COMBIEN D’ENFANTS MORTS AVANT QUE NOS ÉTATS RÉAGISSENT ? Par Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International

Yémen, hier. Un bus bombardé par la coalition menée par l’Arabie saoudite. Vingt-neuf enfants morts et trente blessés, au moins. Photos dans les journaux : poussière, sang, brancards, vêtements en lambeaux, médecins débordés. Une fois encore, sous nos yeux qui ne s’habitueront jamais à l’horreur intégrale de la mort d’enfants, l’ignobilité de la sale guerre que l’Arabie saoudite mène depuis plus de trois ans au Yémen. Sous nos yeux grands ouverts, mais aussi sous les yeux résolument fermés de nos dirigeants, qui continuent de vendre des armes au Royaume saoudien malgré les crimes de guerre dont il est coupable. Comme si la mort de ces enfants n’existait pas, ou ne comptait pas. Que faut-il qu’il advienne de plus pour que nos pays mettent fin à ce commerce sanglant ? Et que faut-il qu’il se passe pour que, à l’instar du Canada tout récemment, nos pays se décident enfin à condamner les violations honteuses des droits humains dont l’Arabie saoudite se rend coupable ?

« Que faut-il qu’il se passe pour que, à l’instar du Canada tout récemment, nos pays se décident enfin à condamner les violations honteuses des droits humains dont l’Arabie saoudite se rend coupable ? »

Rappelons que l’attaque du 9 août intervient en pleine crise diplomatique entre le Royaume saoudien et le Canada, qui a « osé » demander la libération de prisonniers d’opinion saoudiens et fait maintenant face à des mesures de sanctions extrêmes de la part de Ryad. S’il fallait encore démontrer que le Royaume saoudien est prêt à tous les excès (et constitue ainsi un partenaire commercial tout à fait instable !), cette crise en apporte l’ultime preuve. Le Canada a voulu dénoncer le fait que l’Arabie saoudite vient de jeter derrière les barreaux deux défenseures des droits des femmes, Samar Badawi (la sœur de Raif Badawi, blogueur condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans de prison pour avoir critiqué les autorités) et Nassima al Sada. Trois autres proéminentes défenseures des droits humains avaient déjà été arrêtées en mai dernier. Alors que l’Arabie saoudite tente de soigner son image d’État progressiste, autorisant par exemple les femmes à conduire, elle se décrédibilise totalement en arrêtant les femmes qui se sont battues pour ce droit. Le Canada a eu le courage de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Et pour le moment, il n’a reçu que très peu de soutien d’autres États ou de l’UE, et certainement pas publiquement.

« La vigueur de la réponse de Ryad à laquelle le Canada fait face justifie qu’une réponse d’autant plus vigoureuse soit apportée par la communauté internationale »

La vigueur de la réponse de Ryad à laquelle le Canada fait face justifie qu’une réponse d’autant plus vigoureuse soit apportée par la communauté internationale. La Belgique n’hésite pas à se présenter en bon élève des droits humains et à en défendre la protection dans les différentes instances internationales. En juin 2017, son Parlement fédéral a voté une résolution demandant un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Les Régions belges, responsables des autorisations de ventes d’armes, ne sont pas tenues de suivre cette décision, mais toujours est-il que Bruxelles a pris à cette époque une position forte, courageuse. En tant que futur membre du Conseil de sécurité des Nations unies, la Belgique se doit de porter cette voix au niveau international. La Belgique, ainsi que l’Union européenne, doivent soutenir clairement et publiquement le Canada, et dénoncer elles aussi les multiples violations des droits humains dont l’Arabie saoudite se rend coupable. Et en tant que pays vendeur d’armes à l’Arabie saoudite (via la Région wallonne, pour qui le Royaume saoudien est redevenu le meilleur client en 2017), la Belgique se doit d’assumer ses opinions, y compris, et surtout, face à des géants commerciaux tels que l’Arabie saoudite.

Combien d’enfants doivent encore mourir, combien de défenseurs des droits humains doivent encore être jetés en prison, combien de coups de fouet doivent encore être assénés, pour que nos dirigeants réagissent ?

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