Turquie. Lutter pour retrouver du souffle malgré la répression Andrew Gardner, chercheur sur la Turquie à Amnesty International, rend compte du procès de Taner Kılıç et des difficultés que rencontre la société civile turque.

« J’ai rencontré des milliers de personnes passionnées dans le cadre de mon travail, et Taner Kılıç compte parmi les plus remarquables et les plus engagées, a déclaré Michel Gaudé, ancien représentant au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Turquie. Pourtant, aujourd’hui, il est jugé pour des accusations de terrorisme forgées de toutes pièces. »

S’il est déclaré coupable, Taner Kılıç risque jusqu’à 15 ans de détention.

J’ai rencontré pour la première fois cet avocat spécialisé dans la défense des droits humains et président d’Amnesty International Turquie en 2014. Il était alors, comme aujourd’hui, sérieux et déterminé, mais aussi gai et plein d’humour. Je l’appréciais beaucoup et j’étais très impressionné par son travail inlassable pour venir en aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile qui avaient si peu de personnes vers qui se tourner. Il luttait pour ceux qui étaient détenus ou risquaient l’expulsion. Il négociait avec les autorités locales et plaidait leur cause au tribunal. Il organisait des formations en droits humains pour la police locale et les représentants de l’État. Et il mobilisait et motivait les citoyens afin de contribuer à améliorer la vie de ces réfugiés. Porte-parole efficace et fervent militant de la cause des réfugiés - un mélange épatant pour un défenseur des droits humains.

Face au durcissement de la répression consécutive au coup d’État, nous avons plus que jamais besoin de gens comme Taner Kılıç. Comme en témoigne sa situation, en Turquie, s’exprimer pour défendre les libertés d’autrui peut vous coûter la vôtre.

Arrêté il y a près de huit mois, Taner Kılıç a été inculpé d’« appartenance à une organisation terroriste ». La principale accusation portée à son encontre repose sur le fait qu’il aurait téléchargé ByLock, application de messagerie mobile cryptée qui, selon les autorités turques, était utilisée par les membres du mouvement Gülen à l’origine de la tentative du coup d’État de 2016.

Huit mois plus tard, le ministère public n’a fourni aucune preuve crédible venant étayer son affirmation ni démontrer une quelconque accusation légitime d’infraction pénale. Au contraire, deux analyses indépendantes ont conclu qu’il n’y avait aucune trace de ByLock sur son téléphone.

Taner Kılıç n’est pas le seul à faire l’objet d’allégations absurdes. Force est de constater qu’une politique gouvernementale cible les défenseurs des droits humains. L’homme d’affaires, philanthrope et leader de la société civile Osman Kavala a été arrêté en octobre. Aucun élément n’a été présenté pour étayer l’accusation choquante, relayée par les journaux gouvernementaux, qui pointait sa participation à la tentative de coup d’État.

Du fait de ses activités militantes au sein de la société civile, Raci Bilici, enseignant et président de la section de Diyarbakir de l’Association des droits de l’humain, est accusé d’appartenir au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé organisation terroriste par le gouvernement turc.

La situation est claire. Si vous êtes efficace, si vous êtes une épine dans le pied de ceux que la défense des droits humains dérange, vous en paierez le prix. S’en prendre à des personnalités a pour objectif d’effrayer et de réduire au silence les communautés qu’elles représentent.

Le mois dernier, les autorités turques ont opéré un revirement surprenant : elles ont reconnu leur erreur et admis que des milliers de personnes avaient été accusées à tort d’avoir téléchargé ByLock. Elles ont publié la liste de 11 480 numéros de téléphone portable, exonérant leurs utilisateurs de l’infraction présumée, ce qui a permis à de nombreux prisonniers de recouvrer la liberté. Hélas, Taner Kılıç n’a pas encore été inscrit sur ces listes. Le caractère inique de sa détention est limpide et avéré. Pourtant, son procès se poursuit.

Néanmoins, le fait que les autorités reconnaissent que des milliers de personnes ont été incarcérées à tort du fait d’informations erronées quant à la présence de ByLock sur leurs téléphones redonne de l’espoir à ceux qui se mobilisent en faveur de sa libération. Et nous sommes nombreux. En effet, au cours des huit derniers mois, plus d’un million de personnes de 194 pays et territoires ont signé les appels d’Amnesty International demandant la libération de Taner Kılıç et l’abandon des charges pesant sur les 10 défenseurs des droits humains jugés en même temps que lui. Des responsables politiques et des grands noms du monde de l’art ont signé ces appels. Ils savent que pour que la société civile turque jadis pleine de vie retrouve du souffle, Taner Kılıç et les défenseurs des droits humains doivent être libérés.

« J’ai l’impression de vivre un cauchemar et j’attends de me réveiller », me confiait lors de la dernière audience Gulnihal Kılıç, sa fille. Voir aujourd’hui son père dans sa cellule via une connexion video sera éprouvant pour Gulnihal. Mais elle est aussi très fière de lui, tout comme je le suis. Je suis fier du travail qu’il a accompli pour transformer la vie de tant de gens. Fier de sa détermination à se mobiliser pour ce qui est juste. Surtout, je suis fier de compter parmi ses amis.

Cet article a initialement été publié par le Deutsche Welle.

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