République démocratique du Congo

Les tensions politiques et militaires ont dégénéré en affrontements très violents à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), et dans la province du Bas-Congo. Des homicides illégaux, des arrestations et placements en détention arbitraires, des actes de torture et d’autres formes de traitement cruel, inhumain et dégradant étaient couramment pratiqués dans tout le pays par les forces de sécurité et les groupes armés, et visaient le plus souvent des personnes ressenties comme étant des opposants politiques. Le nombre de viols imputables à des membres des forces de sécurité ou à des combattants de groupes armés demeurait élevé. Dans certaines provinces, la situation s’est améliorée sur le plan de la sécurité, mais la crise des droits humains observée dans les deux provinces orientales du Kivu et qui se doublait d’une crise humanitaire s’est en revanche aggravée. Avec 1,4 million de personnes déplacées par les conflits, les besoins humanitaires restaient considérables à l’échelle du pays. La mauvaise gestion des affaires publiques, le délabrement des infrastructures et le sous-investissement nuisaient considérablement à l’efficacité de services sociaux de première importance, comme la santé et l’éducation.


Contexte

Un nouveau gouvernement, formé en février, a succédé à la coalition gouvernementale de transition qui dirigeait le pays depuis 2003. Fin mars, les tensions entre l’équipe gouvernementale et Jean-Pierre Bemba, le principal candidat d’opposition lors de l’élection présidentielle de 2006, ont dégénéré. Quelque 600 personnes ont été tuées au cours des combats qui ont éclaté à Kinshasa entre les forces gouvernementales et la garde rapprochée de Jean-Pierre Bemba, après le refus de ce dernier d’obtempérer à un ordre de désarmement émis par le gouvernement. Jean-Pierre Bemba a ensuite quitté le pays et une coexistence difficile entre le gouvernement et l’opposition politique s’est engagée.
L’autorité de l’État a continué de se rétablir dans des zones où régnait auparavant l’insécurité. Malgré l’introduction de nouvelles mesures de renforcement, les institutions de l’État demeuraient fragiles. Un certain nombre de groupes combattants ont été désarmés et démobilisés, en particulier en Ituri et dans la province du Katanga. Toutefois, n’ayant pas reçu l’aide promise à la réinsertion dans la vie civile, les combattants démobilisés étaient des facteurs d’insécurité au niveau local.
Dans les provinces orientales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les affrontements se sont poursuivis. En août, des combats ont éclaté dans le Nord-Kivu entre l’armée et les forces restées fidèles au général tutsi Laurent Nkunda. Ces affrontements, auxquels ont également participé les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, un groupe armé) et les milices maï maï, ont été marqués par de graves violations du droit international humanitaire et ont abouti à un durcissement des tensions entre la RDC et le Rwanda. En novembre, les deux pays se sont entendus sur une « approche commune » pour neutraliser la menace constituée par les groupes armés congolais et étrangers présents en RDC. L’offensive militaire lancée par le gouvernement en décembre contre les forces de Laurent Nkunda, avec le soutien de la Mission de l’ONU en RDC (MONUC, la force de maintien de la paix des Nations unies dans le pays) s’est révélée peu concluante. La fin de l’année a été marquée par l’annonce d’un projet de grande conférence nationale destinée à ramener la paix dans les deux provinces du Kivu.

Personnes déplacées
Les combats qui se sont déroulés dans le Nord-Kivu entre août et décembre ont contraint au départ plus de 170 000 personnes, qui sont venues s’ajouter aux quelque 200 000 déplacés qui, depuis fin 2006, avaient déjà fui l’insécurité régnant dans la région. Au total, il y avait plus de 1,4 million de personnes déplacées en RDC ; 322 000 autres étaient réfugiées dans des États voisins.

Police et forces de sécurité
L’armée nationale, les forces de police et les services de renseignement militaires et civils opéraient généralement dans un mépris total, ou presque, du droit congolais et du droit international, et ont commis la majorité des violations des droits fondamentaux signalées. Un nombre croissant d’atteintes aux droits humains a été attribué à la police. Le manque de discipline et l’indigence du commandement, mais aussi l’impunité dont les membres des différentes forces ont très souvent bénéficié, constituaient des obstacles majeurs à un meilleur respect des droits humains. Le programme de réforme du secteur de la sécurité en RDC visant à intégrer les anciennes forces et formations armées au sein de forces de sécurité nationales unifiées n’a été que partiellement mis en œuvre. Le fait que le gouvernement et Laurent Nkunda n’aient pas respecté le cadre juridique défini pour l’intégration des armées a été l’un des catalyseurs de la violence dans le Nord-Kivu.
Dans l’est du pays, le soin de protéger les civils incombait presque exclusivement à la MONUC, dont les moyens étaient insuffisants. En novembre, le secrétaire général des Nations unies a proposé de fixer des objectifs à atteindre avant toute réduction éventuelle de la MONUC. Parmi ces objectifs figuraient le désarmement et la démobilisation ou le rapatriement des groupes armés présents dans l’est du pays, ainsi que l’obtention de progrès significatifs des forces de sécurité congolaises en matière de sécurité, de protection des civils et de respect des droits humains.

Homicides illégaux
Les forces de sécurité de la RDC ainsi que des groupes armés congolais et étrangers se sont rendus coupables de centaines d’homicides illégaux. Au cours des opérations militaires, toutes les forces en présence ont délibérément pris des civils pour cibles ou n’ont pas fait le nécessaire pour protéger les populations. Pendant les affrontements qui ont eu lieu en mars à Kinshasa, les forces gouvernementales comme les partisans armés de Jean-Pierre Bemba ont fait usage d’armes lourdes dans des quartiers densément peuplés, provoquant la mort de centaines de civils.
 ?Le 31 janvier et le 1er février, 95 civils ont été tués par l’armée et la police, qui ont eu recours à une force disproportionnée, voire à des exécutions illégales, pour mater des mouvements de protestation violents dans la province du Bas-Congo. Dix membres des forces de sécurité ont trouvé la mort dans ces circonstances.
 ?Fin mars, les forces gouvernementales auraient procédé à l’exécution extrajudiciaire d’au moins 27 partisans supposés de Jean-Pierre Bemba, à Kinshasa.
 ?En septembre, 21 corps ont été découverts dans des fosses communes situées dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), sur d’anciennes bases des forces de Laurent Nkunda. Certains cadavres avaient les mains et les pieds attachés.

Torture et autres mauvais traitements
Les services de sécurité et les groupes armés se sont régulièrement rendus coupables d’actes de torture et de mauvais traitements (passages à tabac, coups de couteau, viols pendant la garde à vue, notamment). Des personnes ont été maintenues en détention sans aucune possibilité de contact avec l’extérieur, parfois dans des lieux tenus secrets. À Kinshasa, la Garde républicaine, c’est-à-dire la garde présidentielle, et les services spéciaux de la police ont incarcéré de manière arbitraire, puis torturé et soumis à de mauvais traitements de nombreux opposants présumés. Beaucoup étaient visés uniquement parce qu’ils appartenaient à la même ethnie que Jean-Pierre Bemba ou étaient originaires comme lui de la province de l’Équateur. Dans la plupart des centres de détention et des prisons, les conditions d’incarcération demeuraient cruelles, inhumaines ou dégradantes. Des décès consécutifs à la malnutrition ou à des pathologies curables étaient régulièrement signalés.
 ?Papy Tembe Moroni, un journaliste de Kinshasa originaire de la province de l’Équateur qui travaillait pour une chaîne de télévision de l’opposition, a été maintenu cent trente-deux jours en détention de manière arbitraire avant d’être relâché en avril. Décrivant sa garde à vue à Amnesty International, il a déclaré : « Ils m’ont attaché et frappé à coups de bâton, comme on tape sur un serpent pour le tuer. »

Violences sexuelles
Cette année encore, de nombreux viols et d’autres formes de violence sexuelle ont été signalés dans tout le pays, en particulier dans l’est. Dans la majorité des cas, les auteurs étaient des militaires ou des policiers, ainsi que des membres de groupes armés congolais ou étrangers. Il semble en outre que le nombre de viols imputables à des civils était en augmentation. De nombreux viols, en particulier ceux commis par les groupes armés, étaient accompagnés de mutilations génitales et autres actes d’une extrême violence. Les FDLR et un groupe issu de leurs rangs, les Rastas, ont enlevé des femmes et des jeunes filles pour les utiliser comme esclaves sexuelles. Les auteurs de sévices sexuels étaient rarement traduits en justice. Une loi de 2006 renforçant les procédures judiciaires et les peines prévues pour les crimes sexuels était peu appliquée. Les victimes de viol continuaient d’être montrées du doigt et étaient frappées d’exclusion sociale et économique. Peu d’entre elles avaient accès aux soins médicaux nécessités par leur état. Le problème du viol reste toujours aussi aigü en RDC et s’inscrit dans le cadre plus large des violences et des discriminations généralisées dont les femmes sont la cible.
 ?Entre le 21 juillet et le 3 août, des combattants maï maï ont, semble-t-il, perpétré des viols en masse sur environ 120 femmes et jeunes filles à Lieke Lesole, dans le territoire d’Opala (Province-Orientale). À la fin de l’année, une enquête judiciaire concernant ces faits avait été ouverte.
 ?Les 26 et 27 mai, des combattants des FDLR ou des Rastas auraient tué 17 personnes, dont des femmes et des enfants, et enlevé puis agressé sexuellement sept femmes à Kanyola, dans la province du Sud-Kivu. Ces femmes ont ensuite été secourues par l’armée.

Enfants soldats
Plusieurs centaines d’enfants étaient encore dans les rangs de groupes armés congolais ou étrangers et dans certaines unités de l’armée. À la fin de l’année, le programme gouvernemental d’identification et de démobilisation des enfants soldats n’était encore que partiellement opérationnel. Dans de nombreuses régions du pays, les programmes de réinsertion de ces jeunes dans la vie civile continuaient de mal fonctionner. Fin 2007, quelque 5 000 enfants démobilisés ne bénéficiaient toujours d’aucune aide à la réinsertion.
Dans le Nord-Kivu, le groupe armé de Laurent Nkunda et les milices d’opposition maï maï ont recruté de très nombreux enfants qui, pour la plupart, ont été enrôlés sous la contrainte. Il semble que les forces dirigées par Laurent Nkunda aient procédé à des recrutements forcés dans des écoles.
L’insécurité qui régnait dans le Nord-Kivu compromettait l’efficacité des programmes des ONG visant à réunir les familles et à réinsérer les enfants soldats dans la société. Une partie de ceux qui avaient réintégré leur foyer familial ont été à nouveau enlevés par des groupes armés.
 ?En octobre, plus de 160 filles et garçons âgés de sept à dix-huit ans ont été accueillis dans un stade de Rutshuru, dans le Nord-Kivu, après avoir échappé à des tentatives d’enrôlement forcé de la part des soldats de Laurent Nkunda. Il était à craindre que d’autres enfants n’aient été capturés par des combattants ou ne se soient égarés dans la forêt.

Défenseurs des droits humains
Cette année encore, des défenseurs des droits humains ont fait l’objet d’agressions et de menaces de mort, principalement attribuées à des agents de l’État. Des journalistes et des avocats étaient régulièrement victimes d’agressions, d’arrestations arbitraires ou de manœuvres d’intimidation en raison de leurs activités professionnelles.
 ?En mai, une défenseure des droits humains a été violée par un agent des services de sécurité alors qu’elle visitait un centre de détention. En septembre, les filles d’une autre militante ont été agressées chez elles par des soldats qui leur ont fait subir des violences sexuelles.
 ?Journaliste à Radio Okapi, une station soutenue par les Nations unies, Serge Maheshe a été assassiné à Bukavu en juin, dans des circonstances qui n’ont pas donné lieu à une enquête satisfaisante. Au terme d’un procès inique tenu devant un tribunal militaire, quatre personnes ont été condamnées à mort en août ; parmi elles figuraient deux amis de la victime, reconnus coupables sur la base du témoignage non corroboré de deux hommes ayant avoué le meurtre avant de se rétracter. Il a été fait appel du jugement.

Système judiciaire
Dans de nombreuses régions, la justice civile n’était pas ou très mal rendue, le système étant paralysé par un manque d’indépendance, de moyens et d’effectifs. Cette année encore, des civils ont été jugés par des instances militaires, malgré le caractère inconstitutionnel de ce type de procès. De nombreux accusés, en particulier ceux qui comparaissaient devant des tribunaux militaires, n’avaient pas droit à un procès équitable. De nouvelles condamnations à la peine capitale ont été prononcées - essentiellement par des tribunaux militaires - mais aucune exécution n’a été signalée. Si les procès étaient souvent expéditifs, les délais de comparution se révélaient en revanche longs. Les ingérences politiques ou militaires dans l’administration de la justice étaient fréquentes.
 ?Incarcéré au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), Théophile Kazadi Mutombo Fofana était maintenu illégalement en détention dans l’attente de son procès depuis septembre 2004. Soupçonné de participation à une tentative de coup d’État à Kinshasa, il avait été extradé illégalement de la République du Congo en juillet 2004 et torturé durant sa détention par les services de sécurité. À la fin de l’année, il n’avait pas été déféré devant un tribunal ni autorisé à contester la légalité de sa détention.

Impunité – justice internationale
L’impunité continuait d’être la règle dans la grande majorité des cas. Toutefois, on a noté une augmentation du nombre d’enquêtes et de procès nationaux concernant des violations des droits humains – principalement diligentés par les autorités militaires –, dont quelques procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Plusieurs procédures ont été compromises par des évasions de prévenus depuis des prisons ou des centres de détention.
 ?En octobre, les autorités ont livré à la Cour pénale internationale (CPI) Germain Katanga, ancien commandant en chef d’un groupe armé de l’Ituri. La CPI avait émis à son encontre un acte d’accusation pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui auraient été commis dans le district de l’Ituri en 2003. Après Thomas Lubanga Dyilo, remis à la Cour en mars 2006, Germain Katanga était le deuxième chef de groupe armé de l’Ituri à être déféré devant cette juridiction internationale. D’autres hommes arrêtés par les autorités congolaises au début de l’année 2005 et inculpés de crimes contre l’humanité commis en Ituri restaient incarcérés au CPRK dans l’attente de leur jugement. La justice militaire a prolongé leur détention à plusieurs reprises, au mépris des règles de procédure pénale congolaises, et n’a accompli aucune démarche pour qu’ils comparaissent devant un tribunal.
 ?En février, le tribunal militaire de Bunia (Ituri) a déclaré 13 soldats coupables de crimes de guerre pour les meurtres de plus de 30 civils, commis dans le village de Bavi à la fin de l’année 2006. Pour avoir tué deux observateurs militaires de la MONUC en mai 2003, six membres de groupes armés ont également été reconnus coupables de crimes de guerre par ce tribunal. Dans les deux procès, les dispositions du Statut de Rome de la CPI ont été respectées.
 ?En juin, un tribunal militaire a acquitté tous les accusés, dont des militaires et trois employés étrangers de la société multinationale Anvil Mining, qui avaient à répondre de crimes de guerre commis en 2004 lors du massacre de Kilwa, dans la province du Katanga. Quatre des 12 prévenus ont été déclarés coupables d’infractions sans aucun lien avec cette affaire. Le cours du procès semble avoir été faussé par des ingérences politiques. L’acquittement de la totalité des accusés a été considéré par de nombreux observateurs comme un sérieux revers dans la lutte contre l’impunité en RDC.

Visites d’Amnesty International
Une délégation d’Amnesty International s’est rendue en RDC en mai et juin.

Autres documents d’Amnesty International

  • République démocratique du Congo. Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) et la réforme de l’armée (AFR 62/001/2007).
  • République démocratique du Congo. Persistance de la torture et des homicides par des agents de l’État chargés de la sécurité (AFR 62/012/2007).
  • République démocratique du Congo. L’escalade de la violence dans le Nord-Kivu accentue le risque de massacres à caractère ethnique (AFR 62/014/2007).
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