En Eswatini, les personnes expulsées de force se retrouvent « brisées » et « appauvries » Par Shireen Mukadam, chercheuse sur l’Afrique australe à Amnesty International

La semaine dernière, Amnesty International a publié son rapport sur les expulsions forcées dans le royaume d’Eswatini (ex-Swaziland). Intitulé They don’t see us as people : security of tenure and forced evictions in Eswatini, ce document est le fruit de plus d’un an d’investigations sur les démolitions et les expulsions forcées menées par le gouvernement qui ont mis à la rue des centaines de personnes, les entraînant davantage encore vers la pauvreté. Il rend compte de deux expulsions forcées aux terribles conséquences, l’une à Malkerns en 2018 et l’autre à Nokwane en 2014.

Dans le cadre de ces deux opérations, plus de 200 personnes, pour la plupart des paysans pratiquant une agriculture de subsistance, se sont retrouvées sans abri, sans aucune terre à cultiver.

Le 7 septembre, nombre des personnes avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue durant ses recherches se sont massées dans la salle de conférence d’un hôtel à Manzini, impatientes d’entendre ses conclusions. Après avoir écouté notre compte-rendu, elles ont commencé à raconter leur histoire, et comment elles ont perdu leurs chères maisons. Leur douleur, lorsqu’elles ont évoqué la perte de leur logis et la manière dont cela s’est passé, était palpable.

Même si certaines ont perdu leur logement il y a quatre ans, il est clair que les expulsions ont brisé leurs vies et qu’elles ne l’oublieront jamais. Subsiste un fort sentiment d’injustice. *Nomathemba (son nom a été modifié), employée de maison qui a perdu son logement à Nokwane, a déclaré à Amnesty International : « Lorsque notre maison a été démolie, je n’avais pas le sentiment d’avoir des droits. Ils nous ont laissés dehors, comme des animaux ou des détritus.  »

Nomathemba a tenté de sauver ce qu’elle pouvait ce jour d’octobre 2014 au moment de l’expulsion, mais les uniformes scolaires de ses enfants, les vêtements, la vaisselle et les papiers ont été détruits.

Jadis réputée pour ses plantations d’ananas, d’avocats et de papayes qui faisaient vivre les familles locales, Nokwane, localité située à l’est de Manzini, accueille aujourd’hui le Parc royal des sciences et des technologies, sur 159 hectares, un projet gouvernemental de développement inauguré en avril 2018. Ce projet financé par le gouvernement taïwanais s’est développé sur des terres où se trouvaient auparavant 19 propriétés. En 2014, à l’issue d’une longue bataille juridique avec certains habitants, les autorités de l’Eswatini sont arrivées avec des bulldozers et ont rasé ces propriétés, expulsant de force au moins 180 femmes, hommes et enfants et les jetant à la rue.

« Lorsque notre maison a été démolie, je n’avais pas le sentiment d’avoir des droits. Ils nous ont laissés dehors, comme des animaux ou des détritus.  »

En avril 2018, plus de 60 personnes ont été expulsées de force dans la zone agricole d’Emphetseni, dans la ville de Malkerns. À l’arrivée d’Amnesty International, une semaine après la démolition le 9 avril, des chaussures d’enfants, des manuels scolaires, des ressorts de matelas, du verre brisé et des cadres de fenêtre étaient éparpillés partout. Certaines familles dont les maisons avaient été démolies fouillaient les décombres, déblayant les portes de leurs anciens logements. La plupart des personnes jetées à la rue en avril ont retrouvé des logements, sous une forme ou une autre, mais ils ne sont pas du tout adaptés et ont alourdi leurs charges financières dans une situation où elles ont perdu leur logement, mais aussi pour la plupart leurs moyens de subsistance.

Dans son rapport, Amnesty International décrypte le système de gouvernance foncière en vigueur dans l’Eswatini, l’une des causes profondes qui favorise les expulsions forcées. La plupart des terres en Eswatini appartiennent au roi Mswati III « en fiducie » et elles sont ensuite attribuées aux paysans par les chefs locaux. Dans d’autres cas, Amnesty International a découvert que de nombreuses familles occupaient des terres en vertu d’accords oraux avec les anciens propriétaires fonciers, qui avaient par la suite vendu leurs terres.

Dans ces deux situations, les habitants n’ont aucune garantie de sécurité d’occupation, ce qui les expose aux expulsions forcées. Dans un pays où la majorité de la population dépend d’une agriculture de subsistance, lorsque l’accès à la terre est entravé, la privation de logement qui en découle a des conséquences directes sur leurs droits à un logement décent, à la sécurité alimentaire et aux moyens de gagner leur vie. Selon les informations dont dispose Amnesty International, au moins 300 autres personnes risquent d’être expulsées de manière imminente.

Dans un pays où la majorité de la population dépend d’une agriculture de subsistance, lorsque l’accès à la terre est entravé, la privation de logement qui en découle a des conséquences directes sur leurs droits à un logement décent, à la sécurité alimentaire et aux moyens de gagner leur vie.

Aussi, Amnesty International appelle le Premier ministre à instaurer un moratoire national sur les expulsions de grande ampleur jusqu’à ce que des garanties juridiques et procédurales adéquates soient en place, afin que toutes les expulsions respectent les normes internationales et régionales relatives aux droits humains. Elle recommande également au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité d’occupation de tous les citoyens.

Les obligations internationales et régionales relatives aux droits humains qui incombent à l’Eswatini sont claires. Elles imposent au gouvernement de ne pas procéder à des expulsions forcées et de protéger les citoyens contre de telles mesures. Cette protection est valable pour tous, y compris pour ceux dont le droit au logement ou à la terre qu’ils occupent n’est pas légalement reconnu. À Nokwane comme à Malkerns, l’État a bafoué les droits des personnes visées par les expulsions car il n’a pas suivi la procédure légale, et elles se sont donc retrouvées sans abri. Les autorités de l’Eswatini doivent sans délai fournir des recours utiles aux familles expulsées de force.

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