Le sport pour « laver » les atteintes aux droits humains Par Guylaine Germain, journaliste

Après la Chine et le Qatar, c’est au tour de l’Arabie saoudite de s’installer sur la scène sportive. D’importants investissements ont ainsi été réalisés avec pour objectif de redorer leur image par le biais du sport, une pratique plus communément appelée « sportwashing ».

L’année 2022 aura vu la Coupe du monde au Qatar et les Jeux olympiques (JO) d’hiver en Chine, deux des événements sportifs mondiaux les plus importants et suivis, organisés dans pays commettant de graves violations des droits humains. « Certains pays ont choisi le sport comme moyen pour se positionner sur la scène internationale, indique Géraldine Zeimers, professeure à l’UCLouvain spécialisée en management du sport. Des États autocratiques ont saisi l’occasion d’accueillir des événements sportifs de grande ampleur. Ils font du business dans le sport en acquérant de grands clubs ou encore en engageant des joueurs connus pour leurs clubs locaux. »

LE SPORT COMME SOFT POWER

Investir dans le sport pour détourner l’attention des violations des droits humains est ce que l’on appelle du sportwashing. Cette stratégie permet à un État, un parti politique, une entreprise de changer son image, d’améliorer sa réputation, voire son chiffre d’affaires via le sport. Cela s’effectue par exemple en organisant des événements sportifs mondiaux, tels qu’une Coupe du monde ou des Jeux olympiques, ou encore en rachetant des clubs sportifs populaires et des joueur·euse·s avec une forte notoriété internationale.

« Le sport est un moyen de soft power », affirme Géraldine Zeimers. Cette « puissance douce », « c’est la manière dont, en dehors des guerres, certains États exercent une pression ou une influence dans la diplomatie. Le soft power passe alors à travers la culture, par exemple, ou bien ici par le sport ».

Ces pratiques sont de plus en plus courantes et concernent de nombreux domaines. À l’instar du greenwashing, du purplewashing et du pinkwashing qui sont pratiqués lorsqu’un pays ou une société affiche une image en faveur de l’environnement (green), des femmes (purple) ou des communautés LGBTQIA+ (pink), par des stratégies de marketing ou de communication superficielles. Ces politiques d’ouverture ne sont pas accompagnées d’un véritable travail de réflexion sur les enjeux et les valeurs en interne, mais plutôt dans le but d’améliorer leur image.

« Investir dans le sport pour détourner l’attention des violations des droits humains est ce que l’on appelle du sportwashing. »

DÉDIABOLISATION ET RAYONNEMENT INTERNATIONAL

Les Jeux olympiques de 1936, organisés à Berlin à l’époque de l’Allemagne nazie, sont souvent le premier exemple de sportwashing qui peut venir à l’esprit. Adolf Hitler comptait utiliser ces JO à des fins de propagande, non seulement pour affirmer la supériorité de la race aryenne dans le sport, mais aussi pour dédiaboliser son régime. La professeure de l’UCLouvain liste d’autres exemples plus récents : « énormément de pays ont utilisé cette stratégie de rayonnement international : le Qatar, la Russie, la Chine et, plus récemment, l’Arabie saoudite. Et ce, malgré les critiques sur la manière dont ces pays assurent ou non un respect des droits des femmes, des droits des travailleuses et travailleurs migrant·e·s, des droits des personnes LGBTQIA+. »

Dès les premières heures de son organisation, la Coupe du monde au Qatar a été entachée de violations des droits humains. Ces violations se sont poursuivies jusqu’au terme de la compétition – et même au-delà. Amnesty International a ainsi mis en avant les graves abus subis par les travailleur·euse·s migrant·e·s dans ce contexte.

Par ailleurs, concernant les droits des personnes LGBTQIA+, le port du brassard arc-en-ciel « One Love » a été interdit aux joueurs et des hôtels ont refusé d’héberger les couples de supporters homosexuels. Malgré leur bilan déplorable en matière de droits humains, de tels événements populaires permettent aux pays concernés d’adoucir leur image aux yeux du grand public. « Par leur investissement dans le sport professionnel, ces pays mettent en exergue leur pouvoir économique et leur capacité à organiser de grands événements, tout en minimisant leur impact négatif sur les droits ».

LE PRINCE SAOUDIEN ÉLARGIT SES RESSOURCES

Dans le cas de l’Arabie saoudite, le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’un pays peu attentif au respect des droits humains. Les droits à la liberté d’expression et d’association sont réprimés, les droits des femmes sont très limités et les droits des personnes LGBTQIA+ sont inexistants. Ne parlons même pas du recours massif à la peine de mort, souvent à l’issue de procès inéquitables. Aussi les autorités saoudiennes misent-elles aussi sur le sport comme soft power dans le but de lisser l’image de la monarchie, ainsi que de diversifier son économie.

Ces dernières années, le plus grand pays du Moyen-Orient a investi dans plusieurs disciplines : football, sports automobiles, golf, tennis, cricket. Dernièrement, des clubs de football saoudiens ont acheté des joueurs de renommée mondiale. Ainsi, Cristiano Ronaldo, considéré comme l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps, évolue désormais au Al-Nassr Football Club. La presse évoque un contrat s’élevant à 200 millions d’euros par an. Également, l’Arabie saoudite a été désignée comme pays hôte des Jeux asiatiques d’hiver en 2029 et de la Coupe du monde des clubs en 2030.

En plus de détourner l’attention des polémiques autour du respect des droits humains, investir dans le sport permet à l’Arabie saoudite de diversifier son économie très dépendante du pétrole. Le plan Saudi Vision 2030 est un plan de développement mis en place par le gouvernement saoudien et porté par le prince héritier Mohammed bin Salman. Ce plan politico-économique vise à développer les secteurs du divertissement et du sport, par exemple avec la construction d’un circuit de Formule 1. Toute une économie se développe autour du sport, comme le sponsoring, le merchandising, la publicité. Avec le sport, l’Arabie saoudite compte alors occuper l’espace de discussion avec un sujet touchant le grand public et faisant moins polémique que ses violations à répétition des droits humains.

UNE ORGANISATION COÛTEUSE

Comment ces pays se retrouvent-ils avec de telles opportunités ? Tout simplement parce que le sport coûte cher. Géraldine Zeimers constate : « le sport a besoin d’argent pour se développer. Accueillir un événement de grande ampleur est très onéreux. Les pays ont de moins en moins tendance à vouloir organiser de tels événements. Cela laisse la place à des pays riches ayant moins de scrupules par rapport au respect des droits humains. » En effet, l’organisation de la Coupe du monde au Qatar a été estimée à 220 milliards de dollars, soit le mondial le plus cher de l’Histoire. De plus, les règles autour de l’organisation de ces événements et des rachats ne sont pas sévères quant à la nature du pays hôte ou de l’acquéreur. « On n’est pas très regardant sur les profils des pays : peu importe que les organisateurs ou acheteurs soient peu respectueux des droits humains, on leur laisse l’occasion de briller ».

Une solution serait d’avoir plus de rigueur dans le cahier des charges utilisé pour poser une candidature. « Les comités internationaux devraient contrôler la manière dont ils souhaitent que le sport se développe et dans quels pays. Mais à l’heure actuelle, il n’y a que très peu de considération de la place accordée aux droits humains. C’est un problème de gouvernance dans ces organisations. Et tant que cela n’est pas réglé, on va continuer de voir ces pays postuler et être sélectionné », précise Géraldine Zeimer. Un sens dans lequel abonde Amnesty International, qui demande notamment que soient appliquées les normes les plus strictes en matière de droits humains lors de l’évaluation des candidatures, un processus devant mener au rejet de toute candidature qui n’établit pas de manière crédible la manière dont les risques graves pesant sur ces mêmes droits seront évités.

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