S’élevant à 177,8 % du PIB en 2018 – la plus forte de l’UE – la dette pourrait atteindre 250 % du PIB d’ici 2060, selon les prévisions dévoilées avant les débats.
Ces discussions étaient cruciales pour la viabilité de l’économie grecque, mais aussi pour éviter toute nouvelle dégradation de la situation des droits humains dans le pays du fait de l’austérité. Selon les prévisions du FMI (Fonds monétaire international), le gouvernement grec pourrait dépenser près de 45 % du PIB uniquement pour le service de la dette d’ici 2060, ce qui lui laissera très peu de ressources disponibles pour ses autres obligations légales, comme la réalisation des droits économiques et sociaux de ses citoyens – droits à la santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité sociale et au travail notamment. Les termes d’un accord sur la dette pourraient également supposer des conditions ou inclure des critères qui sapent ou limitent la capacité du gouvernement grec à réaliser les droits économiques et sociaux de tous les citoyens.
Les débats sur l’avenir économique de la Grèce doivent impérativement prendre en compte les préoccupations relatives aux droits fondamentaux. Au cours des 10 dernières années, les créanciers – ainsi que les autorités grecques qui prennent part aux négociations – ont mis sur la touche les obligations de la Grèce en termes économiques et sociaux, aux dépens de la population. Les deux parties semblent oublier que, même en période de crise économique, ces obligations s’appliquent et ne sauraient être ignorées.
Dans ces circonstances, rien de surprenant à ce que les organes de suivi des droits humains aient régulièrement fait part de leurs préoccupations quant aux graves répercussions des mesures d’austérité en Grèce sur les droits humains, notamment sur les droits à la santé, au logement, à l’éducation, au travail et à la sécurité sociale. Selon un expert de l’ONU s’exprimant sur les effets de la dette extérieure, « les droits sociaux et économiques sont niés de manière généralisée [en Grèce]… Les mesures d’austérité mises en œuvre depuis 2010 y ont largement contribué ». Par exemple, entre 2009 et 2016, les besoins sanitaires non satisfaits pour des motifs financiers ont triplé en Grèce, passant de 4 à 12 %. Durant cette période, les dépenses publiques consacrées à la santé ont pratiquement diminué de moitié, passant de 16 184 millions d’euros (2009) à 8 552 millions d’euros (2016).
Au cours des 10 dernières années, les créanciers – ainsi que les autorités grecques qui prennent part aux négociations – ont mis sur la touche les obligations de la Grèce en termes économiques et sociaux, aux dépens de la population
Et le peuple grec n’est pas le seul à avoir souffert. Les mesures d’austérité adoptées dans le cadre de la crise économique de 2008 ont eu de graves conséquences sur les protections des droits économiques et sociaux dans plusieurs pays. Dans un rapport publié en avril 2018, Amnesty International révélait que la politique d’austérité en Espagne a rendu les soins de santé moins accessibles et moins abordables. Elle a contribué à doubler ou presque les délais d’attente pour une intervention chirurgicale et les malades atteints d’affections chroniques ont de telles difficultés à payer les médicaments dont ils ont besoin qu’ils sont bien souvent amenés à les rationner. Ces mesures ont un impact particulier et disproportionné sur les personnes à faibles revenus, notamment sur les personnes âgées, celles qui ont besoin de soins et de traitements de santé mentale, celles qui souffrent de handicaps ou de maladies chroniques.
Amnesty International révélait que la politique d’austérité en Espagne a rendu les soins de santé moins accessibles et moins abordables. Elle a contribué à doubler ou presque les délais d’attente pour une intervention chirurgicale et les malades atteints d’affections chroniques ont de telles difficultés à payer les médicaments dont ils ont besoin qu’ils sont bien souvent amenés à les rationner.
Amnesty International étudie actuellement l’impact des mesures d’austérité sur le droit à la santé en Grèce et a communiqué par écrit ses principales inquiétudes aux parties impliquées dans les discussions de la semaine dernière sur ce qu’il convient de faire au sujet de la dette grecque. Elle a mis l’accent sur le fait que les obligations relatives aux droits humains du gouvernement grec et de ses créanciers – jusqu’à présent fortement ignorées – doivent être au cœur de ces discussions. Plus précisément, nous avons demandé aux deux parties de :
• veiller à ce que les termes d’un accord sur la dette, notamment le poids financier du service de la dette, ne compromettent pas la capacité de la Grèce à allouer les ressources financières et autres nécessaires à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels ;
• évaluer l’impact en termes de droits humains d’un futur accord sur la dette, et de toute proposition de changement des programmes de réforme économique ;
• prendre des mesures afin de compenser l’impact que la crise économique et les mesures d’austérité mises en place depuis 10 ans ont eu sur les droits économiques, sociaux et culturels des citoyens, et tout particulièrement sur les groupes marginalisés.
Il est urgent de réaliser une évaluation globale de l’impact en termes de droits humains de près de 10 ans d’austérité en Grèce, et d’amener les décideurs à rendre des comptes. Dans l’intervalle, toute décision qui sera prise ne devra surtout pas aggraver ces préjudices. Placer les obligations relatives aux droits humains au cœur de toute discussion est une première mesure nécessaire, bien que tardive, afin que les souffrances des 10 dernières années ne soient pas balayées d’un revers de main.