Mexique

Les violations des droits humains sont restées généralisées, voire systématiques dans certains États. La plupart des responsables continuaient d’échapper à la justice. À plusieurs occasions, la police a fait usage d’une force excessive pour disperser des manifestants, blessant un certain nombre d’entre eux. Des atteintes aux droits humains ont continué d’être signalées dans l’État d’Oaxaca. Des militaires exerçant des fonctions de maintien de l’ordre ont tué plusieurs personnes et commis d’autres violations graves des droits humains. Le gouvernement n’a par ailleurs pas accompli de progrès en vue de traduire en justice les responsables présumés des atteintes graves aux droits de la personne commises ces dernières décennies. Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont été tués et menacés. Dans plusieurs États, les autorités auraient utilisé le système judiciaire de manière abusive pour intenter des actions non fondées contre des militants politiques et des défenseurs des droits sociaux. Cette année encore, les indigènes et autres groupes défavorisés, comme les migrants, ont été exposés à la discrimination. Les difficultés d’accès aux services de base et l’absence de consultation véritable sur les projets de développement exacerbaient les inégalités et étaient source de conflit. Les communautés touchées étaient souvent privées de moyens efficaces de recours devant la justice. Malgré certaines réformes législatives encourageantes, la violence contre les femmes est restée endémique et la plupart des victimes n’ont pas pu se prévaloir de leur droit à la justice.

Contexte
Le président Calderón s’est engagé, au nom du gouvernement, à lutter contre la criminalité organisée, qui serait à l’origine de plus de 2 500 homicides commis en 2007.
En octobre, le Mexique et les États-Unis ont dévoilé un projet de coopération régionale en matière de sécurité baptisé Initiative de Mérida, dans le cadre duquel le gouvernement américain a proposé d’apporter son aide au Mexique et à l’Amérique centrale dans les domaines de la sécurité et la justice pénale en débloquant 1,4 milliard de dollars (1 milliard d’euros environ) sur trois ans. Fin 2007, le Congrès des États-Unis délibérait toujours sur la proposition et ses répercussions potentielles en matière de droits humains et de sécurité.

Évolutions juridiques, constitutionnelles et institutionnelles
Le gouvernement a annoncé, en mai, la création d’un Plan de développement national comprenant certains engagements en matière de protection des droits humains. Il a également promis de continuer à autoriser le libre accès aux mécanismes internationaux de défense des droits humains et d’agir contre l’usage de la torture.
En août, un nouveau Programme national en faveur des droits humains a été dévoilé.
Les députés ont approuvé des modifications de la Constitution ainsi que la réforme des systèmes de sécurité publique et de justice pénale. Ces changements impliquent d’importantes modifications des procédures policières et judiciaires, notamment le renforcement des pouvoirs de la police et du ministère public, qui pourront pénétrer chez quelqu’un sans autorisation d’un juge et maintenir en détention provisoire (arraigo) des personnes soupçonnées de crime organisé pendant une période pouvant aller jusqu’à quatre-vingts jours.

Cour suprême du Mexique
En février, la Cour suprême du Mexique a statué que l’armée avait violé l’interdiction constitutionnelle relative à la discrimination en limogeant des officiers au motif qu’ils étaient séropositifs au VIH.
En décembre, les résultats d’une enquête spéciale ordonnée par la Cour sur l’affaire Lydia Cacho ont été rendus publics. Il en est ressorti que le gouverneur de l’État de Puebla et d’autres hauts responsables locaux avaient abusé du système de justice pour arrêter la journaliste, qui a été victime de mauvais traitements et soumise à une procédure inéquitable pour avoir publié un livre dénonçant les violences faites aux enfants et les réseaux de pornographie. La majorité des juges de la Cour suprême ont toutefois refusé d’entériner ces conclusions.
Deux autres enquêtes spéciales de la Cour suprême du Mexique sur des atteintes aux droits humains commises à San Salvador Atenco et dans l’État d’Oaxaca étaient en cours à la fin de l’année.

Droits en matière de procréation
L’Assemblée législative du District fédéral a dépénalisé les avortements pratiqués durant le premier trimestre de grossesse et autorisé l’accès aux services pratiquant les interruptions volontaires de grossesse à Mexico. Le Bureau du procureur général au niveau fédéral et la Commission nationale des droits humains ont formé des recours en inconstitutionnalité contre ces réformes devant la Cour suprême, qui n’avait pas statué à la fin de l’année.

Police et forces de sécurité – sécurité publique
Personnel militaire
Plus de 20 000 militaires ont été affectés à des opérations de maintien de l’ordre dans plusieurs États pour lutter contre des bandes de narcotrafiquants. Cinq personnes au moins arrêtées arbitrairement au cours de ces opérations auraient été torturées et exécutées illégalement.
 ?En février, les autorités de l’État de Veracruz ont conclu qu’Ernestina Ascencio Rosario, une femme indigène, était morte des suites des blessures provoquées par un viol qui aurait été commis par des militaires présents dans l’État pour effectuer des opérations de maintien de l’ordre. La Commission nationale des droits humains a toutefois jugé que l’enquête avait été entachée d’irrégularités et que la femme était morte de causes naturelles. Alors que le traitement de l’affaire suscitait des préoccupations chez de nombreuses personnes, l’enquête a été abandonnée.
 ?Dans l’État du Michoacán, sept personnes ont été arrêtées arbitrairement en mai par des militaires qui participaient à des opérations de maintien de l’ordre. Plusieurs d’entre elles ont indiqué avoir été maltraitées ; quatre adolescentes auraient été violées ou auraient subi d’autres violences sexuelles.
 ?En juin, des soldats tenant un barrage routier dans l’État de la Sinaloa ont tiré sur une voiture, tuant deux femmes et trois enfants. Il y a eu plusieurs arrestations et des enquêtes militaires se poursuivaient à la fin de l’année.

Recours à une force excessive et torture

Des policiers ont été accusés de recours à une force excessive et d’actes de torture.
 ?En juillet à Oaxaca, des membres de la police de l’État et de la police municipale ont dispersé des manifestants en utilisant du gaz lacrymogène, des pierres et des matraques, blessant grièvement au moins deux personnes. De très nombreuses personnes ont été arrêtées. Emeterio Cruz a été photographié en bonne santé tandis qu’il était en garde à vue, mais il a ensuite été frappé à maintes reprises par la police, avant d’être conduit à l’hôpital dans le coma. Il en est sorti au mois d’août, partiellement paralysé. Cinq membres de la police municipale ont été interpellés et inculpés dans le cadre de cette affaire.
 ?En juin, la police de l’État de Veracruz a expulsé un groupe de cultivateurs nahuas qui occupaient une parcelle de terre dont la propriété était contestée dans la commune d’Ixhuatlán de Madero. La police a tiré en l’air à plusieurs reprises ; l’une des personnes présentes a été touchée et blessée. Selon certaines informations, les personnes arrêtées ont été frappées et menacées durant leur interrogatoire. L’objectif était de les contraindre à mettre en cause leur chef dans de présumées infractions pénales. Elles ont ensuite été libérées sous caution, dans l’attente de leur procès pour occupation illégale de terres.
Impunité
Les enquêtes menées sur les allégations de détention arbitraire, de torture et d’autres mauvais traitements imputables à la police ont souvent été inadéquates. Les auteurs de ces violations des droits humains sont ainsi généralement restés impunis.
Les cas de violations des droits humains commises par des militaires étaient souvent traités par l’appareil judiciaire de l’armée. La Commission nationale des droits humains a relevé des preuves d’atteintes graves aux droits fondamentaux dans plusieurs cas, mais n’a pas recommandé que lesdites affaires soient confiées à des tribunaux civils.
 ?En octobre, un tribunal civil a condamné quatre soldats pour le viol de 14 femmes, perpétré en juillet 2006 dans la municipalité de Castaños (État de Coahuila). D’autres membres de l’armée impliqués ont été acquittés ou n’ont pas été traduits en justice.

Atteintes aux droits humains commises dans le passé
Les dossiers de violations des droits humains commises dans les années 1960, 1970 et 1980, sur lesquels avait jusqu’alors enquêté le Bureau du procureur spécial chargé de ces affaires, ont été renvoyés au Bureau du procureur général fédéral sans qu’aucun engagement ait été pris quant à la poursuite des enquêtes. Le gouvernement n’a pas tenu compte du rapport final du Bureau du procureur spécial, qui reconnaissait que les atteintes aux droits humains étaient des crimes d’État commis de manière systématique.
La création d’un fonds d’indemnisation des victimes a été annoncée en octobre.
 ?En juillet, un juge fédéral a qualifié de génocide le massacre des étudiants qui avait eu lieu en 1968 sur la place Tlatelolco, à Mexico, mais il a estimé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour continuer à poursuivre l’ancien président, Luis Echeverría. Un appel de cette décision était en instance à la fin de l’année.

Craintes de disparitions forcées
L’Armée populaire révolutionnaire (EPR) a accusé les autorités de la disparition forcée de deux de ses membres, Edmundo Reyes Amaya et Gabriel Alberto Cruz Sánchez, qui, selon cette organisation, auraient été arrêtés à Oaxaca le 25 mai.
L’EPR a revendiqué, en août, plusieurs explosions provoquées dans le centre de Mexico pour exiger des autorités qu’elles admettent détenir les deux hommes. En octobre, un tribunal fédéral a rendu une ordonnance d’habeas corpus demandant aux autorités de mettre fin immédiatement à cette disparition forcée. Les autorités fédérales et de l’État ont nié avoir arrêté ou fait disparaître de force les deux hommes, et elles ont promis d’enquêter sur l’affaire. À la fin de l’année, on ne savait toujours rien du sort d’Edmundo Reyes Amaya et de Gabriel Alberto Cruz Sánchez.


Violences contre les femmes

L’Enquête nationale sur la dynamique des relations dans le foyer qui a été publiée en juin montre que 67 p. cent des femmes âgées de plus de quinze ans ont été victimes d’une forme ou d’une autre de violence au foyer, dans leur quartier, au travail ou à l’école ; 10 p. cent ont indiqué avoir subi des violences sexuelles.
La Loi générale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence est entrée en vigueur en février. Neuf États ont adopté des réformes législatives similaires.
Plus de 25 femmes ont été assassinées à Ciudad Juárez en 2007, selon les informations recueillies. Les responsables présumés de nombreux crimes violents commis contre des femmes dans l’État de Chihuahua au cours des années précédentes n’avaient toujours pas été traduits en justice par les autorités. Dans d’autres États – par exemple celui de Mexico –, le nombre de femmes assassinées serait plus élevé encore et l’impunité davantage répandue.


Système judiciaire – détention arbitraire et procès inéquitables

Dans certains États, le système de justice pénal était toujours utilisé pour poursuivre des militants des droits sociaux et des opposants politiques, qui étaient soumis à la détention arbitraire prolongée et à des procédures inéquitables. Bien que les juridictions fédérales donnent droit dans de nombreux cas aux demandes des plaignants, les tribunaux des États s’abstenaient souvent de réparer les injustices. Aucun responsable n’a eu à rendre compte de la violation des normes internationales d’équité des procès.
 ?La prisonnière d’opinion Magdalena García Durán, une indigène arrêtée durant les manifestations survenues à San Salvador Atenco en mai 2006, a été libérée en novembre faute de preuves suffisantes. Elle a été remise en liberté après qu’un juge local se fut plié à une deuxième injonction fédérale en sa faveur. Cependant, plus de 20 autres personnes arrêtées en même temps qu’elle à San Salvador Atenco étaient jugées à la fin de l’année dans le cadre d’une procédure tout aussi inéquitable.
 ?Diego Arcos, un dirigeant communautaire de Nuevo Tila (État du Chiapas), a été remis en liberté en décembre 2007 après avoir passé un an en détention. La police l’accusait d’avoir commis quatre meurtres lors d’une attaque contre la communauté de Viejo Velasco, en novembre 2006. Bien qu’une injonction fédérale ait été prononcée en sa faveur au mois d’août, il n’a été libéré que lorsque le ministre de la Justice de l’État a réexaminé son dossier et décidé d’abandonner les poursuites.
 ?Déclarés coupables de l’enlèvement de fonctionnaires de l’État lors de conflits locaux en 2006, Ignacio del Valle Medina, Felipe Álvarez Hernández et Héctor Galindo Gochicoa, qui avaient pris la tête d’un mouvement de protestation à San Salvador Atenco (État de Mexico), ont été condamnés en mai à soixante-sept ans d’emprisonnement. De réels doutes pesaient sur l’équité du procès et du jugement.

Défenseurs des droits humains
Dans de nombreux États, les défenseurs des droits humains risquaient toujours d’être victimes d’agressions, de menaces, d’actes de harcèlement et de poursuites pénales arbitraires. Selon toute apparence, ces actes étaient exercés en représailles à l’action qu’ils menaient.
 ?Aldo Zamora, membre d’une famille de militants écologistes engagés contre l’exploitation forestière illégale dans la municipalité d’Ocuilán (État de Mexico), a été tué par balle en mai. Son père avait déposé plusieurs plaintes concernant les menaces de mort reçues par sa famille, auxquelles les autorités n’avaient donné aucune suite. Deux suspects ont été arrêtés en août, mais deux autres restaient en liberté à la fin de l’année.
 ?En avril, Santiago Rafael Cruz, défenseur des droits des migrants, a été battu à mort dans les locaux du Comité syndical des ouvriers agricoles (FLOC) de Monterrey (État du Nuevo León). Les autorités de l’État ont affirmé que l’homicide n’avait pas de lien avec son action en faveur des droits humains, mais les organisations locales de protection des droits fondamentaux se sont dites préoccupées par la légèreté de l’enquête menée. Une personne inculpée du meurtre se trouvait en détention provisoire à la fin de l’année.
 ?La militante des droits humains Aline Castellanos a été forcée de quitter l’État d’Oaxaca après qu’un mandat d’arrêt eut été décerné contre elle sur la base d’éléments forgés de toutes pièces. Elle était accusée d’avoir participé à l’occupation d’un bâtiment public.


Liberté d’expression – journalistes

Les journalistes, en particulier ceux qui s’intéressaient au narcotrafic et à la corruption, étaient en butte à de multiples attaques. Au moins six personnes travaillant dans la presse ont été assassinées ; trois autres ont été enlevées. Les enquêtes officielles sur ces crimes et sur des agressions commises dans le passé n’ont guère progressé pour la plupart, ou sont restée au point mort.
 ?En octobre, trois employé du journal d’Oaxaca El Imparcial del Istmo – Mateo Cortés Martínez, Flor Vásquez López et Agustín López Nolasco – ont été abattus alors qu’ils distribuaient des exemplaires de la publication.
Immédiatement après les homicides, le directeur du journal et deux reporters ont reçu des menaces les avertissant qu’ils allaient subir le même sort.
Les nombreuses agressions contre des journalistes renforçaient l’autocensure et portaient atteinte à la liberté d’expression.
Dépénalisée au niveau fédéral en avril, la diffamation restait une infraction pénale dans la législation de la plupart des États.


Discrimination – groupes marginalisés

Bien que le gouvernement se soit engagé à accroître les dépenses relatives aux programmes sociaux, de nombreux groupes marginalisés n’avaient toujours qu’un accès limité aux services de base, ce qui exacerbait les conflits, les inégalités et la discrimination, en particulier dans les communautés indigènes. Les populations concernées par les projets de développement ou d’investissement n’étaient pas véritablement informées ni consultées, et n’avaient pas vraiment la possibilité de participer à l’élaboration des projets, ce qui accroissait les tensions et la perte d’autonomie.
 ?Les communautés opposées à la construction du barrage hydroélectrique de La Parota (État de Guerrero) ont obtenu gain de cause dans plusieurs procédures préliminaires, au motif que leur approbation n’avait pas été obtenue légalement. À la fin de l’année, le projet restait en suspens, dans l’attente du règlement de plusieurs actions en justice.

Migrants
De nouveaux cas de violation des droits fondamentaux des migrants clandestins – ils étaient plusieurs milliers à franchir les frontières sud et nord du pays chaque année – ont été signalés. Les personnes qui fournissaient une aide humanitaire aux migrants traversant le Mexique risquaient d’être inculpées de traite d’êtres humains.
Le gouvernement a proposé une nouvelle réglementation applicable aux centres de détention pour migrants. Le projet, qui restreindrait l’accès des organisations de la société civile et renforcerait la répression contre les étrangers, était en attente de l’approbation des autorités à la fin de l’année.

Visites d’Amnesty International

La secrétaire générale d’Amnesty International s’est rendue à Oaxaca, à Mexico et dans l’État de Guerrero en août ; elle a rencontré de hauts responsables des pouvoirs publics et assisté à Cocoyoc (État de Morelos) au Conseil international d’Amnesty International, qui se tient tous les deux ans.

Autres documents d’Amnesty International

  • Mexique. Des lois sans justice : les droits humains bafoués en toute impunité dans le domaine de la sécurité publique et de la justice pénale (Résumé) (AMR 41/002/2007).
  • Mexique. Des lois sans justice. Cas d’appel (AMR 41/015/2007).
  • Mexique. Barrage de La Parota : les droits humains mis à mal (AMR 41/029/2007).
  • Mexique. Oaxaca – une exigence de justice (AMR 41/031/2007).
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