Le parc carcéral belge, c’est 39 établissements pénitentiaires, soit 10773 places pour les 12130 détenu∙e·s, selon les données du SPF Justice au 15 mai 2024. Autrement dit, une surpopulation carcérale de 12,6 % et des politiques toujours plus expansionnistes. Ainsi, le parc carcéral s’étend, les incarcérations sont de plus en plus nombreuses, sans pour autant constater d’augmentation majeure de la criminalité.
DES PRISONS QUI DÉBORDENT
Ex-directeur de la section belge francophone d’Amnesty International, Philippe Hensmans est bénévole au sein d’un comité de surveillance du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP). Créé en 2020 et financé par le Parlement fédéral, le CCSP a un rôle de surveillance structurelle de l’état des prisons d’une part, et un rôle de médiation d’autre part, à travers les commissions des plaintes introduites par les détenu∙e·s. Après un mois de visites à la prison de Nivelles, Philippe Hensmans témoigne de conditions insalubres et de traitements inhumains et dégradants.
« Ils sont parfois trois, enfermés toute la journée dans une cellule prévue pour deux, d’à peine 2,50 m sur 3,50 m. » Parmi eux, « 30% des détenus sont des prévenus, qui peuvent attendre longtemps avant de passer en jugement. Cela illustre le retard que la justice a pu accumuler dans le traitement des dossiers. » Selon Philippe Hensmans, la politique d’exécution des courtes peines de l’ex-ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne joue son rôle. « Auparavant, les peines de moins de trois ans étaient exécutées par d’autres moyens, permettant plus de chances de se réinsérer. Incarcérer tout le monde a considérablement dégradé le système. »
HUIT GARDIENS POUR 250 DÉTENUS
Les tensions liées à la surpopulation ont notamment entraîné des grèves de la part du personnel pénitentiaire en 2023. Selon l’Institut fédéral des droits humains, des traitements inhumains, assimilés à de la torture, en ont découlé. « En avril à Nivelles, on m’a déclaré hui gardiens pour 250 détenus. Impossible d’accéder aux services minimums », assène Philippe Hensmans. En cas de taux d’absentéisme trop important, les détenu∙e·s n’ont plus le droit au préau, à la bibliothèque, aux ateliers pour travailler. Or, une prison qui manque de personnel et d’activités, c’est une prison dangereuse à l’intérieur, avec des agressions entre détenu∙e·s ou envers les gardien∙ne·s. « Le seul système qu’ils connaîtront sera un système de violence qui ne leur permettra pas de se réinsérer dans la société. »
Le manque de personnel entraîne aussi un retard dans les procédures judiciaires. Sans personnel, personne pour accéder aux demandes de visite des avocat∙e·s, ni pour amener les accusé∙es devant un tribunal. Le droit de défense est visiblement impacté. Martin Bouhon est directeur de La Touline, une ASBL d’aide aux justiciables active au sein des établissements de Nivelles et Ittre. Cette association apporte des aides psychologique et sociale. « Le problème d’absentéisme est très marqué à Nivelles. À Ittre, on sait recevoir facilement huit détenus par jour. À Nivelles, on en reçoit en moyenne trois. Certains se retrouvent transférés sans qu’on ait pu les voir. » Le directeur de l’ASBL note que, grâce aux 146000€ de subsides, 160 victimes ont pu être aidées l’an passé. « Mais mettre un détenu en prison, ça coûte 50000 € à l’État. Donc pour trois personnes mises en prison, on pourrait en aider 160 à l’intérieur », soupire Martin Bouhon.
DIVERSES ATTEINTES À LA SANTÉ
L’état des soins est également catastrophique. Agathe De Brouwer, avocate au barreau de Bruxelles et coprésidente de l’Observatoire International des Prisons (OIP), explique : « Une personne avec un abcès peut attendre trois semaines avant de voir un dentiste. Un transfert de compétence doit s’opérer vers le SPF Santé. » L’avocate pointe également du doigt le problème de l’internement. « Parfois, des personnes atteintes psychiatriquement se retrouvent dans des cachots moyen-âgeux et ne reçoivent pas les soins nécessaires. La Belgique a déjà été condamnée plusieurs fois à l’international pour cela. »
Énième problème lié à la santé, celui de la drogue. Agathe De Brouwer précise : « Une personne sur deux dans les prisons belges a un lien avec la drogue. » Le directeur du CCSP, Marc Nève, relève que la Belgique « est championne d’incarcération pour trafic et consommation de stupéfiants. Il faut agir au niveau de la santé publique, plutôt que d’envoyer les toxicomanes en prison. » Martin Bouhon signe : « On voit des gars en taule pour un gramme de cocaïne, mais il faut se lever tôt pour réussir à enfermer l’auteur d’un féminicide. »
DES SOLUTIONS IGNORÉES
En octobre dernier, le Conseil de l’Europe a réitéré ses critiques au sujet des problèmes structurels du système carcéral belge et de l’absence de recours efficaces. Il existe bien des maisons de détention et de transition, ces établissements à petite échelle visant à réinsérer les détenu∙e·s. Mais ces « solutions » sont perçues comme hypocrites, puisque le but premier de n’importe quel type de prison est, de toute façon, de réinsérer les personnes dans la société.
Pour nos intervenant∙e·s, la solution est claire : il faut incarcérer le moins possible – si ce n’est pas du tout (voir ci-dessous). Les travaux d’intérêt général, la surveillance électronique ou par un∙e assistant∙e de justice, la liberté conditionnelle, les quotas pour la préventive sont tout autant de moyens pour désengorger les prisons. « Les solutions sont connues, mais on ne les applique pas », regrette Marc Nève. « Dans l’imaginaire collectif, on professe que seule la prison est une vraie peine. La Belgique annonce toujours d’ouvrir de nouveaux établissements mais cette course à toujours plus ne va pas. La prison ne sert à rien, elle aggrave même la situation. Il faut d’autres initiatives pour diminuer la détention, mais il n’y a aucune réflexion au niveau politique. » Notre chaîne pénale est saturée. Réduire le nombre de personnes en prison donnerait de l’air à tout le monde.
VERS UNE POSITION ABOLITIONNISTE DES PRISONS
Tou·te·s les acteur·rice·s du monde pénitentiaire le constatent : la prison ne permet ni réparation, ni réinsertion. « Quand plus de la moitié des personnes qui sortent de prison récidivent, on comprend qu’elles sont finalement encore plus abîmées socialement, économiquement et humainement qu’avant », énonce Agathe De Brouwer, avocate et codirectrice de l’Observatoire International des Prisons. « Mettre une personne en prison, c’est l’éloigner du monde libre pendant des années et penser qu’elle s’intégrera parfaitement à la société à la fin de leur peine. Certaines personnes peuvent réussir à s’en sortir, en reprenant leurs études par exemple. Mais ce qui se passe de positif n’est pas lié à la prison en elle-même. » C’est pourquoi l’OIP défend une position abolitionniste, voulant stopper définitivement le recours à l’emprisonnement.
Et pour les victimes ? L’avocate au barreau de Bruxelles l’affirme : la prison et la procédure pénale ne sont pas pensées autour de la victime. « Un procès est mené par le procureur du roi, pour la société. Le procès a lieu avec ou sans la victime, avec ou sans son accord. Là où elle attend une reconnaissance de ce qu’il s’est passé, elle l’obtient assez peu. Donc même pour la victime, ce n’est pas une réponse appropriée et adéquate. » A alors émergé une réflexion autour de la justice restauratrice, visant à la reconstruction du lien social plutôt qu’une dynamique de sanction et de répression. Pour le moment, il s’agit d’initiatives qui ont lieu simultanément aux procès pénaux, tels que les groupes de parole qui se sont tenus en parallèle des derniers procès des attentats. Agathe De Brouwer termine : « Qui plus est, la prison a un coût énorme : près de la moitié du budget de la Justice. Est-ce que ça a du sens d’investir autant dans le système carcéral plutôt que dans d’autres moyens de réinsertion ? »
Par Guylaine Germain, journaliste