La Chine va-t-elle résoudre la crise des Rohingyas au Myanmar ? Nicholas Bequelin, directeur pour l’Asie de l’Est à Amnesty International.

Il y a peu, cette question aurait semblé absurde. Pékin évite obstinément de jouer un rôle de premier plan dans la résolution des crises humanitaires internationales. Son rôle le plus identifiable au Myanmar fut de protéger l’armée du pays contre les critiques internationales pour avoir mené ce qui, selon le haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, est un « exemple classique de nettoyage ethnique », déclenchant l’exode de plus de 600 000 personnes vers le Bangladesh voisin.

Tandis que le monde assistait à la campagne de meurtres, d’incendies et de viols menée par l’armée du Myanmar, appelée la tatmadaw, Pékin a bloqué toute tentative du Conseil de sécurité de l’ONU d’adopter une résolution condamnant les attaques, tout en servant les platitudes habituelles sur le fait d’éviter toute « ingérence » dans les affaires nationales de pays tiers.

Puis, Pékin a changé de cap. Le 19 novembre, lors d’un voyage au Bangladesh et au Myanmar, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, « a annoncé que Pékin négociait un plan en trois étapes » afin d’apporter « une solution définitive et fondamentale » à la crise. Ce plan, dont on ne connaît guère les détails, se décline en un cessez-le-feu, suivi du rapatriement des réfugiés du Bangladesh au Myanmar, puis de politiques visant à impulser le développement économique durable de l’État d’Arakan, où vivent la plupart des Rohingyas.

Quelques jours après la visite de Wang Yi, le 23 novembre,le Bangladesh et le Myanmar ont annoncé un accord sur le rapatriement des réfugiés. Attestant du nouveau rôle que souhaite jouer la Chine au Myanmar, le président Xi Jinping a rencontré à Pékin le général Min Aung Hlaing, puissant chef des armées birmanes, plaidant pour une coopération militaire renforcée. Xi Jinping a ensuite rencontré à Pékin, la semaine dernière, Daw Aung San Suu Kyi, la dirigeante civile du pays.

Assiste-t-on à l’entrée de la Chine dans une ère nouvelle marquée par le respect des droits des victimes et l’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains ? Son intervention a surtout pour but de protéger ses intérêts étriqués.

Les actions de la Chine semblent emporter l’adhésion du Bangladesh et du Myanmar. Le renvoi des réfugiés rohingyas apaiserait le climat de peur au Bangladesh, où un état d’esprit jadis accueillant a laissé place aux plaintes des Bangladais quant au fardeau que leur pays pauvre et fortement peuplé doit supporter. Quant au Myanmar, les contreparties sont encore plus marquées. Même s’il est contraint d’accepter le retour des réfugiés, il bénéficiera de la protection de la puissance chinoise contre les volontés d’amener la tatmadaw à rendre des comptes pour crimes contre l’humanité.

La Chine a apporté son soutien au Myanmar lorsqu’il a refusé que l’ONU envoie une mission d’établissement des faits dans l’État d’Arakan afin d’enquêter sur les violations des droits humains qui y sont commises. Elle a fidèlement relayé le discours simplificateur des autorités du Myanmar justifiant les attaques contre les Rohingyas par la « lutte contre le terrorisme » et la préservation de la « sécurité nationale ».

Du côté de la Chine, les tensions entre le Bangladesh et le Myanmar menacent ses ambitions régionales. La Chine a des intérêts géopolitiques et économiques au Myanmar, et particulièrement dans l’État d’Arakan, où elle construit un port et une zone économique spéciale dans la ville de Kyaukpyu. Wang Yi aurait déclaré à des responsables bangladais en novembre que Pékin ne souhaitait pas que la crise des Rohingyas ralentisse la progression d’un projet économique mené par le Bangladesh, la Chine, l’Inde et le Myanmar.

Les Rohingyas ne sont pas la préoccupation première de Pékin. La proposition de la Chine n’offre pas la garantie qu’ils pourront tous rentrer chez eux, et encore moins obtenir une reconnaissance ou la nationalité (la plupart des Rohingyas sont considérés comme « apatrides »). Une fois rentrés au Myanmar, les Rohingyas seront à la merci de la tatmadaw, l’entité même qui les a expédiés au Bangladesh. Les personnes rapatriées ne seront pas autorisées à rentrer dans leurs villages, réduits en cendres, mais confinées dans des camps sordides. Le système de discrimination et de ségrégation qui les a rendus si vulnérables au départ serait encore renforcé par les camps.

Si la communauté internationale ne supervise pas le retour des Rohingyas, les autorités du Myanmar auront les coudées franches. Et la Chine, qui promeut son projet d’infrastructures « One Belt, One Road » (ceinture économique de la route de la soie) comme la solution durable à la crise dans l’État d’Arakan, pourrait remplacer les recommandations exhaustives formulées dans le rapport de la Commission Kofi Annan sur le conflit – préconisations qu’Aung San Suu Kyi s’était engagée à mettre en œuvre, mais que la tatmadaw juge abjectes.

Faisant valoir que la réintégration, et non la ségrégation, est le meilleur chemin vers la stabilité à long terme et le développement de l’État d’Arakan, la Commission Annan a recommandé que les autorités birmanes procèdent à « une évaluation globale » des répercussions sur les communautés locales de la construction du port et de la zone économique spéciale de Kyaukpyu, financés par la Chine, et développent des « mécanismes robustes » pour une « consultation avec les communautés locales ».

Fait inquiétant, le plan de la Chine pour les Rohingyas risque de « récompenser » les crimes dont ils ont été victimes. Les généraux du Myanmar responsables du nettoyage ethnique pourront se mettre à l’abri dans l’orbite de leur puissant voisin, sans craindre d’avoir à rendre compte de leurs actes.

Depuis trois mois, le Bangladesh a énormément gagné en prestige en accueillant les Rohingyas. Cependant, il souhaite désespérément se débarrasser de ce fardeau de plus de 600 000 réfugiés, ce qui risque de ternir cette bonne volonté. Si les Rohingyas sont relégués à un sort tout aussi cruel que celui qui les a amenés à franchir la frontière, le gouvernement du Premier ministre Sheikh Hasina sera perçu comme ayant facilité ces atteintes aux droits humains et pourrait en payer le prix au niveau national lors des élections de l’an prochain.

La Chine dispose des ressources diplomatiques, humanitaires et économiques pour apporter un réel changement dans la vie des Rohingyas. Mais ses manœuvres actuelles – ses interventions visant surtout à préserver l’impunité pour des crimes terribles – montrent qu’elle pourrait en faire un usage dangereux. Ce n’est guère le type de comportement digne d’une grande puissance qui, selon Xi Jinping, aspire à apporter de grandes contributions à l’humanité.

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