Sheffra, l’épouse du journaliste zimbabwéen Itai Dzamara, a raconté de façon poignante la douloureuse quête qu’elle mène pour savoir ce qu’il est advenu de son mari, dont elle est sans nouvelles depuis 2015. Itai Dzamara fait partie des nombreuses personnes qui ont fait l’objet d’une disparition forcée et ce, uniquement parce qu’il faisait son travail.
À l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée (le 30 août), et des 20 ans de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, nous rendons un hommage tout particulier aux personnes courageuses qui ont été soumises à une disparition forcée alors qu’elles défendaient les droits humains, et à celles qui continuent de lutter contre les disparitions forcées malgré les menaces et le harcèlement constants, et malgré l’absence de réaction des autorités.
La disparition forcée est l’une des pires violations des droits humains. Elle a un effet destructeur sur la victime, ses proches, ses amis et la société en général. Les proches et les amis des personnes victimes d’une disparition forcée ressentent une angoisse profonde des dizaines d’années encore après les faits, ne sachant toujours pas ce qui est arrivé à ces personnes depuis qu’ils sont sans nouvelles d’elles. L’incertitude quant à leur sort, le fait de ne pas savoir si elles sont toujours en vie ou de se demander si elles souffrent dans un endroit horrible et secret, fait de la disparition forcée un long calvaire.
Les gouvernements répressifs recourent depuis longtemps à cette méthode pour réduire au silence la dissidence et ceux qui les critiquent. La disparition forcée ne touche pas uniquement une personne : elle propage la peur comme se propage un feu de forêt, du fait du secret et de l’impunité, adressant un message effrayant à de nombreuses autres personnes. Nul ne se sent en sécurité, car nul ne sait ce qui est arrivé ni qui sera l’éventuelle prochaine victime.
Les proches et les amis des personnes victimes d’une disparition forcée ressentent une angoisse profonde des dizaines d’années encore après les faits, ne sachant toujours pas ce qui est arrivé à ces personnes depuis qu’ils sont sans nouvelles d’elles.
Lors de la préparation du récent rapport d’Amnesty Deadly but preventable attacks, nous nous sommes entretenus avec des proches, des amis et des collègues de défenseurs des droits humains qui ont été tués ou soumis à une disparition forcée uniquement en raison de leur travail. Les ondes de choc de ces attaques atteignent les proches des victimes ainsi que les autres défenseurs des droits humains et le reste de la société, la peur et le désespoir s’insinuant dans leur vie quotidienne. Cela s’accentue encore quand personne n’est amené à réponde de ces agissements, car on comprend alors qu’ils sont tolérés par les autorités, ce qui accroît le risque de les voir se répéter. La disparition forcée est une atrocité utilisée pour intimider et paralyser les défenseurs des droits humains. Et quand les défenseurs des droits humains sont muselés, qui peut alors défendre les droits de tous ?
Au cours des dernières années, on a pu constater quelques timides progrès. Ainsi, en Thaïlande, les autorités ont enfin annoncé qu’elles allaient ouvrir une enquête sur le cas de Pholachi Rakchongcharoen, connu sous le nom de « Billy », un militant karen qui a fait l’objet d’une disparition forcée après son arrestation, en 2014. Les autorités thaïlandaises se sont en outre engagées à faire progresser l’adoption, retardée depuis longtemps, d’un projet de loi réprimant pénalement les disparitions forcées, en 2018. Au Pakistan, Samar Abbas, un militant soumis à une disparition forcée en janvier 2017, a finalement été relâché en mars 2018. Personne n’a toutefois été déféré à la justice pour ce crime, et les disparitions forcées se poursuivent, et les voix critiques sont de plus en plus étouffées.
La disparition forcée est une atrocité utilisée pour intimider et paralyser les défenseurs des droits humains. Et quand les défenseurs des droits humains sont muselés, qui peut alors défendre les droits de tous ?
Dans d’autres cas, aucun progrès n’a été noté. On n’a plus aucune nouvelle depuis 2013 des défenseurs syriens des droits humains Razan Zaitouneh, Wael Hamadeh, Samira Khalil et Nazem Hammadi, appelés les quatre de Douma. Dong Samuel Luak, un avocat sud-soudanais spécialisé dans la défense des droits humains, et Aggrey Idri, un opposant au gouvernement, ont été enlevés à Nairobi en janvier 2017 et la dernière fois qu’ils ont été aperçus, ils étaient détenus à Djouba. Jusqu’à présent, ni les autorités kenyanes ni les autorités sud-soudanaises n’ont admis leur responsabilité pour ces deux disparitions forcées, et leurs familles n’ont reçu des autorités aucune information sur le lieu où ils se trouvent et sur ce qui leur est arrivé.
Plus de deux décennies après la fin du conflit armé en ex-Yougoslavie, on est toujours sans nouvelle de 12 000 personnes qui ont disparu en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Croatie et en Serbie-et-Monténégro. On ignore ce qu’il est advenu d’elles, et leurs proches continuent courageusement de demander la vérité, justice et des réparations.
Ahmed Mansoor, défenseur des droits humains aux Émirats arabes unis, est détenu depuis 2017 dans un lieu non confirmé, et il n’a quasiment aucun contact avec le monde extérieur, notamment avec ses proches et son avocat. Il a été condamné à 10 ans d’emprisonnement en mai cette année, et continue d’être détenu dans des conditions constituant une disparition forcée.
Dans d’autres cas, des personnes cherchant à obtenir la vérité, justice et des réparations pour des victimes de disparition ont elles-mêmes été prises pour cible. Au Sri Lanka, Sandhya Eknaligoda, militante de la lutte contre les disparitions forcées et épouse du dessinateur de presse disparu Prageeth Ekneligoda, a récemment été la cible d’une avalanche de haine, de violence, d’intimidation, de harcèlement et de menaces de mort sur les réseaux sociaux. L’an dernier, au Bangladesh, des étudiants qui protestaient pacifiquement contre l’absence de vérité et de justice dans l’affaire Kalpana Chakma, une défenseure indigène des droits humains soumise à une disparition forcée en 1996, ont été attaqués par les forces de sécurité.
Dans d’autres cas, des personnes cherchant à obtenir la vérité, justice et des réparations pour des victimes de disparition ont elles-mêmes été prises pour cible.
Demander la vérité, justice et des réparations pour les victimes de disparition forcée, cela demande beaucoup de temps, de courage et de dévouement. Les amis et la famille sont souvent forcés de diriger les initiatives visant à retrouver la trace des disparus et, ce faisant, ils deviennent eux-mêmes des défenseurs des droits humains. Ils ont besoin de notre soutien et de notre solidarité.
En cette journée internationale de commémoration des victimes de disparition forcée, nous devons aussi soutenir le combat de tous les courageux défenseurs des droits humains qui continuent de se battre pour mettre fin à ce crime atroce, et nous joindre à eux quand ils demandent la vérité, justice et réparation.