Nous ne devrions pas faire confiance à la Chine lorsque ses citoyens y sont renvoyés de force

Billet d’opinion de Nicholas Bequelin, directeur du programme Asie de l’Est d’Amnesty International.

« Faites-nous confiance ». Voici en substance l’assurance que donnent les autorités chinoises à d’autres gouvernements lorsqu’elles souhaitent que des personnes accusées d’infractions soient renvoyées en Chine. Quels que soient les éléments à charge, la Chine s’attend à ce que d’autres pays croient naïvement que les individus recherchés sont invariablement des « délinquants » ayant enfreint le droit chinois. Et si quiconque, y compris les Nations unies, émet des doutes, Pékin réagit avec colère et qualifie cela d’ingérence.

Ce scénario se répète de plus en plus souvent autour du monde, tandis que Pékin fragilise peu à peu l’un des principes clés du droit international : l’interdiction de renvoyer une personne vers un pays où elle risque d’être victime de persécution ou d’autres graves violations des droits fondamentaux. La Chine élude les questions relatives à son bilan en matière de torture, au manque d’indépendance de la justice, ou au fait que de nombreuses lois chinoises violent des principes universels relatifs aux droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, de mouvement ou de religion.

Le mois dernier, Dong Guangping et Jiang Yefei, deux militants pro-démocratie, ont été renvoyés de force par la Thaïlande, avec la complicité des autorités de Bangkok. Le gouvernement thaïlandais a en toute connaissance de cause fermé les yeux sur le fait que les deux hommes avaient été officiellement reconnus comme réfugiés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et que leur candidature à la réinstallation avait déjà été acceptée par le Canada.

Et qu’on ne se méprenne pas sur ce qui attendait les deux militants : un pays menant une répression sans précédent contre les avocats défenseurs des droits humains, les personnes qui critiquent le gouvernement et les organisations non gouvernementales. Depuis que le président Xi Jinping est arrivé au pouvoir, à la fin 2012, des centaines de militants pacifiques ont été persécutés et jetés en prison au terme de procès iniques.

Une semaine après leur retour forcé, Dong Guangping et Jiang Yefei ont été exhibés à la télévision d’État, « avouant » avoir enfreint la législation relative à l’immigration. Les deux hommes sont incarcérés, à la merci d’un système pénal dans le cadre duquel le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements pour arracher des « aveux » reste monnaie courante.

Leur renvoi forcé s’inscrit dans des pratiques de plus en plus systématiques, à mesure que la Chine jette ses filets au-delà de ses frontières pour rattraper entre autres des dissidents ayant trouvé refuge à l’étranger. En soi, cela menace notamment des principes centraux à la protection des réfugiés, elle-même un fondement du droit international.

Beaucoup, comme les dirigeants militaires de la Thaïlande, mais également les gouvernements cambodgien, pakistanais ou de pays d’Asie centrale, semblent très désireux d’apporter leur concours - ce qui est contraire à l’obligation qui leur est faite, en vertu du droit international, de protéger ceux qui sont en quête de refuge.

Le gouvernement chinois soutient qu’il essaie uniquement d’obtenir le retour de suspects, notamment de terroristes présumés et de personnes recherchées pour faits de corruption. Mais aucune de ces affirmations ne doit être prise pour argent comptant.

Par exemple, si la Chine a des motifs de préoccupation légitimes concernant des actes de violence et de terrorisme dans le Xinjiang (nord-ouest du pays), les autorités ont perdu leur crédibilité en politisant et déformant la véritable nature de cette menace. Compte tenu des amalgames systématiques entre des concepts tels que le « séparatisme », l’« extrémisme » et le militantisme non violent, ce ne sont pas seulement ceux qui prônent la violence qui se retrouvent dans la ligne de mire des politiques draconiennes menées par les autorités pour lutter contre le terrorisme. Ce sont aussi des opposants pacifiques à la politique répressive menée contre certains Ouïghours du Xinjiang, en particulier l’intellectuel ouïghour Ilham Tohti, qui a été condamné à la réclusion à perpétuité en septembre 2014 après avoir été déclaré coupable d’avoir fondé une « organisation séparatiste », une charge fabriquée de toutes pièces.

Cette année, les autorités thaïlandaises ont renvoyé de force vers la Chine quelque 109 personnes, des Ouïghours pour la plupart, bien que celles-ci risquent fort d’être victimes de torture à leur retour. Les médias publics chinois ont affirmé que ces personnes étaient en route pour l’Irak ou la Syrie pour « faire la guerre sainte », mais n’ont fourni aucune preuve étayant ces accusations portées contre un groupe au sein duquel se trouvaient également de nombreux jeunes enfants. Le Laos, le Viêt-Nam et le Cambodge semblent également avoir renvoyé de force des Ouïghours vers la Chine. Une fois au Xinjiang, beaucoup de ces personnes, comme d’autres Ouïghours accusés de terrorisme et d’extrémisme religieux, risquent d’être victimes de disparitions forcées, de détentions prolongées et de procès iniques à huis clos.

Il est fort probable que la persécution des personnes se montrant critiques à l’égard du gouvernement ne s’intensifie, à l’heure où la Chine du président Xi adopte une série de nouveaux textes de loi et règlements d’une grande portée relatifs à la sécurité nationale. Le projet de loi chinois relatif à la lutte contre le terrorisme, par exemple, ne contient quasiment aucune garantie permettant d’éviter que des personnes pratiquant leur religion de manière pacifique ou critiquant simplement des politiques gouvernementales ne soient persécutées au moyen de vagues accusations de terrorisme ou d’extrémisme. La définition du terrorisme recouvre « les opinions, paroles ou comportements » visant à « influencer les décisions politiques nationales », à « subvertir le pouvoir de l’État » ou à « diviser le pays ».

Nous devons par ailleurs nous souvenir que le combat phare du président Xi contre la corruption, qui vise également des personnes vivant à l’étranger du fruit de leurs délits, est au fond une campagne politique, et que le manque d’indépendance de la justice l’empêche de servir de rempart contre les dérives. L’essentiel de la lutte contre la corruption se joue dans l’ombre, uniquement dictée par la machine disciplinaire interne du parti communiste chinois, à l’abri des regards. Cette campagne a par ailleurs été marquée par des suicides en grand nombre, des procès pour l’exemple fréquents et des décès non élucidés en détention. Pékin peut qualifier tout cela de justice, mais la plupart des pays ne le feraient pas.

À l’heure où la Chine étend sa politique de répression au-delà de ses frontières, la communauté internationale doit décliner l’invitation des autorités chinoises à leur « faire confiance ». Aucun gouvernement ne doit prendre pour argent content les propos se voulant rassurants émanant de la Chine. Les gouvernements devraient au contraire poser des questions délicates, et veiller à ce que les personnes bénéficient de la protection prévue par le droit international, et ne soient pas renvoyées dans leur pays pour y être torturées et persécutées.

Quant à la Chine, mettre son système judiciaire en conformité avec le droit et les normes internationaux, en commençant par permettre aux avocats de jouer un rôle significatif dans le cadre des procédures judiciaires, et en finir avec le problème endémique de la torture des suspects, serait une manière beaucoup plus efficace de tendre vers le but légitime qu’est le renforcement de la coopération judiciaire avec les gouvernements étrangers.

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