Mardi 20 février 2018, le Parlement hongrois doit débattre d’un projet loi profondément préoccupant qui tente de traduire ces idées rétrogrades dans la réalité. Si elle était adoptée, cette nouvelle loi pénaliserait les ONG qui travaillent sur l’immigration, c’est-à-dire une bonne partie des ONG qui critiquent le pouvoir en Hongrie. Le message général de ce projet de loi est simple : l’immigration est une mauvaise chose. Et, par conséquent, toute personne qui travaille à son sujet sera punie.
Ce projet de loi dit « Stop Soros », présenté au Parlement mardi 13 février, prétend « protéger la sécurité nationale » et les frontières, mais il ne fait rien de tout cela. Il n’est qu’une nouvelle mesure populiste proposée avant les élections prévues en avril - la dernière d’une longue liste de lois et de campagnes qui posent véritablement problème. Il vise en réalité à museler celles et ceux qui aident les personnes dans le besoin et qui osent faire entendre leur voix.
Ce nouveau projet de loi survient après l’entrée en vigueur, en juin 2017, de la Loi sur la transparence des organisations financées par des capitaux étrangers, en vertu de laquelle les organisations qui reçoivent des financements provenant d’autres pays que la Hongrie sont tenues de s’enregistrer auprès des pouvoirs publics sous peine d’amendes et de sanctions pénales. Nous avons attaqué en justice cette précédente loi, tout comme la Commission européenne, qui a engagé une procédure d’infraction contre la Hongrie devant la Cour européenne de justice.
Cependant, les autorités hongroises ne semblent guère effrayées. Au contraire, les tentatives jusqu’ici à peine déguisées de jeter le discrédit sur certaines ONG prennent aujourd’hui la forme d’une véritable attaque frontale, menaçant l’existence même d’organisations qui font un travail crucial en Hongrie, dont Amnesty International.
En vertu de la nouvelle loi proposée, le gouvernement « identifierait » les ONG qui, selon lui, « soutiennent l’immigration » - une formulation volontairement vague. Les dispositions de ce texte s’appliqueraient notamment aux activités quotidiennes de base des ONG, par exemple faire campagne, " influencer les tribunaux ", préparer du matériel d’information, organiser des réseaux et recruter des bénévoles.
Les ONG concernées devraient obtenir l’autorisation du ministre de l’Intérieur pour mener à bien ces activités. Le ministre demanderait l’avis des services de sécurité nationale avant de se prononcer - une procédure qui pourrait prendre jusqu’à neuf mois.
Par ailleurs, les organisations devraient s’acquitter d’une taxe de 25 % sur tout financement en provenance de l’étranger destiné à « soutenir l’immigration », sous peine de lourdes amendes qui risqueraient de provoquer leur faillite, puis leur dissolution.
Ces propositions sont contraires à l’obligation de la Hongrie, aux termes du droit international et du droit européen, de protéger les droits à la liberté d’association et d’expression ainsi que le droit de circuler librement. Le plus difficile à supporter dans cette proposition du gouvernement n’est pas la menace envers les ONG, mais la menace qu’elle représente pour les personnes que ces organisations servent et protègent. En alimentant cyniquement l’hostilité à l’égard des migrants en Hongrie, ce projet de loi populiste est aussi un moyen bien pratique de détourner l’attention des graves manquements du gouvernement, qui vont de la corruption à l’augmentation de la pauvreté.
Des groupes qui offrent des services vitaux, ainsi que des groupes qui se battent pour faire changer les lois hongroises draconiennes sur les réfugiés et l’immigration, pourraient devoir cesser leurs activités.
À commencer par nous-mêmes. En février, la Fédération des jeunes démocrates (FIDESZ) - le parti au pouvoir - a décrit Amnesty International comme « l’une de ces organisations manipulatrices » qui publient de fausses informations et encouragent les migrants à violer la loi. Ces accusations mensongères sont destinées à susciter un climat de peur et à réduire au silence les voix critiques. Le texte de loi présenté cette semaine au Parlement donnerait au gouvernement carte blanche pour s’en prendre aux ONG telles qu’Amnesty International au moindre prétexte.
Ce problème se pose en Hongrie, mais aussi plus généralement en Europe, où l’on assiste à un renforcement des restrictions visant la société civile et à une réduction de l’espace laissé à l’opposition et à des activités essentielles. De la criminalisation de l’aide humanitaire apportée aux réfugiés à la limitation des financements en provenance de l’étranger, des dérives dangereuses sont progressivement introduites dans les lois des pays européens.
Lundi 19 février, plus de 250 organisations ont signé une lettre ouverte témoignant de leur vive préoccupation face à cette nouvelle loi et exprimant leur solidarité avec la société civile et les défenseurs des droits humains en Hongrie.
Il est temps que les dirigeants de l’Union européenne (UE), qui ont jusqu’à présent regardé la Hongrie franchir ligne rouge après ligne rouge, se décident enfin à agir concrètement pour mettre un terme à cette attaque contre la société civile. La manière dont l’UE et ses dirigeants réagiront à cette escalade en Hongrie sera un test décisif pour l’Europe. Viktor Orbán n’est pas la seule personnalité politique populiste du continent à avoir de grandes ambitions et à vouloir appliquer une politique obscurantiste d’un autre âge. En cette période marquée par des attaques répétées contre les droits humains, les organisations de la société civile font partie des dernières voix dissidentes à s’exprimer et, dans ce contexte, leur travail est plus important que jamais.