Résister aux maladies nosocomiales qui frappent les droits humains PAR PHILIPPE HENSMANS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SECTION BELGE FRANCOPHONE D’AMNESTY INTERNATIONAL

L’anniversaire récent de la chute du mur de Berlin a mis en évidence une réalité qui illustre bien l’état des droits humains aujourd’hui dans le monde : la longueur totale des murs a aujourd’hui doublé par rapport à 1989, même si le plus long, celui qui enserre le Bangladesh, est déjà ancien.

En soi, on n’a pas grand-chose à reprocher à un mur : il ne fait que rappeler ce qu’est une frontière. Et son efficacité est très limitée, même si on en augmente la hauteur chaque année, il est invariablement franchi par celles et ceux qui sont déterminés à passer coûte que coûte (y compris leur vie).

Mais, en fait, ses rôles réels sont bien différents. Le tout premier est, bien sûr, de fournir des budgets à l’industrie de l’armement et de la construction (en 2017, le Department of Homeland Security estimait à 21,6 milliards le coût du mur de la honte, celui de M. Trump). Sans que cela soit dit la plupart du temps, un mur n’est « efficace » que s’il est accompagné par des moyens humains importants : il faut tout simplement le surveiller, sans quoi il ne sert à rien. Lorsque sa longueur s’étale sur plus de 3 000 km, on imagine aisément les ressources nécessaires… Il fournit donc de l’emploi. Mais provoque aussi des remous dans les budgets de l’État. Pas grave. Car la fonction majeure d’un mur est d’abord de désigner l’« ennemi » (s’il n’y a pas d’ennemi, pas besoin de mur).

La multiplication des murs est donc un indicateur sérieux de la soudaine apparition d’ennemis, que l’on croyait pourtant disparus depuis la fin de la guerre froide. C’est aujourd’hui plus simple et plus effrayant. L’ennemi est tout simplement l’autre, l’étranger, celui ou celle qui s’habille différemment, qui vient d’ailleurs. C’est celui par qui on peut expliquer tout ce qui ne va pas dans nos sociétés. Dans une société qui s’est complexifiée, qui s’est mondialisée (en tous cas en ce qui concerne le commerce), la compréhension réclame du temps et de la réflexion, alors même que nos rythmes se sont accélérés. Il est beaucoup plus facile de faire appel à l’émotion, et surtout à l’émotion « noire », celle de la haine et du rejet. Celle qui va sournoisement infiltrer la pensée, ainsi que nos penseurs et décideurs. À un point tel que l’on ose même poser la question de savoir si l’on peut renvoyer des demandeurs d’asile dans des pays où ils risquent la mort, par exemple. L’étape suivante sera de se demander à quel âge il faut euthanasier les pensionnés pour sauver la sécurité sociale : c’est déjà une « blague » que certains n’hésitent pas à partager avec leurs congénères. C’est surtout une des étapes classiques de l’infection. Et les mots finissent par tuer.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : bon nombre de nos dirigeants ne soignent pas les maux qui frappent notre quotidien (pauvreté, impacts du changement climatique, féminicides, pour n’en citer que quelques-uns) ; ils se contentent d’injecter un virus, celui de la haine et du rejet, qui ne résoudra rien, sinon le confort de leur siège ou le renforcement des avantages de certaines castes qui s’enrichissent de plus en plus.

Mais nous sommes responsables. Les nouveaux dictateurs n’ont pas pris le pouvoir par des coups d’État militaires. Ils ont été élus pour la plupart (même s’il reste un grand nombre de dictatures au sens classiques sur notre planète), c’est-à-dire par les citoyens. M. Bolsonaro est en train de ruiner le Brésil et de calciner la forêt-poumon de notre planète. Plus près de nous, la Pologne s’attelle à la destruction d’un des piliers de sa démocratie (la Justice). Ne parlons pas de la Hongrie, ou de certains idéologues malsains, ici même en Belgique.

Il est temps de renforcer notre système immunitaire. Pour cela, nous devons renforcer la résistance, celle qui va transformer nos sociétés en des organismes sains, forts, capables de garantir les droits fondamentaux de toutes et de tous, où qu’ils et elles vivent. Il n’est pas trop tard, mais il est temps. Parce que cela va en prendre, du temps. Et de l’intelligence collective, celle qui va développer l’émotion intelligente, celle qui rapproche, unit, dans une vision qui vise… le bonheur de chacun·e, sans rejeter l’autre. C’est ça, le sens du 10 décembre, Journée internationale des droits humains. C’est ce que nous voulons, comme des millions d’êtres humains partout dans le monde, au Chili, en Iran, au Liban ou à Hong-kong, pour ne citer que ces quelques exemples récents.

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