Chine : Xi Jinping ne peut pas tout faire tout seul Nicholas Bequelin, basé à Hong Kong, est directeur pour l’Asie de l’Est à Amnesty International.

« Pour forger le fer, il faut d’abord devenir fort. » - Avec le recul, cette maxime simple prononcée par hasard par le président chinois Xi Jinping lors de sa première apparition publique à son arrivée au pouvoir, en 2012, semble résumer l’essentiel de son programme.

En cinq ans, il ne s’est jamais écarté de cet objectif : il s’est lancé dans une opération sans précédent visant à consolider son pouvoir personnel et il a utilisé habilement une campagne populaire de lutte contre la corruption pour annihiler méthodiquement toutes les factions et tous les groupes d’intérêt rivaux au sein de l’immense appareil bureaucratique chinois.

Des « princes héritiers » aux militaires, des magnats du pétrole aux entreprises publiques, de la Ligue de la jeunesse du parti communiste aux dirigeants provinciaux récalcitrants, toutes les sources possibles de résistance interne ont été écrasées à grand renfort d’arrestations, de rétrogradations et de détentions secrètes pour « violation de la discipline du parti ».

À titre préventif, Xi Jinping a également frappé la société civile naissante en laissant le puissant appareil sécuritaire national se déchaîner contre les dissidents, les critiques, les avocats, les écrivains, les ONG et toute autre voix contestataire dont la loyauté au Parti n’était pas acquise. Cette répression, digne des jours les plus sombres de l’ère post-Tiananmen, a culminé avec la mise en scène grotesque du décès du lauréat du prix Nobel de la Paix, Liu Xiaobo, dans un hôpital sous haute surveillance dans le Nord-Est de la Chine.

Loin de se contenter d’éliminer toutes les sources d’opposition, Xi Jinping a également pris soin de remporter le soutien de l’opinion publique nationale, par un changement radical de méthodes de propagande et de ce que le Parti désigne encore comme la « réforme de la pensée », à savoir, un savant mélange entre un contrôle accru de l’idéologie véhiculée par les médias (« dont le deuxième prénom devrait être “ Parti communiste ” », avait-il plaisanté) ainsi que par les universités (chargées de « combattre les idées pernicieuses telles que la prétendue indépendance de la justice et les valeurs universelles ») et une censure sans pareille d’internet (désormais raillé par les internautes Chinois comme étant devenu un « intranet de la Chine »).

Un puissant discours de « rajeunissement national » présenté sous une forme habile et moderne rivalisant avec les campagnes de publicité occidentales les plus attractives, ainsi qu’un quasi-culte de la personnalité centré sur un « Oncle Xi » présidant la grande famille chinoise de manière bienveillante mais ferme, ont obtenu des résultats efficaces et ont donné à Xi Jinping ce qu’aucun de ses collègues du Bureau politique n’avait obtenu : une bonne dose d’authentique popularité.

Le 19e congrès du Parti, qui s’ouvre mercredi, consacrera sans aucun doute Xi Jinping comme le plus puissant dirigeant chinois depuis Deng Xiaoping — plus puissant même peut-être que Deng Xiaoping lui-même, qui devait composer avec d’autres doyens de la révolution et avec une faction tenante de la ligne dure, opposée à son programme de libéralisation.

Pour autant, tout cela est-il suffisant pour « forger le fer », comme Xi Jinping l’a promis ? Cette appropriation inédite du pouvoir apportera-t-elle les réformes économiques et sociales qui résoudront la myriade de problèmes qui menacent la pérennité du « modèle chinois », au lieu de les aggraver ? Ou, à l’inverse, le mépris de Xi Jinping pour les droits humains finira-t-il par déclencher cette instabilité sociale que le gouvernement veut justement éviter à tout prix  ? L’évolution de la situation, dont Xi Jinping est en grande partie responsable, n’annonce rien de bon.

Le premier barrage que le chef de l’État a dressé sur sa route est le gigantesque dispositif sécuritaire national qu’il a mis en place : six nouveaux textes législatifs, consacrés notamment à la cybersécurité et à la lutte contre le terrorisme, laissent le champ quasiment libre à un appareil sécuritaire cultivant le secret qui opère en grande partie en marge des contraintes juridiques et dispose de pouvoirs virtuellement illimités sur les personnes et les institutions, y compris les entreprises étrangères.

Bien qu’il soit efficace pour réprimer les contestations, il est en train de devenir un État dans l’État qui n’est plus soumis à aucun contrôle et qui est en passe de faire échouer des décennies d’efforts consacrés à la construction d’un système judiciaire équitable en lequel les citoyens et les acteurs économiques puissent avoir confiance.

Le deuxième obstacle est la mainmise du pouvoir sur l’information et la liberté d’expression, qui est devenue la « nouvelle norme » dans la Chine de Xi Jinping. De l’emprisonnement d’un blogueur qui avait réuni des informations publiques sur les grèves et les manifestations, aux pressions exercées sur la maison d’édition de l’université de Cambridge (Cambridge University Press) pour qu’elle retire des publications scientifiques sur des sujets « sensibles », en passant par l’interdiction au chanteur Justin Bieber d’organiser des concerts en Chine, rien ne semble arrêter la machine à censure — qui, dans une certaine mesure, intervient souvent en vain. En agissant ainsi, la Chine ne tourne pas seulement le dos aux obligations qui lui incombent, vis-à-vis de la communauté internationale, en tant que membre des Nations unies et État partie à de multiples traités internationaux dans le domaine des droits humains, entre autres : elle se comporte également comme un mauvais acteur à l’ère de l’information mondiale.

Retoucher les faits et les opinions susceptibles d’embarrasser le gouvernement apporte des bénéfices de courte durée qui valent beaucoup moins que les conséquences à long terme d’un paysage de l’information dénaturé et de la réduction au silence des opinions divergentes.

Les gros titres vantant le taux record des investissements dans le pays et au-delà des frontières continuent de donner le vertige à de nombreux dirigeants étrangers qui envisagent de coopérer avec la nouvelle Chine « où tout est possible », sous la poigne du président Xi Jinping, mais en réalité, il a mis en grand danger un acquis fondamental de l’ère de l’ouverture et de la réforme. Concrètement, les citoyens avaient obtenu un minimum de droits qui reconnaissaient les limites de l’intervention de l’État, le type d’entrepreneuriat qui portait l’économie du pays avait été encouragé et la Chine était bien partie pour devenir un membre de confiance de la communauté internationale.

La vraie question au sujet du 19e congrès du Parti n’est pas de savoir s’il reflètera la consolidation du pouvoir de Xi Jinping — car il le fera — mais plutôt si les citoyens chinois ordinaires en tireront des bénéfices. Compte tenu du bilan des cinq dernières années, la réponse est non.

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