuplement illégales au sein d’un territoire occupé. Airbnb situe Kfar Adumim en « Israël », ce qui est incorrect, et TripAdvisor dans les « territoires palestiniens », ce qui n’est qu’une partie de la vérité. Il est donc difficile, pour les touristes potentiels, de savoir que la réservation d’hébergements à Kfar Adumim contribue à financer une initiative illégale, ou que l’implantation de Kfar Adumim et d’autres colonies constitue un crime de guerre. Ces entreprises de réservation en ligne normalisent la présence illégale de colons dans la région et contribuent à son maintien, et donnent au gouvernement israélien des motivations financières supplémentaires pour continuer à développer les colonies de peuplement.

En novembre 2018, Airbnb a annoncé son intention de retirer toutes les offres concernant des « colonies israéliennes en Cisjordanie occupée », ce qui couvrira les 30 propriétés qu’elle propose à Kfar Adumim. Toutefois, Airbnb n’a pas inclus pas Jérusalem-Est dans sa définition, ce qui veut dire que même si cette entreprise tient parole, elle continuera à proposer davantage d’offres dans les colonies que toute autre société de réservation en ligne. Jérusalem-Est, qui reste sous occupation, est l’un des points névralgiques du conflit israélo-palestinien, mais les quatre entreprises qu’Amnesty International a étudiées y proposent des attractions touristiques et des hébergements détenus ou gérés par des colons.

En assurant la promotion d’activités des colonies auprès d’un vaste public à l’échelle mondiale, les entreprises de tourisme tirent profit d’une discrimination flagrante et systématique et contribuent à la perpétuer.

En 2017, près de la moitié des visiteurs étrangers en Israël ont déclaré avoir cherché des conseils de voyage sur Internet avant de partir, selon le ministère israélien du Tourisme. Des entreprises comme Airbnb et TripAdvisor s’appuient sur l’idée de partage et de confiance mutuelle. Cependant, en assurant la promotion d’activités des colonies auprès d’un vaste public à l’échelle mondiale, elles tirent profit d’une discrimination flagrante et systématique et contribuent à la perpétuer. Les entreprises de réservation en ligne ont pour responsabilité de respecter le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains. Tant qu’elles n’auront pas retiré les offres concernant les colonies, Airbnb, Booking.com, Expedia et TripAdvisor n’assumeront pas cette responsabilité, et ne respecteront pas non plus leurs propres normes d’entreprise.

À l’heure où les Palestiniens de Khan al Ahmar et d’ailleurs font face à un avenir incertain, il est temps de cesser de traiter des crimes de guerre comme des attractions touristiques.

Cet article a été initialement publié par Newsweek ici.

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