Zambie. Il faut que l’État protège le droit des femmes à la liberté de choix en matière de sexualité et de procréation Louise Carmody et Bob Mwiinga Munyati

Le mois dernier, les Zambiens se sont rendus aux urnes à la fois pour choisir leur président et pour se prononcer, dans le cadre d’un référendum, sur d’éventuels changements à apporter à la Charte des droits inscrite dans la Constitution. Edgar Lungu a été réélu mais, selon plusieurs personnalités politiques, les Zambiens ont manqué une occasion d’améliorer la protection des droits sociaux et économiques car le taux de participation au référendum était inférieur aux 50 pour cent requis pour que les changements proposés soient inscrits dans la loi suprême.

Pour de nombreux défenseurs des droits des femmes, en revanche, cet échec offre un répit bienvenu. En effet, le nouveau texte contenait des dispositions problématiques qui étaient susceptibles de porter gravement atteinte aux droits humains des femmes et des jeunes filles zambiennes.

Plus particulièrement, il désignait la conception comme le début de la vie, ce qui aurait fortement limité l’accès des femmes à l’avortement ; de nombreuses vies auraient alors été inutilement menacées et les femmes auraient vu leur droit de disposer de leur corps et leur droit à la santé reproductive restreints.

En vertu de la Loi de 1972 relative à l’interruption de grossesse, l’avortement est légal en Zambie lorsqu’il est indispensable pour sauver la vie d’une femme ou que les circonstances socio-économiques l’exigent. Ainsi, ce pays est l’un des seuls du continent à respecter les obligations en matière de droits humains qui figurent dans le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes, ou Protocole de Maputo.

Ce Protocole, qui reconnaît l’importance des droits sexuels et reproductifs, est le premier traité sur les droits humains à établir explicitement le droit d’avoir accès à l’avortement en toute sécurité. Les changements qu’il était proposé d’apporter à la Charte des droits auraient sans nul doute empêché la Zambie de remplir pleinement les obligations qui lui incombent au titre du Protocole de Maputo et d’autres traités des Nations unies, à savoir créer et maintenir les conditions juridiques permettant aux femmes d’exercer leurs droits sexuels et reproductifs.

Plus inquiétant encore, un tel référendum a été organisé alors que les avortements dangereux demeurent l’une des principales causes de mortalité et de morbidité maternelles. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que les femmes africaines subissent davantage les conséquences d’avortements dangereux, y compris la mortalité maternelle, que celles de n’importe quelle autre région en développement. Au titre des Objectifs du millénaire pour le développement, la Zambie s’était engagée à ramener le taux de mortalité maternelle à 162 décès pour 100 000 naissances vivantes à l’horizon 2015.

Bien que le nombre de femmes et de jeunes filles mortes pendant la grossesse ou en couches ait considérablement diminué ces 10 dernières années, il atteint encore 398 pour 100 000. Selon les estimations du ministère zambien de la Santé, environ 30 pour cent des décès maternels sont imputables à des avortements dangereux.

Ces chiffres montrent combien il est difficile d’avoir accès à l’avortement en toute sécurité en Zambie, notamment parce que le grand public méconnaît les lois existantes mais aussi pour la simple raison qu’il est obligatoire d’obtenir l’aval de trois médecins avant toute interruption de grossesse. Si le pays entend respecter les nouveaux engagements qu’il a pris récemment au titre des Objectifs de développement durable, qui fixent la cible à 70 décès pour 100 000 naissances vivantes à l’horizon 2030, il doit reconsidérer les dispositions dangereuses du texte proposé.

En janvier 2016, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a lancé une campagne cruciale pour la dépénalisation de l’avortement en Afrique. Elle a insisté sur le fait que rendre l’avortement illégal ne réduisait pas le taux d’interruption de grossesse ni ne dissuadait les femmes d’y avoir recours. Au contraire, la criminalisation entraîne une multiplication des avortements dangereux, les femmes et les jeunes filles de moins de 25 ans, pauvres ou installées en zone rurale, étant les plus à risque.

La loi en vigueur actuellement en Zambie permet de sauver des vies ; par conséquent, son application ne doit pas être entravée mais plutôt renforcée. Les spécialistes des droits humains des Nations unies ont exhorté les pouvoirs publics à rendre progressivement l’avortement plus accessible, et non l’inverse. Cela implique notamment de ne pas créer d’obstacles juridiques supplémentaires à l’exercice des droits sexuels et reproductifs. Les changements qu’il était proposé d’apporter à la Charte des droits constitueraient un retour en arrière, qui irait totalement à l’encontre des engagements internationaux de la Zambie et de l’idée, de plus en plus admise sur l’ensemble du continent, que les femmes et les jeunes filles doivent avoir accès à l’avortement en toute sécurité.

L’Union africaine, par exemple, a dédié l’année 2016 aux droits humains, en particulier aux droits des femmes. En outre, aux niveaux mondial et régional, il est impossible de mener à bien les programmes de développement sans veiller à ce que les femmes et les jeunes filles disposent de la liberté de choix en matière de sexualité et de procréation. L’échec du référendum offre la possibilité de revoir les dispositions controversées et de faire en sorte que la Zambie respecte ses obligations relatives aux droits humains et ne revienne pas sur les acquis des 10 dernières années.

Il est temps de faire progresser les droits sexuels et reproductifs et l’égalité des genres dans ce pays car il s’agit d’une étape importante sur la voie du développement économique, dont tous les Zambiens méritent de bénéficier.

Louise Carmody est spécialiste des droits sexuels et reproductifs en Afrique australe à Amnesty International. Bob Mwiinga Munyati est chercheur à AIDS Accountability International et chef de projet de la section Engagements mondiaux et régionaux en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs. Les deux organisations font campagne en faveur de l’égalité des genres et des droits sexuels et reproductifs pour tous.

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