La durée et le durable : ce qui doit faire la politique de demain Par Philippe Hensmans, directeur général de la section belge francophone d’Amnesty International

La vie politique est aujourd’hui rythmée par des citations chocs, qui se répondent les unes aux autres sans que le débat puisse aborder la complexité réelle des affaires publiques.
Ceci n’aurait pas (trop) d’importance si les enjeux abordés dépendaient des mêmes échéances — ce qui est rare.

Deux cas récents le montrent à souhait : le climat et les ventes d’armes. Les changements requis par les experts climatiques sont clairs : non seulement nous devons tous nous impliquer, mais en plus il s’agit de s’investir dans la durée. On ne peut se contenter de voter rapidement une loi, puis de passer au sujet suivant. La complexité d’une approche équitable (pas question de laisser les plus pauvres et les plus démunis sur le bord du trottoir et de laisser les plus riches circuler dans leurs voitures électriques) oblige à une planification qui ne peut rester l’otage des enjeux électoraux, mais qui doit — et un sondage récent l’indique heureusement— rester le fait de nos élus. Même s’ils sont élus tous les quatre ans, ils doivent penser sur le long terme. Et cet agenda peut s’étaler sur des millions d’années lorsqu’il s’agit des déchets nucléaires.

La vente d’armes à des pays instables mais riches — une spécialité de la Région Wallonne— devait rencontrer les mêmes exigences. Notre industrie de l’armement réalise des produits de qualité, dont la durée de vie dépasse souvent les vingt ou trente ans. On a ainsi retrouvé en 2014 des armes de la FN vendues au Qatar en 1979 aux mains de l’Etat Islamique en Syrie… Ne parlons pas des armes wallonnes que l’on peut se procurer aujourd’hui en Libye. Et l’exemple récent des milices yéménites qui recourent à des armes liégeoises grâce aux Emirats Arabes Unis indique à souhait que nous n’avons pas de contrôle réel sur les utilisateurs finaux — du moins avec ce type de régimes.

Notre système d’octroi des licences est non seulement hors de contrôle réel par les parlementaires (il consacre le pouvoir absolu du ministre-président de la région en la matière), mais est aussi basé sur des avis dont on sait peu de choses. Depuis quelques années, WBI produit régulièrement des rapports sur les pays “instables” ou à risque chaque mois, afin d’éclairer les décisions du Ministre-Président. Une commission d’avis à la composition obscure est chargée aussi de l’épauler.

Plus de transparence est évidemment indispensable, ce qu’Amnesty International, la Ligue des droits humains et la CNAPD demandent depuis longtemps. Mais surtout, il temps de passer à une analyse de risques sérieuse, à l’occasion de chaque octroi de licence. N’oublions pas que nous vendons des armes à des dictatures et que ces dernières n’ont que peu d’égard pour leurs obligations internationales ou contractuelles. Ces régimes sont paradoxalement parmi les plus fragiles (combien ont été renversées sur les trente dernières années, comparativement aux démocraties ?). Alors, il est temps aussi de passer à une analyse sérieuse des décisions qui ont été prises ces dernières années, et d’en tirer les conséquences. Quels sont les critères réels qui président aux décisions de nos régions ? Quelles sont les mécanismes qui ont permis ainsi d’armer des criminels de guerre ? Comment pouvons-nous renforcer nos capacités d’analyse avant décision pour faire en sorte que des innocents ne meurent pas chaque jour sous les balles de nos armes ? Et même qu’un jour elles se retournent contre nous ?

On nous réplique souvent : mais d’autres pays le font aussi ! Pourquoi serions-nous les premiers ? À part l‘insanité de cette considération (on a d’ailleurs vu que ce type d’arguments a souvent été avancé dans les négociations sur le climat) et le fait que d’autres pays sont déjà passés à l’acte, il serait temps de se poser la question : le commerce et l’immédiateté doivent-il piloter toutes nos décisions ?

Car c’est cela qui distingue la femme ou l’homme d’état de la femme ou l’homme politique : la capacité à penser la durée et les droits fondamentaux de chacun. Car nos décisions ont un impact sur le long terme, et les victimes éventuelles de celles-ci, qu’il s’agisse de nos jeunes ou d’autres populations, nous demanderont un jour des comptes. Et l’addition sera salée.

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