La crise des Rohingyas est un moment de vérité pour l’ANASE Par Josef Benedict, directeur adjoint des campagnes pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International

Une fois de plus, l’armée du Myanmar a lancé contre la minorité rohingya une terrible campagne militaire, tuant des civils et forçant des milliers de personnes à s’enfuir de chez elles. Et cette fois encore, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) s’abstient de prendre position contre les atrocités commises dans l’un de ses pays membres.

Il ne fait aucun doute que ce qui est en train de se dérouler dans l’État d’Arakan, dans le nord du Myanmar, constitue un nettoyage ethnique. Depuis le 25 août, en riposte aux attaques menées contre des postes de sécurité par un groupe armé rohingya, qui ont fait au moins 12 morts parmi les membres des forces de sécurité, l’armée du Myanmar exerce contre l’ensemble de la population rohingya des violences illégales et disproportionnées. Les soldats ont incendié des villages entiers et ouvert le feu sur des personnes qui s’enfuyaient, prises de panique, et ces agissements font manifestement partie d’une campagne visant à chasser une fois pour toutes les Rohingyas du pays.

La Charte de l’ANASE, le traité qui lie les États membres de cette organisation, prévoit clairement que ces derniers s’engagent à respecter les droits humains, et depuis des années leurs dirigeants se contentent d’un engagement de principe. La crise qui se déroule dans l’État d’Arakan, aurait pu, et peut peut-être encore, leur offrir l’occasion de prouver qu’il ne s’agit pas simplement de belles paroles. Mais ce bloc régional a jusqu’à présent montré qu’il est à la fois peu disposé et incapable de faire face à ces violations persistantes.

L’ANASE a attendu presque un mois avant de simplement publier une déclaration au sujet de cette crise, mais elle aurait aussi bien fait de garder le silence. Dans cette déclaration publiée le 24 septembre, les ministres des Affaires étrangères de l’ANASE expriment leur « préoccupation » au sujet des événements se déroulant dans l’État d’Arakan, mais s’abstiennent totalement d’utiliser le mot « Rohingyas » et de mentionner les atrocités que les forces de sécurité leur infligent de manière si flagrante. Les ministres des Affaires étrangères se sont contentés de qualifier cette crise de « problème intercommunautaire complexe » et de condamner les attaques du 25 août contre les forces de sécurité et « tous les actes de violence ».

Cette déclaration était tellement édulcorée qu’un État membre au moins s’est senti obligé de prendre ses distances par rapport à son contenu. Le ministre malais des Affaires étrangères, Anifah Aman, a qualifié cette déclaration de « fausse représentation de la réalité de la situation ». Kuala Lumpur a le mérite d’avoir fermement pris position au sujet des crimes commis par l’armée du Myanmar, même si la façon dont sont traités les réfugiés rohingyas à l’intérieur de ses frontières laisse beaucoup à désirer.

Comme les violences commises dans l’État d’Arakan ne semblent pas devoir prendre fin de sitôt, il est d’autant plus important que l’ANASE réagisse de façon ferme et de toute urgence.

Aung San Suu Kyi – la dirigeante de facto du Myanmar – a beau avoir déclaré que les combats avaient cessé, Amnesty International a été en mesure de confirmer que des incendies ont eu lieu la semaine dernière encore.

Et des personnes ayant perdu tout espoir continuent de s’enfuir au Bangladesh. Elles sont plus d’un demi-million selon les derniers chiffres de l’ONU.

De plus, une catastrophe humanitaire est en train de se produire dans l’État d’Arakan, car le gouvernement du Myanmar empêche les organisations humanitaires de se rendre dans les zones concernées, et restreint fortement leurs activités dans d’autres régions de cet État, alors que des personnes dépendent de cette aide pour leur survie.

Nous avons récemment reçu des informations dignes de foi signalant que des Rohingyas ne fuient pas seulement les violences mais aussi un véritable risque de famine, car il est devenu extrêmement difficile dans de nombreux endroits de trouver de la nourriture.

La crise dans l’État d’Arakan risque en outre d’avoir des répercussions dans toute la région de l’Asie du Sud-Est. Nous sommes nombreux à nous souvenir de la crise des « boat people » de 2015 : des milliers de Rohingyas et de Bangladais s’étaient retrouvés bloqués dans le golfe du Bengale car les gouvernements de la région refusaient de laisser entrer leurs bateaux. Les pays de l’ANASE doivent veiller à ce que les réfugiés puissent emprunter des voies sûres pour entrer dans leur pays, et à ce qu’aucun d’entre eux ne soit forcé de retourner dans un pays où il risque d’être persécuté ou soumis à d’autres graves violations des droits humains, ce qui est de toute évidence le cas des Rohingyas.

L’ANASE doit immédiatement tenir une réunion urgente pour discuter de la crise dans l’État d’Arakan. Ses membres doivent également reconnaître et condamner fermement et sans équivoque les violations des droits humains qui sont en train d’être commises par l’armée du Myanmar.

Il ne faut pas se leurrer : les agissements observés dans l’État d’Arakan sont, au titre du droit international, des crimes contre l’humanité, qui préoccupent sans nul doute l’ANASE.

Les États membres de l’ANASE doivent aussi stopper le nettoyage ethnique visant les Rohingyas, et veiller à ce que le Myanmar mette fin aux persécutions, aux discriminations et à la ségrégation exercées contre les Rohingyas. Ces initiatives s’inscrivent bien dans le cadre de la Charte de l’ANASE, qui autorise ses dirigeants à agir « en cas de grave violation de la Charte » et à « faire face aux situations d’urgence touchant l’ANASE en prenant les mesures appropriées ». Il est grand temps que l’ANASE mette en avant ces valeurs essentielles – réagir en cas d’urgence et respecter les droits humains –, qui sont aussi pertinentes et fondamentales pour elles que le principe de « non-intervention » trop souvent invoqué.

Il s’agit d’un moment de vérité pour l’ANASE, qui doit choisir de quel côté de l’histoire elle veut se situer. Alors qu’un nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité sont en train de se produire à sa porte, fera-t-elle tout ce qui est en son pouvoir pour y mettre fin ou restera-t-elle indifférente ?

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