Le droit de protester des personnes LGBTQIA+ Par Guylaine Germain, journaliste

Partout sur la planète – y compris en Europe –, le droit de protester est en danger. Si c’est toute la dissidence organisée qui est visée par des mesures de répression, les groupes marginalisés et discriminés rencontrent encore plus de difficultés dans l’exercice de ce droit essentiel. C’est le cas des personnes LGBTQIA+, particulièrement en cette saison des Prides.

Congés payés, droit à l’avortement, droit de vote des femmes, etc. : nombre de droits fondamentaux ont été acquis en manifestant, dans la rue ou en ligne. Manifester nous permet d’exprimer des revendications et de réclamer des changements, collectivement et publiquement. Cependant, au cours de la dernière décennie, de très nombreux États ont instauré des contraintes pour compliquer la tenue des manifestations pacifiques.

PROTESTONS !

En novembre 2022, Amnesty International a lancé une nouvelle campagne baptisée Protestons ! pour alerter sur les menaces croissantes qui pèsent sur le droit de protester. Parmi les cibles des autorités, les manifestations pacifiques ; ainsi, sur 154 pays étudiés, Amnesty International montre que 85 États ont eu recours à une force inutile et/ou excessive à l’égard de manifestant·e·s. Le thème de cette campagne a d’ailleurs été repris par la Brussels Pride, qui a eu lieu le 20 mai dernier. Tirée du terme anglais signifiant « fierté », la Pride est une manifestation annuelle de visibilisation des communautés LGBTQIA+. C’est à la fois – et surtout – un acte de protestation, porteur de revendications, mais également un événement festif. Car tout le monde n’est pas égal lorsqu’il s’agit de manifestations. Exprimer publiquement son appartenance aux communautés LGBTQIA+, par exemple, peut être lourd de conséquences dans certains pays. Les personnes concernées font face à des difficultés quand elles souhaitent manifester, protester et plus généralement investir l’espace civique. Leurs droits sont limités par des autorités qui emploient différentes formes de violence pour les réprimer et les maintenir dans l’ombre.

LES PRIDES TURQUES PROHIBÉES

L’exemple le plus criant est actuellement la Turquie. Des « marches des fiertés » y étaient organisées depuis 2003. En 2014, la Pride d’Istanbul attirait encore plus de 100 000 personnes quand, l’année suivante, la marche a été interdite par le gouverneur de la ville. En 2016, pour « préserver la sécurité et l’ordre public », tous les événements en lien avec les communautés LGBTQIA+ ont officiellement été interdits, dans tout le pays. Malgré la prohibition, des personnes ont décidé de continuer à se rassembler chaque année.

Sur le campus de l’Université technique du Moyen-Orient (ODTÜ) à Ankara, en 2019, la police a violemment dispersé la Pride pacifique organisée par des étudiant·e·s. Melike Balkan est une militante turque et actuellement chargée de campagne pour Amnesty International, arrêtée par la police lors de cet événement. « On était entre 700 et 800. Le recteur avait interdit la marche et avait fait venir la police pour encercler le campus, témoigne Melike Balkan. Ils ont utilisé du gaz poivre, des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène ; ils ont également arrêté 21 étudiant·e·s et un professeur ».

Soutenu·e·s par Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains, ces personnes sont acquitté·e·s le 8 octobre 2021 par le tribunal pénal de première instance numéro 39 d’Ankara. En juin 2022, sur le même campus, près de 600 personnes se sont à nouveau retrouvées pour défiler sur une petite distance. De nouveau, plusieurs dizaines d’étudiant·e·s sont arrêté·e·s, dont certain·e·s après avoir été traîné·e·s par terre. Tou·te·s ont été relâché·e·s par la suite.

PROTÉGER LES DROITS DES PERSONNES LGBTQIA+

Le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan réprime les communautés LGBTQIA+. « Il les considère comme une menace, explique Melike Balkan. Depuis les nouvelles élections, la coalition gouvernementale est composée de groupes d’extrême droite qui veulent fermer les associations LGBTQIA+, stopper toute forme d’activité autour de ces communautés. Ils pensent qu’être LGBTQIA+, c’est immoral, que cela menace le modèle de la famille traditionnelle. » Le président Erdoğan a d’ailleurs basé ses discours de campagne contre les personnes LGBTQIA+, en les diabolisant et en accusant le candidat de l’opposition de les soutenir.

« Que ce soit en Turquie, en Serbie ou en Hongrie, les autorités et les politicien·ne·s instrumentalisent les personnes LGBTQIA+ en disant que c’est un péché, en tenant des discours haineux, pour galvaniser les conservateurs », commente Belinda Dear, chargée de plaidoyer chez ILGA-Europe.

« Ils et elles ont fait des personnes LGBTQIA+ des boucs émissaires », s’accordent à dire Melike Balkan et Belinda Dear. ILGA-Europe est une organisation internationale non gouvernementale indépendante réunissant plus de 700 organisations LGBTQIA+ de 54 pays d’Europe et d’Asie centrale. Pour sa part, Belinda Dear travaille sur les questions relatives à l’État de droit dans l’Union européenne, afin d’obtenir des changements juridiques et politiques en faveur des personnes LGBTQIA+. « Je veille à ce que les fonds de l’Union européenne n’aillent pas dans des structures qui discriminent les personnes LGBTQIA+. Je m’assure que cela n’affecte pas leurs droits. »

Depuis 2009, ILGA publie annuellement une « Rainbow Map », qui classe 49 États européens selon les lois et politiques appliquées vis-à-vis des droits des communautés LGBTQIA+. Le score des pays augmente s’ils promulguent des lois protégeant les personnes concernées et descend si, au contraire, ils adoptent des lois qui leur sont hostiles ou bien si les lois ne sont pas correctement appliquées ni exécutées. Et les résultats de la carte cette année sont assez positifs.

« Il y a eu des changements en 2022, notamment vis-à-vis des droits des personnes trans et intersexes, grâce à l’adoption de lois sur la reconnaissance du genre et l’interdiction des mutilations génitales sur les personnes intersexuées », explique Belinda Dear.

LES MANIFESTATIONS HAINEUSES PROTÉGÉES

ILGA note des inégalités dans le droit de protester : certains États autorisent des rallies anti-LGBTQIA+. Face à la montée de ces rallies, un nombre important de rencontres, protestations et regroupements de personnes LGBTQIA+ ont dû être restreints, voire annulés. En Serbie, des manifestations appelant à l’annulation de l’Europride, se voulant paneuropéenne, ont été permises en août 2022. Celle-ci a finalement été annulée puis interdite par les autorités serbes, pour de soi-disant raisons de sécurité. L’organisation de rallies anti-LGBTQIA+ a également été constatée en Turquie au cours de l’automne 2022.

« Il semblerait que le droit de se retrouver vaut pour tout le monde, mais pas les personnes LGBTQIA+ », assène Belinda Dear. « Il y a un double standard dans l’exercice de ce droit. La leçon que l’on peut en tirer, c’est que les menaces envers la Pride d’un certain pays représentent des menaces contre les Prides du monde entier. Cela se propage au-delà des frontières. »

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UNE VISIBILITÉ À DOUBLE TRANCHANT

Être visible, se rassembler librement, revient à s’exposer à des violences dans l’espace public. En Turquie, des personnes ont été arrêtées pour avoir déployé un drapeau arc-en-ciel lors d’un pique- nique. Ces attaques se produisent parce que des propos haineux ont été largement diffusés dans les médias et le débat public. Selon Belinda Dear, tant que les autorités en place contribueront aux discours anti-LGBTQIA+ au lieu de les condamner, les violences augmenteront. En n’agissant pas, en ne se positionnant pas formellement contre ces propos et attaques, elles les rendent légitimes dans le débat public. « Dans notre rapport annuel, constate Belinda Dear, nous avons vu que la haine et le nombre d’incidents pendant les Prides avaient augmenté. La haine est partout. Si la police ou le Premier ministre ne condamnent pas ces crimes, alors ça empire. Même si ces actes sont déjà condamnés par la loi. » Belinda Dear constate aussi que « plus la répression augmente, plus de mobilisations ont lieu. » Elle conclut : « chaque année, on observe des Prides et des célébrations de plus en plus nombreuses, dans les grandes villes mais aussi en zone rurale. C’est très beau. Face à la répression, la communauté garde beaucoup de force et y fait face ensemble. »

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