Ne tirez pas sur les messagers

Par Simeon Mawanza, spécialiste de l’Afrique australe au sein d’Amnesty International

Mercredi 4 novembre, trois journalistes ont été conduits dans une salle d’audience à Harare, menottés comme des criminels de droit commun. Leur « crime » ? Oser faire leur travail d’une façon qui a déplu à la police zimbabwéenne. Les journalistes ont affirmé que plusieurs policiers, dont un officier supérieur, étaient impliqués dans l’abattage d’éléphants du parc national Hwange. La police estime que l’article a terni l’image du Zimbabwe. Je ne suis pas de cet avis.

Il n’existe aucune excuse au mauvais journalisme. Cependant, même s’il s’avérait que l’article publié dans le Sunday Mail était une pure invention, le comportement des policiers envers les journalistes reste inacceptable.
En arrêtant ces personnes et en les plaçant en détention pendant deux jours, les agents ont enfreint la loi. Leur comportement était motivé par la vengeance et ils ont agi au mépris de la constitution du Zimbabwe, qui protège le droit à la liberté d’expression. La personne, quelle qu’elle soit, qui a ordonné leur arrestation a une fois de plus placé le Zimbabwe sous le feu des projecteurs pour de mauvaises raisons.

Selon l’article publié dimanche 1er novembre, certains policiers, dont un commissaire adjoint, feraient partie d’un syndicat responsable de l’abattage d’éléphants au cyanure dans le parc national Hwange. Le journal n’a pas nommé les policiers, pour des raisons juridiques évidentes.

D’après de nombreux témoignages, les policiers sont arrivés dans les bureaux du journal lundi 2 novembre et ont demandé aux journalistes de révéler l’identité de leur source. Ces derniers ont refusé. S’ils avaient accepté, ils auraient risqué de mettre en danger leur informateur, qui aurait été exposé à l’ire de la police nationale. En nommant leur informateur, ils auraient en outre enfreint leur éthique professionnelle, qui impose aux journalistes de ne pas divulguer l’identité des sources confidentielles.

Lors de leur audience, Mabasa Sasa, rédacteur en chef, Brian Chitemba, responsable des investigations, et Tinashe Farawo, journaliste, ont été inculpés de « publication de fausses informations ». Ce chef d’inculpation a été utilisé au Zimbabwe contre des dizaines de journalistes, travaillant principalement pour les médias privés, qui ont été arrêtés ces dernières années. Ils ont tous été acquittés. En effet, l’article 31 de la Loi relative à la codification et à la réforme du droit pénal, qui avait permis leur inculpation, a été jugé inconstitutionnel en vertu de l’ancienne constitution, et cela n’a pas changé.

La nouvelle de l’arrestation des journalistes du Sunday Mail s’est répandue rapidement, suscitant consternation et approbation dans le monde entier. Au Zimbabwe, les médias privés et ceux contrôlés par l’État ont unanimement condamné le comportement brutal des policiers.

Cette affaire a aussi eu un effet paralysant sur les médias zimbabwéens, car elle pourrait entraîner une restriction de leur capacité à révéler les activités criminelles présumées de membres des autorités.

Si les policiers s’étaient sentis calomniés par cet article, ils auraient pu, en passant par leurs avocats, demander au journal de retirer son article. Ils auraient également pu donner leur version des faits, ou même menacer de poursuivre le journal devant la justice civile. Lorsqu’ils statuent sur des affaires de diffamation, les tribunaux devraient souligner l’importance d’un débat ouvert sur les sujets d’intérêt public et rappeler le principe selon lequel les personnalités publiques sont tenues de montrer plus de tolérance envers les critiques que les simples citoyens. Les policiers auraient dû se plaindre auprès du conseil bénévole des médias du Zimbabwe ou d’autres organismes chargés de garantir un journalisme éthique.

Malheureusement, la réaction brutale des policiers n’est pas une surprise. À maintes reprises, la police nationale du Zimbabwe a ignoré les droits des personnes qui, selon elle, avaient offensé les autorités. Ce genre de conduite tourne en dérision la nouvelle Constitution, adoptée en mai 2013, qui protège un large éventail de droits fondamentaux.

Au fil des ans, j’ai interrogé un grand nombre de défenseurs des droits humains et de militants politiques au Zimbabwe qui ont eu la malchance de finir en cellule pour avoir osé exercer leurs droits. Ils ont été frappés à coups de matraque, de poing, de pied... On les a empêchés de consulter leurs avocats et privés de nourriture et de soins médicaux. Ils ont été traînés devant les tribunaux de façon humiliante et ont subi une détention prolongée parce que la liberté sous caution leur avait été injustement refusée. Ray Choto, Mark Chavhunduka, Jestina Mukoko, Jenni Williams et Lovemore Madhuku font partie des noms les plus célèbres que vous pourriez connaître, mais ils sont des centaines à souffrir ainsi.

Nous pourrons suivre dans les semaines à venir le procès des journalistes du Sunday Mail. À en juger par les affaires passées, nous allons avoir droit à des procureurs et des témoins policiers qui vont se répandre en déclarations, tandis que les journalistes qui couvriront le procès pour les médias zimbabwéens craindront d’être arrêtés s’ils le relatent trop en détail. Mais si de telles simagrées devaient avoir lieu en salle d’audience, peu de Zimbabwéens se laisseraient abuser et verraient dans ce procès autre chose qu’une parodie de justice.

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