Pourquoi la justice internationale est cruciale, en particulier lors de conflits internationaux ?
Olivier Corten : En droit international, les États sont partie de beaucoup de conventions, dont chacun a sa propre interprétation. Il faut des juges pour départager les conceptions qui s’opposent et donner une interprétation moins liée à des intérêts particuliers. Ensuite, ces juridictions internationales interviennent plutôt après un conflit, lorsqu’une convention a été violée. Elles ont un rôle axé sur la réparation et elles permettent d’établir des responsabilités.
Mais ces juridictions peuvent quand même avoir un rôle pendant les conflits. Par exemple, saisie par l’Afrique du Sud en décembre 2023, la Cour internationale de justice a pris des mesures conservatoires contre Israël, notamment pour laisser entrer l’aide humanitaire. Il revient aux États de respecter les décisions de la Cour internationale de justice. En l’occurrence, ça ne l’est pas. Ce sont là les limites de la justice internationale, qui n’a pas de force de police.
Quel lien entre justice internationale et impunité ?
O. C. : L’objectif même de la justice internationale est de combattre l’impunité, en sanctionnant les violations. En réalité, plusieurs obstacles se dressent face à cette vocation : le manque de compétences exécutives des juridictions, le non-respect des décisions, ou encore les immunités qui protègent des individus pendant leur fonction. Un exemple concret : dans son avis du 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice avait explicitement dit que les États tiers avaient l’obligation de ne rien faire qui puisse permettre d’aider ou d’assister à la violation du droit international par Israël.
Selon cet avis, les États européens avaient alors l’obligation de ne pas aider Israël à poursuivre son occupation, les actes de génocide et toutes les graves violations des droits humains qui sont commis à Gaza. Or, l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël est toujours maintenu. On institutionnalise ainsi une sorte d’assistance, puisque cet accord permet à Israël de poursuivre ces actes. Il n’y a aucune pression ni mesure particulière prise par les États européens, alors même qu’ils admettent eux-mêmes les violations des droits humains. Cela ne contribue certainement pas à la lutte contre l’impunité, on peut le dire.
La justice internationale est-elle menacée ?
O. C. : Les menaces planent et sont très visibles. Des menaces implicites, comme la France qui laisse voler un avion transportant Benjamin Netanyahou sur son territoire. Mais aussi des menaces plus explicites, comme la Hongrie qui déclare que Benjamin Netanyahou peut entrer sur son territoire sans qu’il soit inquiété. Par ailleurs, il y a une offensive active et assumée de la part des États-Unis.
Si cette résistance à appliquer les décisions se généralise, la justice internationale risque d’être complètement inefficace. Elle doit donc trouver suffisamment d’alliés, tant dans les États que dans la société civile, pour que ses décisions soient, à terme, respectées. L’autre défi, c’est d’essayer d’élargir son aire de compétence. La Cour pénale internationale a beau avoir une vocation universelle, un tiers des États ne sont pas partie au système. Parmi lesquels de très importants : la Russie, les États-Unis, l’Israël, la Chine ou encore l’Inde.
Là est toute l’importance d’organisations de la société civile telles qu’Amnesty International, qui essaient de lutter contre ces obstacles, en suppléant le manque de force exécutoire de la justice internationale et en mettant la pression sur les États.
Propos recueillis par Guylaine Germain