Malgré la chute du régime d’Omar el Béchir après trois décennies, la situation des droits humains au Soudan, qui s’est fortement dégradée depuis le début des manifestations, continue à s’aggraver. Beaucoup des manifestant·e·s appelant à la paix, à la justice, au respect de l’état de droit et à des réformes économiques ont payé ce changement de leur vie et de leur liberté.
Les forces de sécurité soudanaises ont violemment réprimé les manifestations en tuant illégalement des manifestants, en les rouant de coups dans la rue, en les détenant illégalement et en leur infligeant des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Les forces de sécurité ont fait irruption dans des hôpitaux et tiré des munitions réelles et du gaz lacrymogène sur les patient·e·s et le personnel médical pour tenter d’arrêter des manifestant·e·s blessé·e·s, ce qui constitue une violation scandaleuse du droit international.
L’éviction d’Omar el Béchir offre une occasion sans précédent d’intégrer les droits humains dans le processus de transition.
Les autorités soudanaises ont d’ores et déjà mis fin à l’état d’urgence proclamé le 22 février, libéré des manifestant·e·s et promis de traduire en justice les agents des forces de sécurité qui ont tué des manifestant·e·s. Néanmoins, il reste beaucoup à faire pour faciliter une transition pacifique, garantir l’obligation de rendre des comptes et construire un Soudan qui protège, respecte et concrétise les droits humains.
Amnesty International a établi les priorités suivantes en matière de droits humains pour la période de transition :
- 1. Respecter les droits humains
Les droits des Soudanais·es aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, qui sont cruciaux pour la transition, doivent être protégés, respectés et concrétisés.
- 2. Mettre fin à la répression de la dissidence et des manifestations pacifiques
Autoriser les manifestations, y compris le sit-in en cours devant le quartier général de l’armée à Khartoum, la capitale. Cesser d’avoir recours à une force excessive et meurtrière contre les manifestant·e·s. Alors même qu’Omar el Béchir a été évincé, les forces de sécurité continuent d’avoir recours à la force meurtrière contre les manifestant·e·s. Le 21 avril, les forces de sécurité ont blessé des manifestant·e·s dans la ville de Kutum, au Darfour septentrional ; le 4 mai, elles ont tué une personne lors d’une manifestation à Nyala, au Darfour méridional.
- 3. Libérer les prisonniers d’opinion
Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes arrêtées pour avoir exercé pacifiquement leurs droits aux liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association depuis le début des manifestations à la mi-décembre 2018, y compris les étudiant·e·s darfourien·e·s arrêtés en décembre 2018.
- 4. Livrer l’ancien président Omar el Béchir à la Cour pénale internationale (CPI)
Révéler rapidement où se trouve l’ancien président Omar el Béchir et le remettre sans délai à la CPI afin de garantir que justice soit rendue pour les atrocités commises au cours de ses 30 années au pouvoir. Cinq chefs d’accusation pour crimes contre l’humanité, deux chefs d’accusation pour crimes de guerre et trois chefs d’accusation pour génocide au Darfour ont été retenus contre Omar El Béchir.
- 5. Mettre fin à l’impunité endémique
a. Suspendre les éléments de l’armée, de la police et des services de renseignement soupçonnés d’avoir participé à des crimes de droit international et à d’autres graves violations des droits humains pendant la durée de l’enquête et veiller à ce que les suspects soient poursuivis lorsqu’il y a suffisamment de preuves recevables.
b. Faire juger dans le cadre de procès équitables, sans recours à la peine de mort, tous les agents des forces de sécurité, personnalités politiques et autres personnes soupçonnées d’avoir commis de graves violations des droits humains et des crimes de droit international (génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment).
- 6. Donner des informations sur les membres du parti du Congrès national qui sont en détention
Révéler où se trouvent tous les membres du parti du Congrès national arrêtés et détenus et les inculper d’une infraction dûment reconnue par la loi, conformément aux obligations du Soudan au regard du droit international et sans recourir à la peine de mort, ou les libérer. Respecter les droits de ces détenus, veiller à ce qu’ils puissent consulter l’avocat de leur choix, recevoir des visites de leur famille et bénéficier de soins médicaux. Ils ne doivent pas subir d’actes de torture ni d’autres mauvais traitements en détention.
- 7. Réformer le Service national de la sûreté et du renseignement (NISS)
a. Entreprendre immédiatement une réforme du NISS afin que celui-ci respecte les obligations internationales du pays en matière de droits humains.
b. Lever les immunités accordées par la Loi relative à la sécurité nationale de 2010, qui confère aux agents du NISS le pouvoir d’arrêter et de placer en détention des personnes.
- 8. Diligenter des enquêtes impartiales sur les homicides et la torture
Les enquêtes concernant toutes les allégations formulées depuis décembre 2018 au sujet d’homicides illégaux, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements, et de morts en détention doivent être équitables, efficaces, exhaustives et transparentes. Des mesures doivent être prises pour que les auteurs présumés soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables, excluant tout recours à la peine de mort.
- 9. Établir un calendrier de réforme de la législation relative à la sécurité nationale et d’autres textes de loi
Amnesty International est convaincue que ce processus doit être exhaustif et comprendre l’examen et la modification des lois relatives à l’ordre public, aux infractions pénales, à la procédure pénale, au statut personnel, ainsi qu’à la presse et l’édition.
- 10. Instaurer un moratoire officiel sur les exécutions
a. Abolir la peine de mort.
b. Supprimer les articles qui imposent des châtiments corporels.