Osman Kavala, défenseur des droits humains, condamné à perpétuité en Turquie
Depuis la tentative de coup d’état en 2016, les droits humains en Turquie n’ont cessé de s’éroder. La répression s’étend à toutes les voix dissidentes (ou perçues comme telles) par l’orchestration d’arrestations arbitraires, d’enquêtes abusives et de condamnations infondées.
Les violations à la liberté d’expression et d’autres droits humains sont largement répandues et favorisées par le contrôle du gouvernement sur le pouvoir judiciaire. Ces dernières années, les Cours de justice ont condamné des personnes défendant les voix dissidentes telles que des défenseur·es de droits humains et des avocat·es ainsi que les opposant·es politiques même si elles mêmes ne sont pas impliquées directement. Les termes vagues de la loi antiterroriste sont utilisés pour poursuivre des personnes alors qu’aucune preuve d’activité criminelle n’a pu être établie.
Le verdict rendu dans le procès d’Osman Kavala ce lundi 25 avril illustre malheureusement bien la justice rendue par un système judiciaire défaillant.
Ce célèbre philanthrope Turc, emprisonné depuis plus de 4 ans ½, a été condamné à la prison à vie, sans remise de peine possible par la Cour Pénale No 13 d’Istanbul. Selon les juges, il est coupable d’avoir tenté de renverser le gouvernement du Président Recep Tayyip Erdoğan. Sept autres accusés dans le même procès ont été condamnés à 18 ans de prison.
Aucune preuve tangible n’a pu être avancée par les autorités et cette décision de la Cour démontre une fois de plus que la justice turque est à la solde d’un gouvernement qui met tout en œuvre pour faire taire ceux qui émettent des opinions différentes
L’indignation internationale est totale face à cette injustice.
Aucune preuve tangible n’a pu être avancée par les autorités et cette décision de la Cour démontre une fois de plus que la justice turque est à la solde d’un gouvernement qui met tout en œuvre pour faire taire ceux qui émettent des opinions différentes. Les juges turcs ont rendu des décisions politiquement motivées et la Turquie a ignoré outrageusement les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui réclamait la libération immédiate d’Osman Kavala. A moins que les Cours d’Appel n’annulent ce jugement, Osman Kavala passera le restant de ses jours en prison.
Ce verdict rendu à l’issue d’un procès inéquitable est non seulement dramatique pour Osman Kavala, sa famille et ses proches mais également pour quiconque croit en la justice et l’activisme des droits humains en Turquie.
Qui est Osman Kavala ?
Né à Paris en 1957, il fait des études d’économie au Royaume-Uni pour prendre ensuite la tête de l’entreprise familiale en Turquie. Très vite il se consacre à l’édition et inaugure en 1982 la prestigieuse maison d’édition Iletişim qui publie des ouvrages consacrés à la démocratisation de la Turquie. Afin de permettre le débat sur des sujets difficiles en Turquie tels que le génocide arménien, le droit des minorités, il crée en 2002 Anadolu Kültür, une fondation qui favorise le dialogue par le biais de projets culturels. Osman Kavala est un défenseur des droits humains acharné et une figure emblématique de la société civile turque. Il soutient de nombreuses organisations de droits humains et associations dont le but est de promouvoir la diversité culturelle et religieuse en Turquie, les droits humains et la résolution de conflits de manière pacifique.
Que lui reprochent les autorités turques ?
Osman Kavala est arrêté le 18 octobre 2017 dans la foulée des arrestations massives survenues après la tentative de coup d’Etat en juillet 2016. Il est accusé, ainsi que d’autres membres du personnel d’Anadolu Kültur, d’avoir tenté de renverser le gouvernement en finançant et organisant les manifestations massives du parc Gezi en 2013. Pour rappel, ce mouvement de protestation pacifique contre l’aménagement du parc Gezi à Istanbul s’est très vite transformé en manifestations massives dans toutes les grandes villes turques sous l’impulsion du peuple réclamant plus de libertés et de démocratie. Ces manifestations ont été sévèrement réprimées par la police qui a fait usage de la force de manière abusive et fait plusieurs morts et de nombreux blessés.
Le « procès » d’Osman Kavala : une parodie de justice
En juillet 2019, Amnesty International est présente à l’audience du procès qui se tient dans la prison de haute sécurité Silivri où il est en détention provisoire depuis deux ans. Osman Kavala déclare alors « il n’y a aucune preuve de mon implication dans l’organisation des manifestations du Parc Gezi. Aucune preuve de ma participation à des réunions ou rassemblements appelant à la violence. Au contraire, j’ai joué le rôle d’intermédiaire entre les manifestants et les autorités afin d’aboutir à une issue pacifique des évènements ». Pas le moindre commencement de preuve n’a pu être présenté au procès mais Osman Kavala reste néanmoins en prison.
En décembre 2019 la Cour Européenne des Droits de L’Homme juge que la détention d’Osman Kavala est abusive et qu’il doit être immédiatement libéré, que sa détention est politique, qu’elle a pour but de le réduire au silence et de dissuader d’autres personnes de s’engager dans des activités similaires et que sa détention est en violation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
En février 2020 il est acquitté de toutes les charges retenues contre lui dans le cadre du procès Gezi mais Osman Kavala n’a pas le loisir de profiter de sa liberté : quelques heures plus tard, un nouveau mandat d’arrêt est émis et accepté par une Cour d’Istanbul. Il est cette fois accusé de vouloir renverser l’ordre constitutionnel et d’espionnage dans le cadre du putsch manqué de 2016. Ces agissements témoignent de la manière dont le système pénal turc est utilisé pour réduire la société civile et les défenseurs au silence (le président honoraire d’Amnesty International Turquie, Taner Kılıç, accusé d’appartenance a une organisation terroriste, a lui aussi été réincarcéré le 1er février 2018 par un tribunal qui avait ordonné sa libération la veille).
L’appareil judiciaire turc est complètement dépendant du chef de l’Etat et que les juges qui osent prendre des décisions objectives et justes, risquent soit d’être démis de leurs fonctions soit emprisonnés.
Le jour même où Osman Kavala retourne en prison, le Président Erdoğan critique ouvertement la décision de la Cour locale qui a prononcé l’acquittement dans une émission télévisée. De plus, le Conseil des Juges et Procureurs autorise une enquête sur les trois juges de la Cour Pénale qui ont prononcé l’acquittement. Enfin, les medias proches du gouvernement affirment que le juge principal a des liens avec des personnes condamnées ou limogées parce qu’elles sont proches du mouvement Fethullah Gülen, mouvement que le Président Erdogan affirme être à l’origine du coup d’Etat manqué de juillet 2016. Ceci démontre que l’appareil judiciaire turc est complètement dépendant du chef de l’Etat et que les juges qui osent prendre des décisions objectives et justes, risquent soit d’être démis de leurs fonctions soit emprisonnés.
Que fait Amnesty ?
Nous nous sommes mobilisés pendant plus de 4 ans pour obtenir la libération d’Osman Kavala. Nous étions présents aux audiences du procès et avons pu constater l’iniquité du système de justice turc. Nous avons fait part de nos préoccupations à l’Ambassade de Turquie à Bruxelles et demandé que la Turquie mette en pratique les décisions de la CEDH. Nous avons sollicité notre Ministère des Affaires Etrangères afin qu’il soutienne auprès du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe la mise en place de sanctions pour non respect des décisions de la CEDH. Nous avons à plusieurs reprises contacté le Conseil de l’Europe qui conformément à notre demande a informé la Turquie qu’il saisira la CEDH sur la question du non-respect de la Turquie de se conformer à ses obligations.
La condamnation d’Osman Kavala est injuste et révoltante mais nous ne baisserons pas les bras et continuerons sans relâche notre mobilisation en sa faveur.