Le gouvernement sri-lankais ne peut se permettre de faillir à son devoir envers le Bureau des personnes disparues Par Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnesty International

Alors que la mobilisation politique de la coalition d’opposition a fait grand bruit le mois dernier, un événement majeur est passé inaperçu. Le Bureau des personnes disparues, organisme clé habilité à rechercher et retrouver la trace des personnes disparues durant le conflit interne qui a fait rage au Sri Lanka pendant 26 ans, a remis au président Maithripala Sirisena son rapport provisoire, assorti de recommandations essentielles.

Depuis leur nomination en février, les membres du Bureau ont organisé six événements pour entrer en contact avec les familles des disparus. À Mannar, Mullaitivu, Matara, Trincomalee, Jaffna ou Kilinochchi, plus de 2 000 personnes y ont participé. Ce n’est pas rien étant donné la résistance de différents secteurs de la société à laquelle s’est heurté le Bureau des personnes disparues – certains regardent ses travaux avec suspicion ou hostilité, craignant qu’il n’aille pas assez loin pour rendre justice et que leurs espoirs soient une nouvelle fois déçus.

L’enjeu est important en termes de crédibilité du travail du Bureau. De nombreuses victimes estiment que le gouvernement ne les a pas consultées lorsqu’il a fait adopter en hâte par le Parlement le projet de loi sur le Bureau des personnes disparues en 2016. Cela permettrait également de compléter les efforts du Groupe de travail sur la consultation, dont le rapport de 900 pages présentait plus de 7 000 témoignages.

Le rapport provisoire du Bureau évoque la nécessité de garantir la justice. Déterminer le sort des disparus n’est que le début d’un processus à long terme d’apaisement et d’obligation de rendre des comptes. Il aborde aussi des questions structurelles qui entravent ou compromettent depuis longtemps les poursuites. Un bon exemple en est le rôle joué par le bureau du procureur général, tantôt procureur dans les affaires de disparitions forcées présumées, tantôt défenseur des personnes interrogées lorsqu’il s’agit d’ordonnances d’habeas corpus – sans prendre un tant soit peu en compte le flagrant conflit d’intérêt en présence.

Comme le note le rapport, des personnes occupant toujours de hautes fonctions au sein de l’armée et du gouvernement sont soupçonnées d’être pénalement responsables dans des affaires de disparitions forcées. Fait étonnant, elles n’ont pas encore été limogées ni suspendues de leurs fonctions.

En outre, le rapport recommande d’accorder la plus haute priorité aux poursuites et aux affaires impliquant des disparitions forcées en vue de sortir du climat d’impunité tenace. Or, la volonté politique manque lorsqu’il s’agit d’enquêter sur ces affaires et d’engager des poursuites, même en présence de preuves crédibles attestant de crimes relevant du droit international et de violations des droits humains.

Autre problème, la législation en vigueur : le rapport provisoire précise qu’il faut renforcer, modifier ou abroger des lois telles que la Loi sur les disparitions forcées, la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA), le cadre légal relatif aux enquêtes sur les causes des décès et les protocoles connexes, la disposition relative aux certificats d’absence, ainsi que la Loi sur le Bureau des personnes disparues qui a porté création du Bureau. Celui-ci explique qu’au cours des six premiers mois, il n’a cessé de se heurter à l’entêtement de l’État et à un manque évident de reconnaissance. Pour s’acquitter de son mandat avec succès, il doit échanger avec divers ministères gouvernementaux – certains devant encore se faire à son existence en tant qu’instance indépendante et permanente qui n’est ni un ministère, ni une commission indépendante, ni une commission d’enquête. Le Bureau repose de manière précaire sur une structure étatique depuis longtemps habituée à garder un silence étudié au sujet des disparitions forcées ou à les nier catégoriquement.

Je salue la note d’introspection sur son propre travail présente dans le rapport. Le Bureau reconnaît les difficultés rencontrées au sein de la structure d’État, mais aussi la suspicion des victimes et de leurs familles à son égard. Déçues par les promesses non tenues et l’échec des précédentes instances qui avaient juré de rendre justice, on peut comprendre qu’elles se méfient du Bureau.

Les membres du Bureau l’affirment clairement : ils ont écouté les victimes, déterminés à prendre en compte les recommandations qui leur ont été faites durant les événements de sensibilisation – mettre en place des bureaux mobiles dans les zones reculées et donner la priorité aux affaires clés – comme celles des centaines de personnes qui ont « disparu » après s’être rendues en 2009. En dépit des déclarations d’intention présentes dans le rapport, le Bureau est également en partie à blâmer. Comme nous l’avons constaté lors d’une visite dans le nord au mois d’août, les griefs sont nombreux quant à sa composition : les victimes sont sous-représentées et le nombre de tamoulophones est très restreint. Amnesty International a déjà demandé à ce que les nominations reflètent la nature pluraliste de la société sri-lankaise. En outre, des préoccupations demeurent quant à la présence d’un membre qui entretient des liens étroits avec l’armée.

Le Bureau doit reconnaître ces préoccupations, y faire face directement dans la mesure du possible et corriger le cap – même si les membres actuels n’ont pas leur mot à dire sur les nominations. Aujourd’hui, certaines familles refusent tout dialogue avec le Bureau, appelant de leurs vœux un mécanisme international. Elles vont jusqu’à barrer la route à ceux qui veulent désespérément communiquer avec le Bureau. En outre, le raisonnement qui sous-tend certaines décisions prises par le Bureau manque de clarté. Il établit une distinction louable entre versements destinés aux secours et réparations. Jusqu’à ce que la question des réparations soit réglée, il propose un programme provisoire d’aide financière qui prévoit pour les familles n’ayant pas de revenus réguliers une allocation mensuelle de 6 000 LKR (soit environ 30 euros). Aucune explication n’est fournie sur la manière dont ce montant a été fixé, ni s’il est indexé sur l’inflation ou lié à un salaire minimum.

Aujourd’hui, certaines familles refusent tout dialogue avec le Bureau, appelant de leurs vœux un mécanisme international. Elles vont jusqu’à barrer la route à ceux qui veulent désespérément communiquer avec le Bureau.

Sur la question des charniers, le Bureau a souligné son rôle d’observateur au moment des travaux d’excavation et d’exhumation dans un charnier découvert à Mannar. Toutefois, il reste étrangement silencieux au sujet des autres sites. Depuis les années 1990, des sites de fosses communes sont identifiés dans de nombreuses régions du Sri Lanka, dans les provinces du Centre, du Nord et de l’Est. Depuis 2012, plus de 200 corps ont été exhumés de charniers à Matale et Mannar. Des informations ont fait état en 2014 d’un autre site à Kaluwanchikudy – qui contiendrait une centaine de cadavres, mais n’a pas encore été exhumé. Ces charniers pourraient apporter des réponses clés en lien avec le mandat du Bureau.

Conscient des critiques liées à sa création, notamment sur le fait qu’il lui revient de divulguer ou non les informations qu’il découvre aux autorités compétentes chargées de l’application des lois et des poursuites, le Bureau devrait faire savoir publiquement qu’il dévoilera toutes les informations et les preuves de crimes relevant du droit international aux fins d’enquêtes et de poursuites pénales, afin de garantir pour les victimes l’accès à la justice.

Cette réticence en a conduit plus d’un à conclure que le Bureau agit davantage comme une commission d’enquête, se contentant de présenter une série d’observations dans des rapports successifs, que comme un service d’enquête chargé de découvrir des preuves et de donner des réponses aux familles des disparus, qui les attendent avec impatience depuis des années.

Il est peut-être trop tôt pour tirer des conclusions sur les travaux du Bureau, mais celui-ci n’a que peu de temps à son actif. Il a fallu des années pour qu’il puisse enfin se mettre au travail, et nous approchons du 10e anniversaire de la fin du conflit, en mai 2019. Au cours des prochains mois, l’engagement du gouvernement envers les quatre piliers que sont la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non-répétition, sera mis à l’épreuve. Les progrès réalisés par le Bureau seront un indicateur clé pour déterminer si le Sri Lanka est à la hauteur des engagements auxquels il a souscrits en coparrainant la résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme il y a trois ans, lorsque le Haut-Commissariat aux droits de l’homme présentera un rapport exhaustif lors de sa 40e session en mars prochain.

Le président Maithripala Sirisena a proposé de nommer un sous-comité ministériel chargé d’étudier et de mettre en œuvre les recommandations du rapport provisoire du Bureau. Ce geste, certes encourageant, n’offre que peu d’espoir. Au moins sept des 10 membres du sous-comité n’ont pas – ou presque – de liens avec le mandat du Bureau via leurs ministères respectifs.

Les nominations tiennent plus de l’opportunisme politique que d’une véritable volonté d’appuyer les travaux du Bureau et d’apporter des réponses aux familles des disparus. Une possibilité de vérité, de justice et de réparations se referme, et j’espère que la situation dans les prochains mois prouvera que j’ai tort. Les recommandations provisoires offrent au gouvernement l’occasion d’engager le dialogue avec de nombreuses associations de victimes déçues et sceptiques quant à un mécanisme dirigé par l’État et de recueillir leur soutien. Le gouvernement ne peut faillir une nouvelle fois à son devoir envers les personnes disparues et leurs familles. Il ne peut se permettre de manquer à ses engagements envers le Bureau des personnes disparues.

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