Neuf minutes et 29 secondes
Neuf minutes et 29 secondes ont changé le cours de l’histoire. En moins de dix minutes, des millions de personnes ont assisté à une mort en direct, tandis que les passant·es appelaient à la pitié. Quelque chose d’ancien et de douloureux dans l’âme de ce pays s’est fissuré.
Dans les jours qui ont suivi, les États-Unis ont connu l’un des plus profonds soulèvements en faveur de la justice raciale depuis l’époque des droits civiques. Et pendant un moment - juste un moment - il a semblé que le changement allait enfin se produire. Mais aujourd’hui, cinq ans plus tard, nous nous posons des questions : Qu’est-ce qui a vraiment changé ? Si la date est différente, tant de choses semblent être restées les mêmes, voire pires.
À l’époque...
À cette époque, en 2020, notre pays était en proie à une pandémie mondiale. Tandis que le virus dans l’air menaçait des vies, la maladie de la suprématie blanche était mise à nu. Celles et ceux qui prétendaient ne pas croire que les injustices raciales étaient aussi répandues ou graves ont été témoins, sur vidéo, du mépris flagrant pour la vie des personnes noires. À ce moment-là, alors que l’on ne connaissait pas encore précisément les effets désastreux des activités entres humains sur la santé, c’est l’injustice raciale - et non le COVID-19 - qui a déclenché un mouvement de masse dans les rues.
Dans tout le pays, les manifestant·es sont descendu·es dans la rue muni·es de pancartes et de masques. Les masques avaient un double objectif : servir de protection contre un virus mortel, mais aussi protéger les identités dans un État policier encore plus mortel, doté d’un système de surveillance numérique. Les revendications étaient simples : rendre des comptes et assurer un minimum de sécurité et de dignité aux personnes noires.
Une crise sanitaire était en cours, mais dans ces moments de désespoir, l’espoir se frayait aussi un chemin. Des lendemains meilleurs semblaient possibles.
...Et maintenant
En 2025, la crise demeure, mais cette fois, la menace est plus importante du fait de la régression politique. Donald Trump, tel qu’il était ce jour-là en 2020, est redevenu président et utilise tous les leviers du pouvoir exécutif pour inverser les progrès réalisés depuis 2020. L’espoir que beaucoup ont porté à travers le deuil et le soulèvement se sent étouffé par des politiques qui renforcent l’impunité policière qui ont tué George Floyd, Breonna Taylor et tant d’autres.
Le soulèvement mondial pour les vies noires
Le meurtre de George Floyd n’est pas seulement une tragédie, c’est un catalyseur. Dans le monde entier, des millions de personnes ont envahi les rues des 50 États américains et de plus de 60 pays. De Londres à Lagos, de Tokyo à Toronto, le cri était clair et cohérent : Black Lives Matter (Les Vies Noires Comptent).
Durant ces jours sombres, il y avait de la lumière. Les communautés ont organisé l’entraide, repensé la sécurité et poussé les gouvernements locaux à réduire les budgets de la police et à investir dans les services de santé mentale et le logement. Les livres sur l’abolition et la lutte contre le racisme sont devenus des best-sellers. Des entreprises et des hommes et femmes politiques se sont engagé·es à mieux lutter contre l’injustice raciale. De nombreuses entités à travers le monde ont publié des proclamations audacieuses, promettant des ressources et une attention particulière à la justice raciale à l’avenir.
Il y a cinq ans, il semblait que la journée d’aujourd’hui serait beaucoup plus radieuse.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, cet élan est confronté à des menaces existentielles. L’administration Trump n’a pas seulement refusé de tirer les leçons du passé, elle semble travailler activement à l’enracinement des systèmes qui ont causé la crise. Ces mêmes entreprises qui se sont empressées de publier des déclarations de solidarité ou de promettre des milliards pour des initiatives de justice raciale tout en promettant de transformer leurs cultures ont discrètement démantelé leurs départements de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), sont revenues sur leurs engagements et ont purgé leurs plateformes de tout langage sur le racisme systémique. Que ce soit en raison des menaces de l’administration Trump ou d’une occasion de réduire les coûts, il est difficile de ne pas considérer les actions de 2020 comme performatives - une stratégie de relations publiques opportune déguisée en courage moral. Le recul envoie un message douloureux : Les vies noires comptent lorsque c’est à la mode, mais pas lorsque cela nécessite un changement réel et durable.
Au niveau exécutif et avec des sous-entendus de suprématie blanche, le président Trump a publié des décrets pour donner plus de pouvoir aux forces de l’ordre.
Le décret le plus récent a pour objectif de « libérer les forces de l’ordre américaines ». Il a également ordonné au ministère de la justice de cesser de mener des enquêtes sur les droits civils dans les services de police et, ce qui est peut-être le plus grave, il a annoncé que son administration n’appliquerait plus les décrets d’assentiment, notamment celle qui découle de l’enquête accablante sur le département de la police métropolitaine de Louisville du ministère de la justice. Le même service qui a tué Breonna Taylor à son domicile lors d’une descente de police bâclée.
Il ne s’agit pas d’actions isolées, mais d’un plan visant à rétablir l’impunité pour les violences policières.
Comment se lever
L’érosion systématique de notre droit à la dissidence est tout aussi dangereuse que le retour et l’accentuation des mentalités et des politiques rétrogrades. Dans le sillage des manifestations de 2020, plus de 100 projets de loi anti-manifestation déposés ont été introduites dans tout le pays, criminalisant tout ce qui va du blocage de la circulation à l’organisation de manifestations. Nombre de ces lois visent de manière disproportionnée les manifestants noirs et indigènes, les immigrés et les militant·es LGBTQIA+. Amnesty International a largement documenté cette tendance. Des lois ont été introduites dans tout le pays, criminalisant tout ce qui va du blocage de la circulation à l’organisation de manifestations. Nombre de ces lois, lorsqu’elles sont appliquées, ciblent de manière disproportionnée les manifestant·es noir·es et indigènes, les immigré·es et les militant·es LGBTQIA+.
En plus de ces défis, les plateformes en ligne qui contribuaient autrefois à la mobilisation de masse sont devenues hostiles. Twitter/X, Instagram et TikTok ont toujours été accusés d’utiliser leurs algorithmes pour supprimer les discours susceptibles de soutenir l’organisation des personnes noires. En ligne, nous assistons à une augmentation du "shadow banning", c’est-à-dire que des messages ou des commentaires sont cachés aux autres utilisateurs lorsqu’ils vont à l’encontre des opinions des milliardaires propriétaires de ces médias. La place publique numérique est désormais beaucoup plus privatisée et manipulée, ce qui rend plus difficile pour les militant·es - en particulier les jeunes, les personnes noires et les personnes marginalisées - de s’organiser et de se faire entendre.
La justice dans la police
La situation peut sembler désastreuse, mais nous savons aussi qu’il existe un moyen d’avancer. Le mouvement suscité par le meurtre de George Floyd a prouvé qu’il existe un large consensus sur la nécessité de mettre fin aux brutalités policières et de créer des systèmes de responsabilité réelle. Ce consensus existe toujours. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est la volonté politique.
Nous demandons notamment aux législateurs de réintroduire et d’adopter la loi George Floyd sur la justice dans le maintien de l’ordre. Cette législation interdirait les techniques d’étranglements et les mandats d’arrêt sans avertissement, mettrait fin à l’immunité qualifiée et créerait un registre national des comportements répréhensibles de la police. Il ne s’agit pas d’une demande radicale, mais d’une base de dignité.
Alors que les engagements en faveur de la justice raciale commençaient à s’estomper, le projet de loi est resté bloqué au Sénat en 2021. Ce projet de loi est trop important pour qu’on le laisse en suspens, d’autant plus que les communautés qui ont manifesté dans la douleur et la rage en 2020 s’entendent dire aujourd’hui que le gouvernement n’a pas la responsabilité de protéger leurs vies.
De 2020 à 2025, que peut-on espérer du mouvement Black Lives Matter
Les cinq dernières années n’ont pas été faciles. Nous avons vu les alliés de circonstances se transformer en ennemis. Nous avons vu des réformes durement gagnées être annulées. Nous avons vu des familles contraintes de refaire leur deuil chaque fois que le système laisse tomber un autre être cher.
Mais nous avons également constaté une certaine résilience. Nous avons vu de nouveaux dirigeant·es se lever, de nouvelles coalitions se former et de nouvelles visions s’enraciner. Nous avons vu que le pouvoir populaire fonctionne - quand il est bruyant, quand il est stratégique et quand il refuse de lâcher prise.
Le 25 mai 2020, en 9 minutes et 29 secondes, la vie de George Floyd a été volée. Souvenons-nous de lui en faisant front à nouveau pour que justice soit faite. Exigeons ce que nous savons être possible. Construisons un avenir où les vies noires ne seront pas seulement pleurées, mais protégées.
Car il y a une chose qui ne fait aucun doute : black lives matters... la vie des personnes noires comptent et compteront toujours.