« Maintenant, certains réfléchissent à deux fois avant de tweeter... »

En Espagne, l’espace dédié à l’expression des opinions, particulièrement sur Internet, se réduit à vue d’œil. Des journalistes, des musiciens et des personnes ordinaires qui publient des commentaires sur les réseaux sociaux sont condamnés à des amendes, voire à des peines de prison, au titre d’une loi antiterroriste dangereusement floue. Désormais, de plus en plus de personnes hésitent à tenir des propos qui pourraient susciter des polémiques politiques ou être considérés comme choquants.

En Espagne, les menaces pour la liberté d’expression ne sont pas un sujet de plaisanterie. Demandez à Cassandra Vera. En 2016, cette femme transgenre de 22 ans originaire de Murcie et étudiante en histoire a été arrêtée pour avoir publié sur Twitter des plaisanteries au sujet de l’amiral Luis Carrero Blanco, chef du gouvernement franquiste, tué en 1973 dans un attentat à l’explosif revendiqué par l’ETA, qui avait projeté sa voiture dans les airs. « L’ETA avait non seulement une politique concernant les voitures officielles, mais aussi un programme spatial », avait-elle écrit sur le ton de la plaisanterie.

À cause de cette phrase, Cassandra a été condamnée à un an de prison avec sursis et à sept ans d’interdiction d’accès à un emploi dans la fonction publique, au titre de l’article 578 du Code pénal espagnol, un article formulé en des termes dangereusement vagues, qui sanctionne la « glorification du terrorisme » et l’« humiliation » de ses victimes. Les condamnations pour ces infractions ont augmenté de façon exponentielle au cours des dernières années : en 2011, une seule personne avait été déclarée coupable au titre de cet article, alors qu’en 2017, ce nombre s’élevait à 31.

Au titre de l’article 578, des utilisateurs des réseaux sociaux ont été poursuivis en raison de leurs tweets, des rappeurs risquent des peines de prison pour les paroles de leurs chansons et même des marionnettistes ont été arrêtés. Les personnes déclarées coupables sont interdites d’accès à des emplois de la fonction publique, condamnées à de lourdes amendes, voire à des peines de prison. Ces poursuites ont créé un climat de crainte, réduisant l’espace dédié à l’expression d’opinions dissidentes ou de plaisanteries prêtant à polémique, et étouffant la liberté artistique. « Beaucoup ont peur », a expliqué Nyto Rukeli, membre de La Insurgencia, un collectif de 12 rappeurs condamnés au titre de cet article en raison des paroles de leurs chansons. « Les autorités sont arrivées à leurs fins, car près de la moitié des membres ont arrêté de chanter ou ont changé le message de leurs chansons. »

Le cas de l’Espagne s’inscrit dans une tendance plus large observée dans toute l’Europe consistant à restreindre certaines formes d’expression, particulièrement sur Internet, sous couvert de sécurité nationale. Des lois érigeant en infraction la « glorification » ou l’« apologie » du terrorisme existent en France et au Royaume-Uni, et des lois similaires ont été proposées en Belgique et aux Pays-Bas.

Cassandra Vera fait partie des personnes les plus chanceuses. Elle a fait appel de sa condamnation et a finalement été innocentée en mars 2018. Parmi les nombreuses personnes qui l’ont défendue figurait la petite-fille de l’amiral Luis Carrero Blanco, qui a déclaré par écrit « avoir peur d’une société où la liberté d’expression peut conduire à l’emprisonnement, aussi regrettables puissent être les propos tenus ». En Espagne, cette société est devenue réalité.

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