Bhopal — Jeux olympiques 2012

Passer le flambeau

Quel est le lien entre les Jeux Olympiques de 2012 à Londres et l’une des pires catastrophes industrielles de l’histoire ? ALOYS LIGAULT et MADHU MALHOTRA ont rencontré les femmes qui sont au premier rang de la lutte pour la justice et un avenir salubre à Bhopal, en Inde.

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« Vous êtes là pour la catastrophe ? s’enquiert le conducteur du cyclopousse qui nous emmène à notre hôtel. C’est un gros problème pour nous. Beaucoup de gens de ma famille sont tombés malades. Il y a encore beaucoup de gens malades ici. » Nous venons d’arriver à Bhopal, dans les premiers mois de 2012, pour y rencontrer des rescapés de l’énorme fuite de gaz toxique qui s’est produite à l’usine de pesticides Union Carbide.

En l’espace de seulement trois jours, la fuite, qui s’est déclarée le 2 décembre 1984, a tué entre 7 000 et 10 000 hommes, femmes et enfants. Environ 15 000 autres décès sont survenus dans les années qui ont suivi. Cent mille personnes ou plus en ont gardé de graves séquelles, notamment des maladies respiratoires, des lésions neurologiques et des troubles gynécologiques. La catastrophe et ses conséquences ont soulevé des questions fondamentales sur l’éthique et la responsabilité des grandes multinationales.

Près de 28 années plus tard, l’ancienne usine n’a toujours pas été décontaminée. Aucune enquête approfondie n’a été ouverte sur les causes de la fuite et ses répercussions sur la vie de la population locale. Les survivants ne se sont vu proposer ni les soins médicaux dont ils ont besoin, ni aucune indemnisation équitable. Il n’est pas étonnant que la population soit toujours en colère.

Bhopal est récemment revenue dans l’actualité lorsque le comité organisateur des Jeux Olympiques de 2012 à Londres a choisi la société Dow Chemical pour fabriquer et créer un écran textile qui ceinture le stade olympique. Dow a racheté Union Carbide Corporation en 2001, mais affirme avec vigueur n’avoir aucun lien avec le sinistre. Lorsque le comité organisateur a soutenu la position de Dow, Meredith Alexander, membre de la commission d’éthique, a démissionné en signe de protestation, en mars de cette année, déclarant qu’elle ne souhaitait pas devenir « une apologiste de Dow Chemical ».

Amnesty International demande au comité organisateur des Jeux de Londres de retirer ses déclarations démentant tout lien entre la société Dow Chemical et la catastrophe de Bhopal en 1984. Nous engageons également le gouvernement indien et les entreprises concernées à trouver un accord avec les habitants de Bhopal de manière à décontaminer l’ancienne usine Union Carbide, à faire le nécessaire pour qu’ils consomment une eau claire et salubre, à verser des indemnités décentes aux victimes et à obliger les responsables présumés à rendre des comptes.

La vision de la carcasse rouillée de l’ancienne usine Union Carbide à Bhopal est saisissante. Érigée en plein milieu de la ville fourmillante, elle se voit de partout, ou presque. À l’intérieur, on trouve encore un amoncellement de déchets toxiques, à deux pas des quartiers pauvres qui entourent l’usine. Ici, la catastrophe n’est pas qu’un souvenir.

Nous rencontrons Safreen, une étudiante souriante, dans le jardin verdoyant de sa famille, près de l’ancienne usine. Elle n’était pas née lorsque la catastrophe s’est produite, mais celle-ci a toutefois des répercussions sur sa vie. Elle a intégré un groupe de jeunes qui luttent pour les droits des survivants et rêve de devenir médecin pour aider les gens à surmonter les problèmes de santé qui subsistent encore ici.

« Les enfants sont obligés d’arrêter l’école pour travailler parce que leurs parents ont été exposés au gaz, explique Safreen. D’autres naissent avec des malformations ou des maladies. Je veux que les enfants de Bhopal respirent de l’air pur, boivent de l’eau propre et soient en bonne santé. Je rêve que Bhopal devienne un lieu où il fait bon vivre et que les entreprises assument leur responsabilité pour toutes ces souffrances. »

Le lendemain, la température est étouffante sur le chemin de Jaiprakash Nagar, un quartier qui s’étend au sud de l’ancienne usine. Au pied du monument érigé à la mémoire des victimes de Bhopal en 1985, nous rencontrons Hazra Bi, militante et rescapée de la catastrophe. Des larmes perlent à ses yeux au moment de nous parler de sa vie.

« Ma vie a basculé après la fuite de gaz, nous confie-t-elle. Mon époux était si gravement atteint qu’il en est mort. Élever quatre enfants seule a été très dur. » Ses enfants et ses petits-enfants sont nés avec des pathologies qu’elle attribue à la fuite de gaz. L’État a versé à sa famille une indemnité trop faible et trop tardive.

« Depuis près de 30 ans, c’est un calvaire physique et mental permanent, avoue Hazra Bi. Mais je n’abandonnerai pas la lutte. Pour les générations futures de Bhopal. »

Un voyage à travers les rues poussiéreuses de la ville nous amène jusqu’à Rampyari Bai, 85 ans, qui n’a pas raté une seule des marches organisées par les rescapés de Bhopal. Dévoilant une ecchymose à la cheville, elle nous explique que la police l’a frappée lors du dernier rassemblement anniversaire. Dans la pénombre de son petit appartement éclairé d’un néon même au coeur de l’après-midi, nous devons parler fort pour nous faire entendre. Mais sa combativité est demeurée intacte. D’une voix forte et assurée, elle nous raconte combien il a été difficile d’obtenir ne serait-ce qu’une maigre indemnité et des soins élémentaires.

« Je me battrai pour nos droits et pour la justice jusqu’à mon dernier souffle, de sorte qu’il n’y ait pas d’autre Bhopal dans ce monde, martèle-telle. Il est grand temps que Dow assume ses responsabilités pour 30 années de souffrance. L’indemnité que j’ai touchée est un affront et une humiliation. Je veux que la prochaine génération ait une vie heureuse. »

Ces quelques femmes, parmi d’autres, sont en première ligne dans la lutte de Bhopal pour des indemnisations décentes, pour la décontamination de l’ancien site d’Union Carbide, pour une amélioration des soins et pour l’accès à l’information sur les événements de 1984. Le quartier général des rescapés est le centre médical de Sambhavna, qui propose des soins gratuits financés par l’association Bhopal Medical Appeal, basée au Royaume-Uni. Ce lieu paisible entouré de routes poussiéreuses symbolise l’énergie et l’espoir des militants face à l’oubli. Sathyu Sarangi et Rashna Dingra, deux militants de premier plan, nous confirment l’impression très forte que nous laisse la visite : le fatalisme n’a pas sa place ici. Les gens de Bhopal savent qu’ils ont été les victimes d’une terrible injustice et continueront à brandir le flambeau de leurs droits.

Montrez au monde que les multinationales sont dans l’obligation de respecter les droits humains. Elles ne peuvent pas se contenter de quitter le lieu du sinistre, comme à Bhopal. Comme le résume Hazra Bi : « J’espère que les gens du monde entier tireront les enseignements de notre lutte et de notre histoire et soutiendront ce combat pacifique de tous les jours en faveur de la justice et de la dignité. »

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