Le côté sombre du rêve chinois : l’annihilation de l’identité ethnique Par Nicholas Bequelin, directeur pour l’Asie de l’Est à Amnesty International

Qu’est-ce qui fait la force d’une nation ? Les intellectuels chinois du 19e siècle ont été rongés par cette question alors qu’ils assistaient au déclin de ce qui avait été un puissant empire.

Plus d’un siècle plus tard, les dirigeants de la Chine sont plus que jamais déterminés à renforcer la cohésion interne du pays et à projeter à l’étranger une image de puissance, en particulier dans un contexte actuel de ralentissement du rythme effréné, lors de ces trois dernières décennies, de la modernisation.

Sous la férule du président Xi Jinping, les dirigeants chinois, unis autour de l’idée de la réalisation du « rêve chinois », sont bien décidés à montrer le caractère historiquement inévitable de la « renaissance de la nation chinoise ».

Selon eux, il est nécessaire de parvenir, à cette fin, à une homogénéisation des citoyens passant par l’éradication des différences en matière de culture, de religion et d’appartenance ethnique, sans parler des opinions politiques qui pourraient remettre en cause le principe du parti unique.

Ce sont les Ouïghours (un peuple majoritairement turcophone et musulman) et les Tibétains, qui restent prédominants dans les régions les plus occidentales du pays, qui sont les principales cibles des mesures systématiques de suppression de l’identité ethnique.

Tout semblant de tolérance à l’égard de ces communautés a à présent disparu. Il a été remplacé par une politique de répression pénale généralisée des cultures et des religions, la fin – la « cohésion nationale » – étant considérée comme justifiant les moyens.

Le coût humain de cette politique a été révélé par les Nations unies cette semaine. Gay McDougall, membre du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, a déclaré que la région autonome ouïghoure du Xinjiang, où la population est majoritairement musulmane, est aujourd’hui une « zone de non-droit », et que, d’après les estimations, jusqu’à un million de personnes sont détenues dans des centres de lutte contre l’extrémisme.

Les autorités chinoises ont rejeté ces affirmations. Un article publié par Global Times le 12 août indique que « la ferme direction du Parti communiste chinois et la force nationale du pays [ont permis de] de préserver la région du Xinjiang de troubles de grande envergure imminents ».

Pourtant, la région autonome ouïghoure du Xinjiang se caractérise aujourd’hui par une surveillance de haute technologie omniprésente, la multiplication des camps de « rééducation », des patrouilles de rue lourdement armées, des postes de contrôle omniprésents et d’autres mesures intrusives violant les droits humains.

L’utilisation de la langue ouïghoure est réprimée et de nombreuses pratiques culturelles et religieuses musulmanes ont été interdites. Le port de la burqa ou d’une « barbe anormale » est considéré comme « extrémiste » et interdit au titre de règlements dits de « déradicalisation ».

Les autorités locales ont mis en place plusieurs types de restrictions : les familles ont l’obligation de remettre au gouvernement leurs exemplaires du Coran et d’autres objets religieux ; les enfants ayant un prénom islamique doivent en changer ; les étudiants ne sont plus autorisés à faire le ramadan ; et les personnes surprises en train de prier ou en possession de livres religieux sont envoyées dans des camps de « rééducation » – un terme orwellien désignant l’internement massif de Chinois musulmans.

La marginalisation de la culture ouïghoure commence à l’école. Le gouvernement de la région autonome ouïghoure du Xinjiang veut que d’ici 2020 plus de 90 % des élèves de cette minorité reçoivent un « enseignement bilingue ». En pratique, cela signifie que le mandarin devient la langue utilisée pour l’enseignement et que la langue ouïghoure devient simplement l’une des matières enseignées.

Les familles ont l’obligation de remettre au gouvernement leurs exemplaires du Coran et d’autres objets religieux ; les enfants ayant un prénom islamique doivent en changer ; les étudiants ne sont plus autorisés à faire le ramadan ; et les personnes surprises en train de prier ou en possession de livres religieux sont envoyées dans des camps de « rééducation ».

Dans les régions à population tibétaine, les autorités utilisent le même discours sur la cohésion et l’identité nationales pour justifier la persécution ethnique et religieuse. Tashi Wangchuk, défenseur de la langue tibétaine, a été incarcéré pour « incitation au séparatisme » en mai. Ses interventions dans un documentaire vidéo portant sur le fait que la Chine ne protège pas la langue et la culture tibétaines ont été utilisées pour prouver qu’il est coupable de « conspiration en vue de saper l’unité des nationalités ».

Le dalaï-lama est accusé d’être « une force séparatiste » et il est illégal d’afficher son portrait ou de prier à plusieurs pour lui. Des milliers de cadres du gouvernement ont été postés dans les monastères pour renforcer la surveillance des moines et de leurs proches. Afin de restreindre les liens entre les moines bouddhistes tibétains et la population, les monastères ont l’interdiction de jouer de nombreux rôles traditionnels tels que celui de l’enseignement du tibétain.

En conséquence, des milliers d’écoliers doués des classes de primaires des écoles tibétaines sont chaque année envoyés en pensionnat dans des écoles situées dans des provinces éloignées. Les élèves suivent le programme fixé de façon uniforme au niveau national, avec un enseignement restreint de la langue tibétaine, vivent dans un environnement dominé par la culture chinoise han et ne peuvent pas participer à des pratiques culturelles et bouddhiques tibétaines. On leur apprend « les cinq reconnaissances », à savoir « la reconnaissance du pays, de la nation chinoise, de la culture chinoise, du Parti communiste chinois et du socialisme avec ses caractéristiques chinoises ».

Ce type de politique risque fort d’effacer les identités traditionnelles de certaines minorités ethniques de la Chine. Mais cela ne va pas permettre de forger une solide cohésion nationale. L’histoire montre que ceux qui souffrent d’une discrimination systématique exercée par l’État, telle que celle que subissent les Ouïghours et les Tibétains, sont bien plus susceptibles de se souder autour de nouvelles valeurs d’identification fondées sur la marginalisation et le ressentiment.

Par ailleurs, l’arsenal de moyens de répression et de surveillance expérimenté dans ces deux régions va s’étendre à un nombre toujours croissant d’autres « segments » de la société chinoise. Il s’agit d’une recherche incessante de l’uniformité, d’une population docile ne remettant jamais en question la sagesse du Grand Timonier, surnom que la presse officielle commence à utiliser pour parler du président Xi.

Trop souvent, les dirigeants pensent qu’ils peuvent bâtir une identité nationale forte en encourageant l’exclusion et l’intolérance. Ils pensent que le fait d’amener les gens à avoir peur de ceux qui ne ressemblent pas au plus grand nombre, qui ne parlent pas la langue du grand nombre et qui n’exercent pas le même culte, constitue le ciment qui assure la cohésion d’une nation.

Mais ils se trompent. La solution ne passe pas par un discours alarmiste et une annihilation des différences, mais par l’égalité et l’absence de discrimination. Ce qui va amener les Ouïghours, les Tibétains et les autres minorités à considérer qu’ils font partie de la nation chinoise, c’est le sentiment d’être traités en tant que citoyens à part entière, égaux devant la loi, avec un État qui protège et respecte les droits humains.

Les États prospèrent en acceptant la diversité et en traitant tous leurs citoyens – et donc toutes les minorités ethniques, linguistiques, religieuses et autres – avec dignité, en les respectant et en garantissant leur égalité devant la loi. L’histoire montre que l’effacement forcé des différences qui vise à imposer à la population une identité nationale uniforme n’a conduit qu’au conflit, au chaos et à d’immenses tragédies.

La Chine a encore la possibilité de changer de direction, il n’est pas trop tard encore, et elle pourrait avantageusement commencer par tenir compte des recommandations des Nations unies.

Cet article a été publié initialement par The Diplomat.

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