PUNIR : LE POURQUOI DU COMMENT

Interview de Dan Kaminski, licencié en droit, docteur en criminologie et professeur ordinaire à l’école de criminologie de l’UCLouvain. Spécialiste du fonctionnement du système pénal, il a participé à l’élaboration du programme de l’Université d’été d’Amnesty – nous l’en remercions d’ailleurs vivement –, et il apportera aux participant·e·s toute l’étendue et l’acuité de son regard sur la façon dont notre société punit le crime. En amont de cette rencontre, nous l’avons contacté pour un entretien « amuse-gueule ».

Au fond, pourquoi punit-on ?

La question devrait-être : pourquoi délivrons-nous intentionnellement de la douleur ? Je pense que nous sommes convaincu·e·s que nous devons le faire. Il y a quatre grandes réponses philosophiques à cette question.

Premièrement, la réponse rétributiviste : il faut faire payer le prix du dommage commis par le·la délinquant·e à la société.

La deuxième justification, c’est la dissuasion. Le tarif de la peine est conçu de telle manière qu’il doit être considéré comme prohibitif. Il s’agit de faire renoncer des acteur·rice·s rationnel·le·s à leur projet de commettre un acte délinquant.

La troisième, c’est dissuader l’ensemble de la population d’agir de la même manière que celui·celle qui aurait osé transgresser.

Enfin, l’amendement et la resocialisation. Il s’agit d’effectuer un travail de changement personnel qui vise la réintégration harmonieuse de l’individu dans la société.

Comment punit-on ?

La réponse à cette question dépend de la réponse à la première. Les justifications sont différentes, mais n’ont aucun effet réel sur la nature des peines ni sur leur quantum.

Ce sont les cycles économiques qui sont le plus significativement associés aux variations sur l’ampleur des peines. En temps de bonne situation économique, on punit moins, on enferme moins et moins longtemps.

Il y a l’idée que le crime est lui-même associé au statut socialement défavorisé de leurs auteur·rice·s, mais ce n’est pas toujours vrai. C’est uniquement le crime pris en charge par le système pénal qui est associé au statut socialement défavorisé. Il y a toute une nébuleuse criminelle qui est probablement le fait de personnes disposant d’un statut plus favorisé et qui n’est pas prise en charge ou qui l’est de façon sobre, discrète, avec des méthodes moins stigmatisantes, etc.

En période de régression économique, parallèlement à une augmentation du chômage, on observe un accroissement de l’intolérance à l’égard de la population plus massivement vécue comme potentiellement dangereuse. Ceux·celles qui sont le plus éprouvé·e·s par les variations sont ceux·celles qui sont le plus visé·e·s par des politiques pénales…

Pourquoi la privation de liberté est-elle la punition centrale de notre système pénal ?

À mon sens, il y a trois éléments de réponse. Premièrement, il y a la fonction anthropémique, qui consiste à exclure nos ennemi·e·s ; à les emprisonner, donc. On remarquera d’ailleurs que, depuis la fin du XXe siècle, les prisons sont construites à la périphérie des villes. Au XIXe siècle, les prisons étaient situées en centre-ville.

La deuxième raison est liée au fait que la prison est la méthode qui assure le mieux ce qu’on peut appeler la sécurité extérieure vis-à-vis des « gens dangereux ». Le sentiment de sécurité est assuré par l’existence même des prisons et par l’enfermement de ceux·celles qui s’y trouvent. Même si je dis ça avec beaucoup de réticences, compte tenu de ma propre représentation des prisons.

La troisième explication est historique. Les révolutions, comme la Révolution française, ont instauré un droit pénal nouveau, démocratique, qui punissait tout le monde de la même manière. C’est un peu effrayant de le dire comme ça, mais, comme peine, elle a été inventée avec la démocratie. On s’est demandé ce qu’on pourrait faire perdre de manière égale à des gens et la réponse est apparue comme simple : du temps.

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