ONU : Première Commission sur le désarmement et la sécurité internationale Sophia Wistehube, Clinique des droits de l’homme de la faculté de droit de l’université Columbia

« Je n’aime plus le ciel bleu. Maintenant, je préfère le ciel gris. Les drones ne volent pas lorsque le ciel est gris. » C’est ce que Zubair Ur-Rehman a déclaré devant une commission du Congrès américain, au sujet d’une frappe de drone américaine qui a tué sa grand-mère Mamana alors qu’elle cueillait des légumes dans un champ au Pakistan en 2012. Zubair n’avait que 13 ans.

Je présente une déclaration appuyée par 46 organisations de la société civile, de 17 pays différents. Nous nous engageons en vue de prévenir et d’atténuer les dommages, notamment les violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, causés par l’usage de drones dans le déploiement de la force au niveau national et international.

L’utilisation de drones par certains États pour mener des frappes aériennes ces dernières années a causé de graves préjudices dans les communautés, notamment un nombre important de victimes et des dégâts psychologiques.

En outre, cette utilisation soulève de graves préoccupations tant sur le plan juridique qu’éthique, et va à l’encontre de l’état de droit.

Nous nous inquiétons de l’utilisation de drones armés par les États-Unis dans des pays comme le Pakistan, la Somalie et le Yémen, pour procéder à l’homicide de personnes soupçonnées d’être affiliées à certains groupes, ou contre des groupes ou des personnes qui semblent correspondre à un profil particulier. Nous nous interrogeons sur le fondement légal hautement contestable de ces frappes, leur caractère secret, et les préjudices que subissent les communautés et les familles. Nous sommes vivement préoccupés par le fait que certaines de ces frappes aériennes bafouent le droit à la vie. Le regain des opérations au Yémen et en Somalie, et les récentes informations selon lesquelles le gouvernement américain cherche à assouplir des contraintes d’ordre politique déjà limitées sur ces activités, ne font qu’aviver ces inquiétudes.

Toutefois, ce problème ne se limite pas aux activités d’un seul État.

Les caractéristiques spécifiques des technologies de drones risquent aussi de favoriser une augmentation du recours à la force létale au niveau mondial, en réduisant les obstacles d’ordre politique et pratique. Certains États se servent des drones pour étendre les contextes dans lesquels ils utilisent des armes explosives, y compris dans des situations de conflit armé extraterritorial.

L’utilisation, le déploiement et la prolifération des drones représentent donc des questions essentielles qui nécessitent une réponse urgente de la communauté internationale.

Nous notons que des États, emmenés par les États-Unis, s’efforcent actuellement d’élaborer des normes internationales régissant l’exportation et l’utilisation de « Véhicules aériens sans équipage (UAV) armés ou équipés pour des frappes ».

Cependant, nous craignons que cette initiative n’aboutisse à l’adoption de normes plus faibles que les normes existantes, qui ne couvriront pas tous les types de risques, de préjudices et de violations associés à l’utilisation des drones. Les recommandations détaillées appuyées par nombre de nos organisations concernant l’initiative conduite par les États-Unis sont accessibles à partir de la version intégrale en ligne de cette déclaration (Voir le document Joint civil society statement on US-led drone export initiative).

Ces travaux n’incluent pas encore tous les États et ne sont pas ouverts à tous les États, ni aux communautés touchées, aux acteurs humanitaires, des droits humains et du développement, et autres experts de la société civile.

Les questions que pose le rôle croissant des drones dans le recours à la force sont pourtant d’ordre international et touchent tous les pays du monde – le travail international ne doit pas être dominé par les seuls États producteurs et utilisateurs.

S’il est important de se pencher sur les questions de transferts et de pratiques des nouveaux utilisateurs, l’usage qu’en font ceux qui en produisent et en détiennent actuellement demeure problématique d’un point de vue humanitaire, et pose la question essentielle du respect du droit international et des normes internationales. Loin de répondre à cette problématique, l’initiative menée par les États-Unis s’attache à limiter la diffusion de cette technologie à d’autres États.

Les pratiques inacceptables, notamment celles qui sapent le droit international et l’état de droit, ou impliquent une assistance visant à faciliter un usage illégal, doivent être rejetées – et ne sauraient être ignorées ou négligées par la communauté internationale.

Une initiative internationale et un accord sur des normes sont essentiels pour prévenir et atténuer les préjudices actuels et futurs causés aux personnes du fait du recours croissant aux drones armés. Si les normes en cours d’élaboration peuvent représenter un grand pas en avant pour les États, il est clair qu’il faut poursuivre le travail pour trouver un accord sur les limites de l’usage acceptable des drones.

Nous saluons l’action de l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) en 2017, qui a réuni des États et des experts dans le cadre d’une série de rencontres afin d’étudier la question de la transparence, de l’obligation de rendre des comptes et de la supervision des drones armés, et attendons impatiemment cet automne la publication de recommandations pertinentes et de propositions pour aller de l’avant.

Nous saluons également la publication par la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen d’une proposition portant une position commune de l’UE sur l’utilisation des drones armés, qui met en avant les principes de transparence et d’obligation de rendre des comptes, ainsi que des recommandations sur le contrôle des exportations que les États membres sont invités à adopter.

Nous demandons qu’une plus grande attention soit accordée à la question de l’utilisation des drones armés lors de tous les forums internationaux concernés, notamment au sein de la Première Commission, du Conseil des droits de l’homme et de ses procédures spéciales.

Les États, en partenariat avec les organisations internationales et la société civile, doivent œuvrer à prévenir et atténuer les préjudices induits par les drones, répondre aux droits et aux besoins des victimes, prendre en compte les victimes et garantir la transparence, l’obligation de rendre des comptes et la surveillance de ces systèmes.

Signataires :

Alliance des baptistes, États-Unis
Amnesty International
Article 36
Centre pour les civils dans les conflits (CIVIC)
CILD (Coalizione Italiana Libertà e Diritti civili)
Coalition for Peace Action
Colombian Campaign to Ban Landmines
Comité des 100 en Finlande
CorpWatch
Drone Campaign Network
Drone Wars UK
Centre européen pour les droits de l’Homme et constitutionnels (ECCHR)
Faith Voices Arkansas
Fondation pour les droits fondamentaux, Pakistan
Gender Advocacy for Justice Initiative (GAJI), Nigeria
Clinique des droits de l’homme (faculté de droit de l’université Columbia)
Human Rights First
Human Rights Now, Japon
IANSA – Réseau de femmes Nigeria
Interfaith Network on Drone Warfare, États-Unis
Commission internationale de juristes
Comité international pour le contrôle des armes robotisées (ICRAC)
Mouvement pour le désarmement israélien
Just Foreign Policy
Medact, Royaume-Uni
Mwatana Organization for Human Rights, Yémen
Conseil national des Églises du Christ aux États-Unis
Campagne religieuse nationale contre la torture, États-Unis
Nonviolence International Southeast Asia
Nuhanovic Foundation, Pays-Bas
Omega Research Foundation
On Earth Peace
PAX
Pax Christi Flanders
Peace Action
Peace Movement Aotearoa
Pennsylvania Council of Churches
Rete Italiana per il Disarmo (Réseau italien pour le désarmement)
Scientifiques pour la responsabilité mondiale
SEHLAC Network – Red para la Seguridad Humana en Latinoamérica y el Caribe
Sustainable Peace and Development Organization (SPADO), Pakistan
Whistleblower & Source Protection Program (WHISPeR) at ExposeFacts
Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF)
Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté – Nigeria
Women’s Right to Education Programme (WREP), Nigeria
Conseil œcuménique des Églises

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