Iran : Un an plus tard, un vent de protestation toujours vif Par Guylaine Germain, journaliste

« Femme, Vie, Liberté » : des mois durant, ce cri a été scandé à travers le monde à la suite de la mort de la jeune Mahsa/Zhina Amini. Un an après ce drame qui a déclenché un mouvement de protestation historique, la volonté de la population de lutter contre l’arbitraire et les injustices qui l’accablent ne faiblit pas en Iran. La répression non plus.

Il y a un an, le 16 septembre 2022, Mahsa/Zhina Amini décédait à la suite de sa détention aux mains de la « police des moeurs ». L’étudiante iranienne de 22 ans avait été arrêtée à Téhéran quelques jours auparavant pour « port de vêtements inappropriés ». Quelques mèches de cheveux dépassaient de son voile.

« Sa mort a déclenché un nouveau mouvement de rasle- bol des femmes qui demandent le port non obligatoire du voile. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg », déclare Firouzeh Nahavandy. Sociologue belge d’origine iranienne, cette professeure émérite de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) est spécialiste de l’Iran et de l’Afghanistan. « Les Iraniennes demandent surtout l’égalité avec les hommes et la liberté comme tous les autres humains. Ce qui ajoute à l’exceptionnel, c’est que les hommes ont rapidement rejoint les femmes dans leur mouvement, et, petit à petit, tous les groupes sociaux et toutes les classes sociales se sont joints également. »

PLUS DE 40 ANS DE RÉVOLTES POPULAIRES

La population iranienne n’en est pas à son premier mouvement de protestation contre le régime. La République islamique, ses normes, valeurs et codes de conduite dits islamiques et imposés comme le modèle unique à suivre, ont été en réalité contestés dès son institution en 1979. Depuis lors, les droits humains les plus fondamentaux sont bafoués. L’Iran a recours à des pratiques autoritaires et totalitaires : aucune liberté d’expression ni liberté de la presse, arrestations arbitraires et procès sans droit à la défense, torture et condamnations à mort. Par la suite, le pays a été secoué par de grandes manifestations, comme en 2009 contre la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad, puis en 2019-2020 contre l’augmentation du prix du carburant.

Depuis septembre 2022, les vagues de protestation se répandent sur tout le territoire iranien. Dans les grandes villes comme Téhéran, des manifestations ont régulièrement lieu devant les prisons lorsqu’il y a des arrestations et des condamnations à mort. De grandes manifestations ont aussi lieu dans des régions avec des minorités ethniques, telles que le Baloutchistan et le Kurdistan. « Ce sont des régions où la répression ethnique et religieuse a toujours existé », explique Firouzeh Nahavandy. « Les Baloutches et une partie des Kurdes sont sunnites, alors que la majorité des Iranien·ne·s sont chiites. Ce sont donc des territoires délaissés par le régime, où les discriminations et les arrestations nombreuses. » La sociologue de l’ULB éclaircit : « on a aujourd’hui un vaste mouvement qui revendique des choses très différentes avec un point commun : le rejet du régime présidentiel actuel et le départ des dirigeants islamistes. Ce tabou est tombé. C’est ce qui marque aussi le caractère exceptionnel de ce mouvement. »

« Les Iraniennes demandent surtout l’égalité avec les hommes et la liberté comme tous les autres humains. »

UNE RÉPRESSION SANGLANTE

Tous ces mouvements de protestation sont automatiquement suivis de funestes répressions de la part du régime. Depuis septembre 2022, ces violences ne cessent de croître. Hanieh Ziaei est politologue et iranologue, attachée à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle assène : « les arrestations sont fréquentes et même en pente croissante depuis un an. Mais le plus inquiétant, c’est le nombre de peines de mort prononcées. C’est difficile de donner des chiffres et des statistiques, mais on estime à deux le nombre d’exécutions par semaine depuis le début de l’année 2023. » De son côté, Firouzeh Nahavandy, autrice de l’ouvrage Être femme en Iran : quelle émancipation ?, souligne que les arrestations de femmes sont aussi très nombreuses. « Bien qu’elles sachent qu’elles seront arrêtées, torturées, violées et condamnées à mort, elles manifestent malgré tout. Aujourd’hui, les femmes n’ont plus peur, car elles n’ont plus rien à perdre. »

La vague de protestation ne reflue donc pas. Selon Firouzeh Nahavandy, le régime a certainement entendu les manifestant·e·s, sans que cela les ait fait changer de position. À la suite du décès de la jeune étudiante, une rumeur parlait de sa dissolution. « C’était une légende urbaine, une “fake news” », balaie Hanieh Ziaei. « Cela fait plus de 40 ans que cet État existe ; s’il remettait en question l’un de ces corps, ce serait remettre en question sa propre structure. L’État iranien est stratège et stratégique. La confusion créée par cette fausse information était une stratégie politique de détournement, pour semer le doute. Physiquement, cette police a disparu des rues pour un temps, afin de calmer le jeu. Il fallait faire profil bas. Mais elle n’a pas été dissoute pour autant. » En effet, cet organe répressif du régime iranien est toujours bel et bien en place. Mais sous une autre appellation : la « police des vêtements inhabituels ». « Encore une fois, c’est une stratégie de contournement. »

« les arrestations sont fréquentes et même en pente croissante depuis un an. Mais le plus inquiétant, c’est le nombre de peines de mort prononcées »

LE LÉVIATHAN IRANIEN

L’Iran est un pays très riche, de par son sol et son sous-sol. C’est un État avec les pleins pouvoirs et une mainmise sur ses ressources naturelles et ses matières premières. Le secteur privé s’est très peu développé ces dernières années. L’État intervient ainsi à tous les stades ; il contrôle et surveille la population iranienne, tout en exerçant une pression à la fois idéologique, morale, sociale et économique. Il est omniprésent et omnipotent.

« C’est un Léviathan au sens large du terme », soutient Hanieh Ziaei. « C’est un État archaïque et idéologique, mais un État fort, qui s’est donné les moyens de tenir sur plusieurs générations. » L’experte du monde iranien de l’UQAM définit également l’Iran comme un État anachronique. « L’Iran est un État régressif à l’échelle de l’Histoire. En matière de pratiques, les pendaisons sur place publique, les arrestations et les manquements aux droits humains montrent qu’on est dans un État de non-droit. Un État d’un autre temps, avec des pratiques d’une autre époque. » Pour sa part, sa consoeur de l’ULB ajoute : « la seule solution, selon mon opinion, c’est un changement complet de régime. Un changement interne ne suffira pas. Rien ne peut changer tant que ce régime est en place. » Par ailleurs, l’Iran est soutenu par de grandes puissances. Il a des alliances avec certains pays africains, des pays du Golfe, mais aussi des liens avec la Russie et la Chine. Firouzeh Nahavandy note aussi le rétablissement de ses relations avec l’Arabie saoudite, après des années de froid. « Cela donne une impression de stabilité régionale et ce type d’actions va effacer ce qui se passe à l’intérieur », mentionne-t-elle.

DES CONTESTATIONS À L’INTERNATIONAL

Belge d’origine iranienne, naturalisée canadienne, Hanieh Ziaei a pu observer les diverses réactions internationales. Elle attire l’attention sur les nombreuses condamnations publiques et officielles de la part du Canada envers l’Iran, depuis un an. « Le Canada a imposé des sanctions contre de hauts responsables iraniens. Des comptes en banque ont été gelés, par exemple. Du point de vue du peuple iranien, ces condamnations sont superficielles et symboliques, mais elles sont faites. Ce sont des gestes à saluer. »

Côté européen, les condamnations sont plus timides. Si des manifestations de soutien au peuple iranien continuent de se tenir à Bruxelles, elles se sont tout de même tassées. La professeure de l’ULB rapporte que le Parlement européen avait clairement pris des positions fermes contre les exactions du régime contre les manifestant·e·s. « À la demande de la diaspora, le Parlement européen avait signé la décision de qualifier le corps des gardiens de la révolution, c’est-à-dire le bras armé du régime, comme une entité terroriste. Cela peut paraître symbolique, mais c’est une manière de contrer la répression, car cela aurait permis de limiter les échanges d’argent. » Des membres de la diaspora et leurs soutiens s’étaient alors réunis dans plusieurs villes d’Europe pour accroître la pression sur l’Union européenne. Cependant, le Conseil européen n’a pas suivi cette décision. Hanieh Ziaei note une raison : l’Europe a besoin des matières premières que détient l’Iran, surtout dans le contexte de guerre en Ukraine.

Les manoeuvres contre le régime iranien sont donc « très restreintes, sinon inexistantes », selon Firouzeh Nahavandy. « Il faut dire que toutes les sanctions économiques qui existent, comme l’interdiction d’envoi d’argent en Iran, touchent le peuple iranien, mais pas le régime, qui travaille de manière mafieuse avec des comptes offshores. On est dans une situation où le peuple iranien souffre et la situation empire de jour en jour. Et on n’a pas de moyens d’aider la population. Aucun étranger ne peut officiellement envoyer de l’argent pour aider sa famille et soutenir des proches. Cela complique encore la situation du peuple, mais pas celle du régime. »

LE CORPS DES FEMMES AU COEUR DE LA RÉSISTANCE

Nous l’avons lu plus haut, depuis un an, les Iranien·ne·s remettent complètement en question le système. Ce dernier ne convient plus à la nouvelle génération – « la génération 2.0 », précise Hanieh Ziaei – qui ne partage plus les valeurs ni les références du régime. Par rapport à la question du voile bien sûr, mais la remise en question dépasse cette question. Les visions s’opposent complètement aujourd’hui. Au quotidien, cela se traduit par des mouvements de désobéissance civile. « Sur le voile, illustre la sociologue canadienne, les jeunes femmes ne le portent plus ou bien elles le portent au niveau des épaules. C’est un acte de résistance. » Elles se sont réapproprié les codes vestimentaires : on a même vu des femmes porter des mini-jupes ou des vêtements très serrés. « On ose, on danse dans la rue. C’est courageux, car ces femmes risquent beaucoup. Leurs corps en tant que tels sont au coeur des combats », expose Hanieh Ziaei. En réponse, le régime a commencé à placer des agents de sécurité devant les centres commerciaux, pour interdire aux femmes non voilées de rentrer dans les magasins. Si elles conduisent sans voile, leurs voitures sont confisquées. Firouzeh Nahavandy apporte des précisions quant à ces risques. « Celles qui sont arrêtées peuvent être condamnées à effectuer des tâches difficiles et dégradantes, comme laver les morts ou nettoyer des excréments. Mais la dernière trouvaille du régime, ce sont les soins psychiatriques. Elles sont alors obligées de suivre des séances de réhabilitation dans des hôpitaux psychiatriques, pour être “conformes aux normes familiales”, selon la version officielle. »

Les Iraniennes ont été les premières à manifester contre le port du voile obligatoire en 1979. Pour Hanieh Ziaei, « elles ont arraché la parole. » En 2023, elles sont toujours très présentes et actives. Un an après la mort de Mahsa/Zhina Amini, la population iranienne demeure unie pour demander un changement des mentalités et des moeurs, porté par une jeunesse qui n’accepte plus ce que leurs parents ont accepté.

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