Le courage des défenseurs des droits humains en Égypte Par Mohamed Lotfy, directeur exécutif de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés

Œuvrer en faveur des droits humains en Égypte n’a jamais été aussi dangereux qu’aujourd’hui.

Qu’ils soient défenseurs de ces droits, avocats, militants politiques ou journalistes indépendants, tous sont placés sur écoute téléphonique. Ils sont en butte à d’incessantes campagnes de dénigrement et à des attaques verbales haineuses dans les médias contrôlés par l’État, et sont systématiquement harcelés et intimidés par les autorités.

Pour certains d’entre eux, ces persécutions risquent même de déboucher sur une arrestation arbitraire, une détention prolongée, une condamnation à une lourde peine à l’issue d’un procès inéquitable ou, parfois, sur des actes de torture, une disparition forcée aux mains des forces de l’ordre ou un décès en détention des suites d’une erreur médicale. Il s’agit à peu près des mêmes violations que celles subies par les personnes dont les droits sont censés être protégés par le travail et la mobilisation militante de ces défenseurs.

Aux yeux des instances dirigeantes actuelles de l’Égypte, la société civile et les médias ne sont que de simples marionnettes et souffre-douleurs. Une société civile indépendante n’a pas droit de cité. Cela vaut également pour les organisations qui s’emploient à promouvoir les libertés fondamentales. Celles et ceux qui continuent de défendre les droits humains dans un tel climat de peur sont profondément courageux.

Le 9 janvier 2016, mon collègue Ahmed Abdullah, qui préside le conseil d’administration de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés (ECRF), a bien failli être enlevé par des membres des forces de sécurité, dans un café de Guizeh où il se rend régulièrement. Trois agents en civil, qui circulaient dans une voiture privée banalisée, ont effectué une descente dans le café et ont demandé aux employés où se trouvait Ahmed Abdullah. Quand ils ont su qu’il n’était pas là, ils ont procédé à une fouille minutieuse de l’établissement. Ils n’ont pas présenté de mandat d’arrêt ni d’autorisation de perquisition émis par le parquet, ce qui signifie que leur intervention ne reposait sur aucun fondement légal.

Cette tentative d’enlèvement fait suite à de multiples arrestations de militants politiques libéraux et pacifiques entre décembre 2015 et début janvier 2016. Certains doivent aujourd’hui répondre d’accusations forgées de toutes pièces, par exemple d’appartenance au « mouvement du 25 janvier » – mouvement dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’alors. D’autres sont inculpés d’avoir organisé des rassemblements ou d’y avoir participé, au mépris de la loi égyptienne très sévère qui encadre les manifestations. Ils sont nombreux à continuer de croupir en prison, dans des conditions inhumaines. En raison d’informations, sur les réseaux sociaux, selon lesquelles les forces de sécurité se rendaient chez moi, j’ai dû quitter mon domicile le 27 décembre 2015 et suis contraint depuis lors de me cacher.

Je suis loin d’être le seul à vivre dans la crainte d’être arrêté arbitrairement. Plusieurs grandes organisations égyptiennes de défense des droits humains ont fait l’objet de perquisitions dans leurs bureaux ou d’enquêtes, au motif bien souvent qu’elles exerçaient leurs activités sans autorisation ou qu’elles recevaient des financements étrangers.

La mesure dans laquelle les services de sécurité méprisent l’état de droit, appliquent des lois arbitraires et bafouent le devoir qui leur incombe de faire respecter les droits inscrits dans la Constitution et le droit égyptien, sans parler de leurs obligations internationales relatives aux droits humains, fait réellement peur. Le pouvoir judiciaire égyptien semble ne pas avoir la capacité ou la volonté de mettre fin aux graves violations telles que les disparitions forcées, les actes de torture et les décès en détention.

L’organisation que je dirige, l’ECRF, s’est récemment mobilisée pour que cessent les disparitions forcées en Égypte, où de très nombreuses personnes ont disparu alors qu’elles se trouvaient aux mains de l’État. Dans le cadre de notre action, nous avons milité sur les réseaux sociaux et soutenu les familles des personnes disparues, en leur fournissant des informations et une assistance juridique. Au bout du compte, les médias traditionnels ont évoqué le problème, ce qui a obligé le Conseil national des droits humains à signaler plus d’une centaine de disparitions au ministère de l’Intérieur. Après avoir dans un premier temps nié toute implication, le ministère de l’Intérieur a fait machine arrière et n’a eu d’autre choix que de reconnaître que les personnes répertoriées par le Conseil national des droits humains étaient bien détenues par les autorités.

C’est probablement en raison de notre campagne que notre organisation et son personnel sont régulièrement exposés à des actes d’intimidation et à des attaques verbales dans les médias.

Le rapport que nous avons récemment rendu public sur le problème des disparitions forcées concluait à la participation de l’Agence de sécurité nationale, sous les auspices du ministère de l’Intérieur, et du service du renseignement militaire des forces armées dans des enlèvements et des détentions au secret dans différents établissements, dont la prison militaire d’Azouli.

Tous les défenseurs des droits humains savent ce qu’il en coûte de dire la vérité face à des actions gouvernementales injustes. Cependant, la mobilisation pacifique, guidée par des principes d’humanité, est plus puissante que n’importe quelle manœuvre répressive.

Les militants doivent maintenir leur engagement envers les droits humains, en particulier quand ils sont intimidés. La révélation au grand jour d’atteintes aux droits fondamentaux un peu partout dans le monde est une source d’inspiration pour tous les militants et renforce leur position dans leur pays respectif. Une bataille en faveur des droits humains remportée dans un pays nous rapproche tous un peu plus de la liberté et de la justice.

Mohamed Lotfy, ancien chercheur d’Amnesty International, est directeur exécutif de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés.

Pour plus d’informations, voir : Égypte. Les autorités menacent un défenseur des droits humains

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