Vente d’armes : marre d’être complices de criminels Collectif de signataires d’Amnesty, la Ligue des droits de l’homme et la CNAPD

Il y a six ans, la Wallonie votait – enfin – un décret qui mettait en place ses obligations internationales en matière de ventes d’armes : le Traité des Nations unies sur le commerce des armes, et la Directive européenne sur le sujet. Mais en pratique, la Wallonie à tout faux...

Même si les défenseurs des droits humains avaient souhaité des dispositions plus vigoureuses, notre Région se dotait malgré tout d’un instrument intéressant. L’esprit du décret en tout cas était clair : « Le Gouvernement […] refuse la licence d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne ou s’il existe suffisamment d’indications à l’égard d’un pays destinataire donné que l’exportation y contribuera à une violation flagrante des droits de l’homme ou lorsqu’il est établi que des enfants-soldats sont alignés dans l’armée régulière ».

Nous pouvions, ainsi que tous les parlementaires ayant voté ce texte, être rassurés : fini de fournir des armes à des régimes qui violent les droits humains ou commettent des crimes de guerre.

On en est loin dans la pratique. Le meilleur client de la Wallonie, l’Arabie saoudite, enferme, fouette ou décapite ses opposants politiques, féministes ou blogueurs. Elle commet des crimes de guerre au Yémen depuis trois ans sur une échelle invraisemblable. Ce pays a subi plus de 16.000 raids aériens depuis mars 2015 – l’équivalent d’un bombardement toutes les 90 minutes – tandis que plus d’un tiers de ces attaques ont ciblé des infrastructures civiles. La catastrophe humanitaire (8,4 millions de Yéménites sont menacés de famine et le pays connaît la pire épidémie de choléra de l’histoire moderne) est aggravée par le blocus des ports et des aéroports imposé par l’Arabie saoudite. Cette dernière vient de lancer une offensive aérienne terrible contre le port d’Hodeïda, d’une importance vitale pour le Yémen. Il représente le point d’entrée principal pour les importations et l’aide humanitaire.

Comment se fait-il qu’un pays qui rassemble tous les critères requis pour ne pas figurer sur la liste de nos clients y soit quand même ? Comment expliquer que nous violions le décret voté il y a six ans ?

Il y a bien sûr une volonté politique de procéder ainsi. Les gouvernements successifs ont accepté d’armer ces criminels, en toute connaissance de cause. Nous n’avons pas manqué de les alerter sur les faits. Mais ceux-ci sont manifestement moins importants que des considérations strictement politiciennes.

Il est temps d’être « ferme et humain »

Le dernier Ministre-Président a appelé (gentiment) les entreprises wallonnes exportatrices d’armes à diversifier leurs marchés et clientèle, pour éviter de dépendre ainsi de licences accordées à des criminels (même le Parlement fédéral a voté en 2017 une résolution demandant la suspension des ventes d’armes à l’Arabie saoudite). Mais nous attendons autre chose que des souhaits polis. Il est temps d’être « ferme et humain », Monsieur Borsus. Il est temps de le lui rappeler, Mesdames et Messieurs les parlementaires.

Il faut aussi souligner que les arrêtés d’application concernant la commission d’avis instituée par le décret et « chargée de formuler, à la demande du Gouvernement ou d’initiative, des avis motivés dans le cadre de l’analyse des demandes d’exportation de produits liés à la défense » n’ont jamais été adoptés, ce qui signifie que nous ne connaissons toujours pas sa composition, son mode de fonctionnement ou encore les règles qui gouvernent ses prises de décision. Six ans après l’adoption du décret dont nous fêtons l’anniversaire, le gouvernement wallon n’a toujours pas trouvé le temps de mettre sur pied un organe qui permettrait de donner un peu plus de transparence à cette matière caractérisée par l’opacité. Alors que la transparence est le nouveau leitmotiv du monde politique en général et de ce gouvernement en particulier.

Une information totalement insuffisante

Il faut aussi reconnaître que, contrairement à d’autres pays européens, nos élus du Parlement wallon n’ont rien à dire. Ils sont bien sûr « informés », mais des mois plus tard, des licences accordées. Et encore, le niveau d’information est totalement insuffisant. Comme le rappelle fort bien le GRIP, « des informations détaillées sur la valeur, le type, la quantité et la destination des exportations effectives d’armement sont essentielles, mais pourtant absentes des rapports annuels wallons. Depuis la régionalisation de la compétence sur le contrôle des exportations d’armes en 2003, aucun détail n’est plus communiqué sur les exportations effectives. La Région wallonne ne fournit qu’un montant global annuel se basant sur plusieurs sources d’information, sans aucun détail sur la valeur, le type, la quantité et la destination. »

Des informations insuffisantes, tardives (la « sous-commission armes » informée six mois après l’octroi des licences, à huis clos, le reste du Parlement et le public un an plus tard), et qui ne permettent pas de remettre en question les décisions prises. Ce n’est pas le cas partout en Europe : aux Pays-Bas et en Allemagne, les gouvernements informent directement les parlementaires. La Flandre fait part de ses décisions à son parlement et au public un mois après les avoir prises. La Suède va même plus loin, puisqu’elle peut consulter ses élus avant le choix – de manière confidentielle bien sûr.

On le voit, les exemples ne manquent pas. Il serait temps de revoir le décret afin d’y installer les garanties d’un réel débat démocratique.

Il faut que le Parlement wallon retrouve son pouvoir sur des matières aussi cruciales que celles de la vente d’armes à des criminels. C’est une question de volonté de nos parlementaires de s’engager à améliorer et faire respecter la loi. Ou nous serons tous complices.

Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International Belgique francophone

Naïma Regueras, présidente de la Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie

Olivia Venet, présidente de la Ligue des droits de l’Homme

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