La Chine aura-t-elle son moment #MeToo ? par Lü Pin – Militante féministe chinoise

Le raz de marée d’accusations de harcèlement sexuel contre le magnat du cinéma Harvey Weinstein et d’autres hommes a poussé des millions de femmes à partager en ligne leurs inquiétantes expériences.

Dix ans après la création du hashtag #MeToo par la militante afro-américaine Tarana Burke à la suite de sa rencontre avec une victime de violences sexuelles, la campagne sur les réseaux sociaux est une victoire inattendue pour le mouvement des femmes. Grâce au courage de ces femmes, les responsables seront peut-être enfin amenés à rendre des comptes.

En Chine, les personnes au pouvoir et la société en général n’acceptent toujours pas que le harcèlement sexuel est un problème majeur, et refusent de reconnaître qu’il a des conséquences durables pour les femmes. Que ce harcèlement ait lieu en public ou au travail, il crée une peur, une honte et une appréhension pour les femmes, ce qui les empêche de profiter des lieux publics et des opportunités qui leur sont présentées.

Certaines personnes reportent toujours la responsabilité des actions des hommes sur le comportement « inapproprié » des femmes, rejetant ainsi la faute sur la victime et niant le fait que le harcèlement sexuel est une atteinte aux droits humains.

Pourtant, même dans ce contexte, nous avons été témoins d’une victoire pour les droits des femmes en Chine. Une victoire qui est le résultat de plusieurs années de travail. En juin 2017, des affiches contre le harcèlement ont été installées dans les stations de métro de Pékin, Shanghai, Chengdu et Shenzhen, dans le cadre de campagnes financées soit par des entreprises, soit par la Fédération des femmes de toute la Chine, soutenue par le gouvernement.

Des défenseur-e-s des droits des femmes luttent depuis des années pour ouvrir un dialogue général sur le harcèlement sexuel, en dépit de l’hostilité et de la dérision. Le gouvernement chinois ne pouvait plus ignorer le problème.

En mars 2015, la veille de la Journée internationale de la femme, cinq jeunes féministes ont été arrêtées pour avoir organisé une campagne contre le harcèlement sexuel dans les transports en commun. Le cas des « Cinq féministes » a tiré la sonnette d’alarme en Chine. Les gens ont commencé à se demander pourquoi il était interdit de faire campagne contre le harcèlement sexuel.

Cinq ans auparavant, en 2012, un vif débat avait éclaté sur Internet à propos des droits des femmes. La question était : une femme est-elle responsable du harcèlement qu’elle subit si elle porte des vêtements « osés ». Certaines femmes de Shanghai avaient déclaré « J’ai le droit d’être sexy, mais vous, vous n’avez pas le droit de me harceler », afin de faire clairement savoir que les femmes sont maîtres de leur propre corps. Le débat avait eu un impact durable en Chine : les jeunes femmes ont commencé à dénoncer plus ouvertement le harcèlement sexuel et de nombreux débats en ligne ont eu lieu depuis.

Les « Cinq féministes » ont essayé de transposer ce militantisme en ligne dans la réalité. La réponse du gouvernement autoritaire a été d’ignorer le problème et de museler les voix dissidentes. Les campagnes contre le harcèlement sexuel organisées par la société civile sont devenues « sensibles » et plus risquées.

Toutefois, le gouvernement ne pouvait pas réprimer toute la vague de soutien, d’une portée et d’une force grandissantes, en faveur de la lutte contre le harcèlement sexuel. Un phénomène unique a alors été observé : le soutien pour les droits des femmes s’est renforcé, mais le militantisme, qui est au cœur du mouvement, a reculé.

En 2016, un groupe de femmes de Guangzhou (Canton), dans le sud de la Chine, a lancé une campagne de collecte de fonds en ligne pour financer des affiches contre le harcèlement sexuel, destinées à être placées dans le métro. Après avoir attendu un an avant que leurs affiches soient approuvées, elles ont été informées que seules les organisations gouvernementales peuvent publier des affiches comme celles-ci.

L’une de ces femmes, Zhang Leilei*, a alors décidé de publier elle-même les affiches en ligne. En mai 2017, elle a appelé des personnes partout dans le pays à devenir des « panneaux d’affichage humains » afin de sensibiliser l’opinion publique au harcèlement sexuel. La campagne a été lancée et des femmes et des filles dans tout le pays ont publié des photos sur les réseaux sociaux montrant les affiches devant des monuments célèbres de leur ville. L’appel à l’action de Zhang Leilei a donné aux femmes et aux filles un moyen d’exprimer leurs revendications légitimes et de se battre pour leurs droits.

Cette initiative couronnée de succès a été brutalement arrêtée par les autorités. Les voix des femmes ont été réduites au silence, dans l’ignorance la plus totale des médias d’État. Zhang Leilei a été harcelée et expulsée de chez elle.

Zhang Leilei a payé le prix fort pour son courageux militantisme. Bien qu’elle ait été découragée, des affiches produites par le gouvernement ou par des entreprises ont commencé à apparaître dans les métros, dont au moins une inspirée de sa campagne.

La campagne autorisée par le gouvernement est une avancée significative, car la lutte contre le harcèlement sexuel a enfin sa place dans la sphère publique en Chine. Il s’agit d’un premier pas en vue de mettre le harcèlement sexuel à l’ordre du jour des politiques publiques. Cela démontre que, même si cela peut sembler extrêmement difficile, le changement est possible.

Les organes de presse approuvés par le gouvernement se sont même penchés sur la question et ont essayé de s’approprier le discours féministe. Au début de l’année 2017, le Global Times, un organe de presse de l’État, a parlé de « féminisme officiel », sous-entendant que seul le gouvernement peut répondre aux préoccupations liées aux droits des femmes. Ces acteurs peuvent parfois adopter une approche plus progressiste, se plaçant même en voix de la justice, mais leur seul but est d’attirer des « sympathisants », poussant des jeunes qui se préoccupent des droits des femmes mais ont peur de prendre part à des actions de militantisme social à soutenir le parti. L’inefficacité de ce « féminisme officiel » est illustrée par la chute de la Chine à la 100e place du classement du Rapport mondial sur la parité entre hommes et femmes.

À une époque où la société civile est qualifiée de force hostile par le gouvernement, un mouvement mené par les jeunes, même s’il est très soutenu par l’opinion publique, ne peut pas rassembler suffisamment de ressources pour être viable. Les militant-e-s comme Zhang Leilei se sont adapté-e-s, abandonnant les campagnes coordonnées. Les actions de militantisme sont devenues plus organisées : elles sont lancées par une personne et reprises par d’autres.

Cette forme innovante de militantisme a été largement soutenue par l’opinion publique et le gouvernement a tenu compte de ces appels. Nous devons essayer tous les moyens possibles et voir tous les échecs comme des enseignements. En dépit de la forte incertitude, dans une société privée de tout sentiment de sécurité, tous les progrès se cumulent.

Ce n’est qu’après des années de travail incessant de plaidoyer que la Loi contre la violence domestique est enfin entrée en vigueur en mars 2016. En comparaison, le dialogue sur le harcèlement sexuel est seulement au stade embryonnaire.

Le travail de campagne contre le harcèlement sexuel en Chine est confronté à bien plus d’obstacles et de défis que le mouvement #MeToo, mais le plus important est que les militants n’abandonneront jamais, et c’est là une grande source d’optimisme.
*Zhang LeiLei est un pseudonyme.

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