LA PLANÈTE ET LES DROITS MENACÉS D’ASPHYXIE

En raison du réchauffement climatique, les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient partout sur la planète, avec des conséquences dramatiques. Si rien n’est fait pour contrer la montée des températures, la situation s’aggravera. L’impact sur l’humanité et nos droits fondamentaux sera alors dévastateur.

Le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le disait déjà en 1990 : le réchauffement climatique impliquera des phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus forts et de plus en plus fréquents, avec des conséquences catastrophiques, telles que des sécheresses, des inondations, etc. Ces derniers mois nous l’ont bien prouvé et nous avons connu chez nous des phénomènes que nous avions l’habitude de voir se produire à l’autre bout de la planète. Les pluies diluviennes qui ont frappé la Wallonie au mois de juillet ont bouleversé la vie de milliers de Belges. En raison de ces inondations extrêmes, plus de 40 personnes sont mortes, tandis que des milliers d’autres ont perdu leurs logements

L’EXTRÊME D’AUJOURD’HUI POURRAIT ÊTRE LA NORME DEMAIN

En Amérique du Nord, en Sibérie, en Grèce, en Turquie, etc., des incendies font rage ; les tempêtes et inondations se multiplient ; les écosystèmes se dégradent ; le niveau des océans continue de monter. Ces phénomènes correspondent simplement à l’adaptation de la Terre et de l’environnement au réchauffement de la planète. Mais cette adaptation pourrait ne pas être compatible avec nos droits humains et la vie sur Terre. Ce qui nous paraît extrême aujourd’hui pourrait devenir la norme demain. Ces phénomènes climatiques extrêmes sont amenés à se reproduire, en Belgique comme ailleurs, si les températures continuent d’augmenter. Seule solution : diminuer les émissions de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement à 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel, comme cela est prévu par l’Accord de Paris. Mais ces émissions continuent d’augmenter et nous avons désormais atteint un niveau de réchauffement de 1,1 °C. Si rien n’est fait pour s’adapter et ralentir les effets du dérèglement climatique, la situation empirera, avec les futures générations en première ligne, et personne ne sera épargné. Agir pour le climat est donc une urgence, pour l’environnement, mais aussi pour les droits humains. Les conséquences du dérèglement climatique menacent d’affecter durablement nos droits, notre quotidien et notre bien-être.

ENVIRONNEMENT ET DROITS HUMAINS : UNE ÉQUATION VITALE

Les conséquences multidimensionnelles du dérèglement climatique menacent directement et durablement nos droits fondamentaux. En renforçant la fréquence et l’intensité des évènements météorologiques extrêmes et en favorisant l’émergence et la propagation de maladies infectieuses, le changement climatique affecte notre droit à la vie et à la santé. À titre d’exemple, la vague de chaleur qu’a connue le Canada à la fi n du mois de juin avec des températures records de presque 50°C a causé le décès d’au moins 134 personnes en quelques jours. Mais ce sont des droits aussi basiques et fondamentaux que les droits au logement, à l’alimentation ou encore à l’eau qui sont en jeu. En effet, en 2020, quelque 30 millions de personnes ont été déplacées de force à la suite de tempêtes, de sécheresses ou d’inondations. Par ailleurs, le climat ayant un impact direct sur l’agriculture, ainsi que sur la quantité et la qualité de l’eau, les capacités de production mondiale de nourriture risquent d’être considérablement réduites, menaçant de faire basculer des milliards de personnes supplémentaires dans le manque d’eau et dans la faim.

LES PLUS VULNÉRABLES LES MOINS RESPONSABLES

Si l’ensemble de la planète est concerné, certains groupes et populations sont plus vulnérables du fait de la discrimination, des inégalités structurelles ou encore de la distribution inégale des ressources. C’est par exemple le cas des pays du Sud, qui consomment beaucoup moins de ressources que l’Europe ou les États-Unis ou des communautés indigènes, qui ont un mode de vie beaucoup plus respectueux de l’environnement. Toutes ces personnes, qui ont pourtant le moins contribué à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, sont celles qui en subissent le plus les conséquences. De 1990 à 2015, les 10 % les plus riches de la planète (630 millions de personnes) étaient responsables de plus de la moitié des émissions de carbone, tandis que les 50 % les plus pauvres (environ 3,1 milliards de personnes) étaient responsables de seulement 7 % des émissions cumulées. Néanmoins, ce seront les plus désavantagé·e·s qui souffriront le plus. Les États et les entreprises, doivent agir avant que l’urgence climatique ne devienne la plus grande violation de droits humains intergénérationnelle de l’histoire.

LES ÉTATS ET LES ENTREPRISES DOIVENT ASSUMER LEURS RESPONSABILITÉS

En vertu du droit international des droits humains, ce sont principalement nos gouvernements qui sont tenus d’agir afi n de nous protéger, y compris dans le contexte du dérèglement climatique. Les États, qui ont l’obligation de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger leur population, sont tenus d’atténuer les effets nocifs du changement climatique en prenant les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et ce, le plus rapidement possible. Dans ce contexte, les États riches ont une responsabilité accrue. En effet, les 20 pays les plus riches du monde sont responsables de 78 % des émissions de gaz à effet de serre. Ils doivent dès lors être en première ligne dans les efforts pour lutter contre la crise climatique, en prenant des mesures plus rapidement au niveau national pour réduire leurs émissions, mais aussi en soutenant fi nancièrement les pays en développement, dont la responsabilité est moindre et qui sont pourtant plus affectés. Les États doivent mettre en place des mesures qui permettent aux citoyen·ne·s non seulement d’être protégé·e·s du changement climatique, mais aussi d’adapter leur mode de vie de façon à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone. Subventionner les transports non polluants, permettre une agriculture raisonnée, etc. sont autant de mesures structurelles que l’État a le devoir de mettre en place. Cependant, les États ne sont pas les seuls tenus d’agir contre le changement climatique. Dans la mesure où les activités économiques sont à la source d’une majeure partie des émissions de gaz à effet de serre, les entreprises ont elles aussi logiquement leur part de responsabilité, particulièrement les producteurs d’énergies fossiles. Ainsi, parmi ces derniers, 100 entreprises sont responsables à elles seules de 71 % des émissions de gaz à effet de serre depuis 1988. Les États doivent quant à eux s’assurer que les entreprises prennent effectivement toutes les mesures nécessaires et les sanctionner si elles ne le font pas.

DES ACCORDS INTERNATIONAUX INSUFFISANTS ET NON RESPECTÉS

Malgré l’existence d’un cadre juridique complet et contraignant, les efforts demeurent largement insuffi sants. À l’occasion de la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 (COP21), l’adoption de l’Accord de Paris avait représenté un grand espoir avec la promesse de faire le plus possible pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C. À ce jour, 183 États l’ont ratifi é et, pourtant, les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter. Les restrictions et quarantaines imposées dans le contexte de la pandémie n’ont fait que ralentir momentanément les émissions de gaz à effet de serre, mais ces dernières ont repris de plus belle. Pour le moment, les mesures adoptées en 2015 mènent à une augmentation de 3 °C d’ici à 2100, ce qui aurait des conséquences irréversibles pour la vie sur Terre. Dans ce contexte, plusieurs requêtes, notamment sur des initiatives citoyennes, ont été formulées auprès de cours nationales afi n d’inculper les États pour leur inertie. En 2020, au moins 1 550 affaires liées au changement climatique ont été initiées dans 38 pays, deux fois plus qu’en 2017 (selon les chiffres du Programme pour l’environnement des Nations unies). Compte tenu de la connaissance qu’ont les décideur·euse·s des causes du changement climatique et des dangers qu’il représente, ainsi que de l’échec que constitue l’absence de mesures adéquates pour réduire le réchauffement climatique et soutenir les citoyen·e·s touché·e·s par ses conséquences, l’inaction équivaut à une véritable violation des droits humains, à laquelle il faut remédier au plus vite.

CONDAMNÉE PAR LA JUSTICE, LA BELGIQUE DOIT AGIR

En Belgique, l’action intentée par l’Affaire Climat contre l’État fédéral et les Régions a débouché sur une victoire historique (voir encadré), contraignant les autorités à assumer leurs responsabilités et à mettre enfin en place une politique efficace et cohérente. Concrètement, la Belgique doit prendre d’urgence des mesures afin de réorienter les dépenses et investissements pour transformer son économie et réduire les émissions de gaz à effet de serre. La lutte contre le réchauffement climatique doit être au centre des politiques de reconstruction suite à la crise générée par la pandémie. Il est de la responsabilité des Régions, des Communautés et du gouvernement fédéral de travailler ensemble et d’impliquer davantage la société civile dans l’élaboration des mesures pour le climat. Enfin, nos autorités doivent assumer leur responsabilité historique dans la crise climatique, notamment en rehaussant leur contribution en matière de financement international et en reconnaissant internationalement les problématiques de droits humains liées au climat, comme la question des déplacé·e·s climatiques, des inégalités ou encore de la sécurité alimentaire.

LA COP DE LA DERNIÈRE CHANCE

Face à l’urgence de la situation, la COP26 qui se tiendra à Glasgow, en Écosse, du 1er au 12 novembre prochains, apparaît comme celle de la dernière chance. au mieux pour mettre enfin en place des mesures qui permettent de lutter efficacement contre le réchauffement climatique. La pandémie de COVID-19 a montré que, en situation d’urgence, des mesures peuvent être prises de façon efficace et que des adaptations peuvent être appliquées rapidement. Il est grand temps que les responsables politiques du monde entier – et des pays riches tout particulièrement – comprennent que la crise climatique est un enjeu au moins aussi urgent qu’une pandémie. Rappelonsleur que le changement est possible, mais surtout vital.

LA BELGIQUE PLACÉE DEVANT SES RESPONSABILITÉS

En Belgique, une action citoyenne, l’Affaire Climat, a intenté une action en justice contre l’État fédéral et les trois Régions pour exiger une politique climatique ambitieuse. Après sept longues années, le tribunal francophone de première instance de Bruxelles a rendu un jugement historique le 17 juin dernier en déclarant les quatre entités conjointement et individuellement responsables. Le juge a également déclaré que les gouvernements violent les droits humains, notamment les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui garantissent respectivement le droit à la vie et le droit à la vie privée et familiale. Le tribunal a par ailleurs affirmé que la protection contre un réchauffement climatique dangereux est un droit fondamental et que les États ont l’obligation de protéger ce droit, de la même manière que les autres droits fondamentaux.

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