« C’EST UNE GUERRE FROIDE »

Membre des Pussy Riot, Ekaterina (Katia) Samoutsevitch parle au FIL D’AMNESTY de ses activités militantes, de la vie après la prison et de ses partenaires du groupe, toujours incarcérées.

Katia Samoutsevitch lors de son entretien au bureau d'Amnesty Russie à Moscou (février 2013). © Amnesty International

Libérée en octobre 2012, Katia Samoutsevitch avait passé 178 jours derrière les barreaux pour avoir interprété une « prière punk » dans une église avec le groupe punk féministe Pussy Riot. Le groupe s’en prenait au président russe Vladimir Poutine et aux dignitaires de l’Église orthodoxe qui le soutiennent.

Pourquoi avoir choisi ce mode d’action pour protester contre Poutine ?

« Les Pussy Riot, c’est de l’art politique. Si vous êtes un artiste, vous ne pouvez que réagir aux orientations politiques que prend votre pays, et surtout devant l’attitude de l’État envers la société civile et le fossé qui sépare la société de l’élite dirigeante. »

Que pensez-vous des actions militantes déclenchées par votre procès et votre condamnation ?

« Nous voulions protester contre l’Église orthodoxe russe [et son] patriarche Kirill, contre Poutine et ses tendances sexistes. Le soutien que nous avons reçu a permis de donner une nouvelle dimension au débat qui avait déjà commencé dans la société russe. Nous ne nous attendions pas à ce que cela prenne une telle ampleur dans le monde – ni une telle intensité en Russie.

« Par ailleurs, les autorités de l’État ne se contentent pas de vous passer les menottes et de vous arrêter, mais recourent aussi aux attaques médiatiques. Elles nous inondent d’un flot constant de désinformation et de pure diffamation. Il est difficile de convaincre les gens que tout cela n’est pas vrai. Les campagnes de soutien en notre faveur ont fait barrage à ce flot. De nombreux citoyens ont vu que les Pussy Riot avaient des partisans et se sont dit : “C’est étrange qu’autant de gens leur apportent leur soutien alors qu’elles font du mal et blasphèment. Se pourrait-il que Rossiya 1 [l’une des principales chaînes de télévision russes] ne nous dise pas toute la vérité ?” Ce combat était très important et réellement nécessaire.

« En outre, de nombreuses personnes ont été marquées par le fait que des organisations internationales, dont Amnesty, nous considèrent comme des prisonnières d’opinion, et que des célébrités, à l’instar de Madonna, Sting et d’autres, nous aient manifesté leur soutien. »

Spectacle de rue pour la libération des Pussy Riot au Venezuela (septembre 2012). © AP Photo/Misha Japaridze

Les conditions de votre condamnation avec sursis sont-elles très restrictives ?

« Globalement, non. Mais j’ai remarqué que j’étais parfois surveillée, de manière assez visible. À plusieurs reprises, dans le métro, j’ai clairement vu que quelqu’un était en train de me filmer. D’autres membres des Pussy Riot sont également suivies. Apparemment, les autorités redoutent que nous préparions une nouvelle action, et c’est pourquoi elles nous ont à l’oeil. Mais il ne s’agit pas d’une filature professionnelle. Soit ils manquent d’expérience, soit c’est juste pour nous faire comprendre qu’ils nous surveillent. Mon téléphone est sur écoute, j’en suis convaincue. Alors, bien sûr, je fais attention à ce que je dis. »

Redoutez-vous de prendre part à de nouvelles actions de protestation en Russie ?

« Non. Personne ne m’a menacée, il ne m’est rien arrivé. Certains indices témoignent qu’une autre guerre est à l’oeuvre, une guerre médiatique. Quelqu’un essaie visiblement de nous contrôler indirectement, sans recourir à la violence, aux homicides ou aux menaces. C’est une guerre froide. Les méthodes directes ne fonctionneront pas ; le monde entier s’indignerait. Ils ont choisi une autre stratégie, du moins pour l’instant. »

D’après vous, les menaces proférées contre Macha Alekhina par ses codétenues s’inscrivent-elles dans cette guerre médiatique, ou bien sont-elles réelles ?

Les membres du groupe punk féministe Pussy Riot (de gauche à droite) Maria Alekhina, Ekaterina Samoutsevitch et Nadejda Tolokonnikova assistent dans une cage de verre à une audience en appel à Moscou, en Russie (1er octobre 2012). © AP Photo/Sergey Ponomarev

« Je pense qu’il s’agit de vraies menaces. J’ai lu les propos recueillis auprès de codétenues de l’unité de Macha. Ce sont ces menaces qui ont poussé Macha à déposer une plainte et qui sont à l’origine de son transfert à l’isolement.

« On ne sait pas vraiment comment l’administration de la colonie pénitentiaire va assurer la sécurité de Macha. Cela témoigne également du chaos qui règne dans la colonie, parce que ses codétenues sont des récidivistes qui en sont à leur deuxième ou troisième peine. Il est interdit d’enfermer des détenues de cette catégorie dans les mêmes cellules et les mêmes unités que celles qui purgent une première peine. Psychologiquement, ces femmes-là ont complètement changé, elles ne placent plus les limites de l’humanité au même endroit. »

Quelles grandes tendances constatez-vous aujourd’hui en Russie ?

« Le pouvoir est plus autoritaire et les mesures répressives se durcissent. Et des lois contraires à la Constitution passent comme une lettre à la poste, en toute discrétion, sans vraiment rencontrer de résistance. On assiste également à un phénomène manifeste de droitisation. Une voie particulière a été choisie, proche du néofascisme. Les lois interdisant “la propagande de l’homosexualité auprès des mineurs” ne sont que le sommet de l’iceberg. C’est un pas de plus vers la limitation des droits. Tout comme la loi sur les associations à but non lucratif, la loi sur la haute trahison, toutes ces lois inquiétantes. Les médias étant devenus muets, bien souvent, on ne sait pas ce qui se passe vraiment. »

Qu’est-ce que l’affaire Pussy Riot peut apprendre à la société russe ?

« Ce serait bien qu’elle donne aux gens un peu de sens critique. Les gens ne sont pas habitués à voir de l’art politique contestataire – ils ne comprennent pas qu’il s’agit d’un geste de dénonciation. Ils sont choqués ; comme ils sont influencés par la propagande officielle, ils pensent que c’est un geste antirusse, commandité par l’Occident. Le pouvoir fera n’importe quoi pour persuader les gens que l’art [de contestation] est une forme de houliganisme.

« Mais beaucoup de gens ont compris qu’il y avait anguille sous roche. Ils ont vu ce qui s’était passé, lu nos interviews, vu notre travail. Beaucoup ont commencé à s’intéresser à l’art politique féministe. La prochaine fois qu’ils verront quelqu’un se manifester en public ou publier des actions médiatiques en ligne, ils sauront que c’est de l’art et non du houliganisme. »

A-t-on peur de militer en Russie aujourd’hui ?

« Cela dépend du type de militantisme que vous pratiquez. Nous ne sommes pas si radicales que cela. À mon sens, vous êtes radical si vous détenez des informations sensibles. Dans ce cas, vous ne ferez pas de vieux os. Les activités politiques à caractère artistique ne sont pas si dangereuses que cela. Ce qui nous est arrivé est probablement lié à la proximité de l’élection présidentielle de mars 2012.

« En revanche, le fait que Nadia et Macha restent en prison, qu’elles n’aient pas été relâchées alors qu’elles ont des enfants, c’est une méthode inédite d’intimidation. Après cela, est-ce que des gens qui ont de jeunes enfants voudront prendre part à ce genre d’actions ? C’est une forme singulière de cruauté – une cruauté au service de la propagande. Il est important de trouver un moyen de la combattre. »

AGISSEZ Les partenaires de Katia, Nadejda (Nadia) Tolokonnikova et Maria (Macha) Alekhina ont déposé une demande de libération conditionnelle, mais elles purgent leur peine dans des colonies pénitentiaires reculées jusqu’au mois de mars 2014. Plus leur détention se prolongera, plus il sera important de les soutenir. Aidez-nous à demander l’annulation de leurs condamnations en envoyant un appel, cliquez ici.
Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit