Une base de données des Nations Unies sur les entreprises travaillant dans les colonies israéliennes pourrait aider à prévenir les atteintes aux droits humains Par Laith Abu Zeyad, chargé de campagne sur Israël et les territoires palestiniens occupés à Amnesty International

Lorsqu’Amnesty International a lancé, en juin 2017, une campagne marquant les 50 ans de l’occupation des territoires palestiniens par Israël et appelant les États à ne pas contribuer à faire perdurer la situation illégale créée par l’existence de colonies israéliennes en Cisjordanie, conformément au droit international, nous savions que la tâche ne serait pas facile.

Toutefois, nous avions une lueur d’espoir : le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) avait annoncé son intention de constituer une base de données répertoriant les entreprises qui menaient des activités dans les colonies israéliennes illégales. Nous estimions qu’il s’agirait d’un outil important pour garantir la transparence de ces activités et inciter les entreprises à repenser leur fonctionnement dans le contexte d’une occupation militaire brutale par Israël et de la dépossession dont la population palestinienne était victime.

Le Conseil des droits de l’homme avait pris une mesure inédite en chargeant le haut-commissaire aux droits de l’homme de créer une base de données – qui serait actualisée chaque année – des entreprises menant des activités qui « ont, directement et indirectement, permis la construction et la croissance des colonies de peuplement, les ont facilitées et en ont profité » et « soulèvent des préoccupations particulières en ce qui concerne les violations des droits de l’homme ».

Les activités visées sont notamment la fourniture de matériel de construction et de surveillance, la prestation de services de surveillance et de sécurité, les opérations bancaires et financières, l’exploitation des ressources naturelles et, plus généralement, l’offre de services et de prestations contribuant à l’entretien et à l’existence des colonies.

La finalité de la base de données est très simple : aider les entreprises, et les États où se trouvent leur siège, à prendre des mesures pour s’assurer de ne pas commettre d’atteintes manifestes aux droits humains de la population palestinienne ni y contribuer.

Le lancement, prévu initialement pour mars 2017, a été repoussé sans cesse par le HCDH, sous la houlette du haut-commissaire Zeid al Hussein puis de Michelle Bachelet, qui lui a succédé. Aucune date précise n’a été communiquée pour l’instant.

Il est de plus en plus évident que ce retard s’explique en partie par le fait que certains États exercent des pressions politiques considérables pour décaler le lancement de la base de données, voire empêcher totalement qu’elle soit rendue publique. En d’autres termes, des États puissants aux Nations Unies font pression sur la haute-commissaire pour qu’elle ignore purement et simplement le mandat que le Conseil lui a confié, ou du moins qu’elle l’interprète d’une manière qui lui retire toute crédibilité, à savoir en ne mentionnant pas les noms des entreprises ou en ne rendant pas la base de données publique.

Depuis des années, Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains, internationales, palestiniennes et israéliennes, recueillent des informations prouvant que la politique d’Israël qui consiste à développer, à étendre et à protéger ses colonies est intrinsèquement discriminatoire et donne lieu à un large éventail de violations des droits humains qui ont des répercussions sur tous les aspects de la vie de la population palestinienne.

Dans notre dernier rapport sur la question, publié en janvier 2019, nous avons examiné la participation d’entreprises de tourisme en ligne de premier plan dans les colonies israéliennes illégales. Notre position était que toute activité commerciale dans ou avec les colonies contribue inévitablement à faire perdurer une situation illégale et que les entreprises qui mènent ces activités participent à l’entretien, au développement et à l’expansion des colonies ou en tirent profit, directement ou indirectement, ce qui constitue des crimes de guerre au regard du droit international pénal.

Dans le rapport, nous nous réjouissions qu’Airbnb ait annoncé l’an dernier son intention de supprimer toutes les annonces concernant des colonies de Cisjordanie, à l’exception de Jérusalem-Est, mais nous déplorons que l’entreprise soit revenue sur sa décision en avril 2019.

Plus perturbant encore, le gouvernement israélien en place est plus déterminé que jamais à poursuivre l’expansion des colonies. En avril 2019, pour la toute première fois, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a appelé ouvertement à l’annexion officielle de certaines parties de la Cisjordanie. Il a réitéré cet appel en septembre 2019.

Il existe pourtant un consensus international sans équivoque : les colonies israéliennes sont illégales et ont des conséquences dévastatrices sur les droits humains de la population palestinienne. Dans une résolution adoptée en décembre 2016, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a déclaré que la création de colonies par Israël constitue « une violation flagrante » du droit international et « n’a aucun fondement en droit ». Il a ordonné à Israël de cesser ces activités et de respecter ses obligations en tant que puissance occupante au regard de la Quatrième Convention de Genève.

Cependant, la condamnation officielle et la diplomatie douce n’ont toujours pas porté leurs fruits après plusieurs décennies. Il est plus que jamais temps de passer à l’action. Il faut que les États profitent de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme sur la Palestine pour réclamer le lancement de la base de données.

Les Nations Unies peuvent faire évoluer la situation en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Le HCDH doit remplir le mandat qui lui a été assigné par le Conseil des droits de l’homme en compilant, en publiant et en actualisant régulièrement une base de données sur les entreprises qui ont des activités dans les colonies israéliennes illégales. Dans une lettre ouverte adressée à la haute-commissaire Michele Bachelet en août, Amnesty International et 100 autres organisations font part de leur souhait que ces mesures importantes soient prises sans tarder.

Les États membres de l’ONU peuvent jouer leur rôle en insistant pour que la haute-commissaire se conforme immédiatement au mandat confié par le Conseil des droits de l’homme. Cela permettrait d’apporter une transparence plus que nécessaire aux activités commerciales menées dans les colonies israéliennes, de faciliter le respect du droit international par les États et d’accélérer la concrétisation des droits humains.

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