Kenya

Le gouvernement n’a pas adopté de plan d’action pour traduire en justice les auteurs des atteintes aux droits humains commises lors des violences postélectorales qui se sont poursuivies au début de l’année 2008, ni pour garantir des réparations aux victimes. Cette année encore, des agents des forces de sécurité ont torturé et tué des suspects en toute impunité. Les violences contre les femmes, les jeunes filles et les fillettes demeuraient très répandues.

CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Mwai Kibaki
PEINE DE MORT : abolie en pratique
POPULATION : 38,6 millions
ESPÉRANCE DE VIE  : 52,1 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 111 / 95 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES  : 73,6 %

Contexte

Les violences survenues au lendemain des élections se sont apaisées à la suite d’une médiation politique soutenue par les Nations unies et l’Union africaine qui a permis la signature, en février, d’un accord de partage du pouvoir entre les principaux partis – le Parti de l’unité nationale (PNU) du président Kibaki et le Mouvement démocratique orange (ODM) de Raila Odinga. Ceux-ci ont également signé un accord visant à atteindre « une paix, une stabilité et une justice durables au Kenya par le respect de la légalité et des droits humains ». Aux termes d’autres accords, les parties se sont engagées à procéder à des réformes à court et à long terme sur le plan constitutionnel, agraire, juridique et électoral.
Le pays était toujours en proie au chômage, à la criminalité et à la pauvreté ; la majorité des Kenyans vivaient en dessous du seuil de pauvreté et des millions d’entre eux étaient exposés à de fréquents épisodes de sécheresse. Les établissements de santé publique ne bénéficiaient pas de financements ni d’équipements suffisants et étaient mal tenus.

Insécurité – violences postélectorales

Plus d’un millier de personnes ont trouvé la mort lors des violences interethniques à caractère politique et de l’intervention policière qui ont suivi l’annonce des résultats – contestés – des élections présidentielle et législatives de décembre 2007. On estimait que plus de 300 000 personnes avaient dû quitter leur foyer. Quelque 12 000 se sont réfugiées en Ouganda, de l’autre côté de la frontière.
Des milliers de personnes ont été grièvement blessées. Des violences à caractère sexuel contre des femmes et des jeunes filles, des incendies d’habitations et la pratique généralisée de la réinstallation forcée figuraient parmi les autres atteintes aux droits humains perpétrées lors de ces événements.
À la suite d’une médiation politique, une commission d’enquête sur les violences postélectorales a été mise sur pied, avec pour double mission d’enquêter sur les faits et sur le comportement des services de sécurité de l’État et de formuler des recommandations. En octobre, la commission a remis son rapport au gouvernement. Ses recommandations concernaient à la fois la responsabilité pénale individuelle des auteurs présumés de violences, la réforme de la police et l’intégration dans le droit national du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que certaines réformes constitutionnelles. Dans sa recommandation principale, l’organe demandait au gouvernement de mettre en place un tribunal spécial chargé d’enquêter sur les violences et de juger leurs auteurs présumés ou, en cas de non-création du tribunal, de renvoyer les affaires devant la CPI à des fins d’enquête et éventuellement de mise en accusation pour des crimes contre l’humanité commis lors des violences.
En novembre, le gouvernement a fait part de son soutien à la mise en application du rapport et il a formé en son sein un comité chapeauté par le président de la République et le Premier ministre et chargé de recommander des mesures. En décembre, il a annoncé que le comité élaborerait un avant-projet de loi portant création d’un tribunal spécial chargé d’enquêter sur les violences postélectorales et de juger leurs auteurs présumés. En outre, le Parlement a adopté la Loi de 2008 relative aux crimes internationaux, visant à intégrer le Statut de Rome de la CPI dans le droit national. Toutefois, à la fin de l’année, le gouvernement n’avait toujours pas annoncé de plan global d’action pour l’application des recommandations formulées dans le rapport, ni pour garantir que les victimes d’atteintes aux droits humains obtiennent réparation.

Personnes déplacées à l’intérieur du pays

En mai, le gouvernement a lancé l’opération Rudi Nyumbani (Retour à la maison), un programme d’assistance mis en place pour aider les personnes déplacées par les violences, dont le nombre s’élevait à plus de 300 000, à regagner leur foyer. Bien que les autorités aient régulièrement déclaré que ce programme fonctionnait bien, un rapport de recherches publié fin octobre par la Commission kenyane des droits humains, un organisme non gouvernemental, concluait que la plupart des personnes déplacées n’étaient pas rentrées chez elles. Elles vivaient toujours dans des tentes installées dans les centaines de camps de transit pour personnes déplacées qui sont apparus lorsque les principaux camps de déplacés ont fermé, après le lancement du programme.
Des organisations de la société civile ont également recueilli des informations sur les plaintes déposées par des personnes déplacées qui reprochaient au gouvernement de ne pas les avoir consultées au moment de la définition du programme. Dans certains endroits, on dénombrait de nombreuses plaintes pour retour forcé – parfois avec recours à la force par les services de sécurité de l’État. Un grand nombre de personnes déploraient de ne pouvoir choisir librement entre le retour, la réinstallation ou l’intégration sur le lieu de déplacement, dans la mesure où toutes ces options n’étaient pas clairement mises à leur disposition. Nombre d’entre elles ont en particulier indiqué que les régions où elles vivaient initialement demeuraient peu sûres. Certaines dénonçaient aussi l’insuffisance de l’aide humanitaire et la faiblesse des sommes d’argent qui leur étaient remises pour les aider à rentrer chez elles.
Des milliers de personnes demeuraient déplacées dans le district du mont Elgon, à proximité de la frontière entre le Kenya et l’Ouganda, à la suite d’affrontements provoqués par des litiges fonciers.
Fin 2008, il n’existait ni cadre juridique pour les personnes déplacées ni stratégie nationale pour faire face à la question déjà ancienne des déplacements forcés au Kenya. Des recommandations avaient pourtant été émises dans ce sens par une mission d’enquête des Nations unies et par la commission d’enquête sur les violences postélectorales.

Commission vérité, justice et réconciliation

Conformément à l’accord de médiation politique signé en mars, le Parlement a adopté en octobre une loi portant création d’une Commission vérité, justice et réconciliation ayant pour mandat d’enquêter sur les atteintes aux droits humains commises par l’État, par des groupes ou par des particuliers entre le 12 décembre 1963 et le 28 février 2008.
Certaines dispositions de cette loi n’étaient pas conformes au droit international et aux normes internationales en matière de meilleures pratiques. Elles autorisaient en particulier la Commission à recommander la grâce pour certains crimes internationaux tels que la torture, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, et érigeaient des obstacles empêchant de poursuivre en justice les auteurs de crimes relevant du droit international. La loi ne prévoyait pas de programme global de protection des victimes et des témoins et ne garantissait pas une gamme de modalités de réparation pour les personnes ayant subi des atteintes à leurs droits fondamentaux.
La Commission vérité, justice et réconciliation n’avait pas encore été constituée à la fin de l’année.

Impunité

Cette année encore, des allégations ont fait état de violations des droits humains commises par des responsables des forces de sécurité, notamment des actes de torture et des exécutions illégales.
En mars, après s’être vu reprocher durant de nombreux mois son inertie, le gouvernement a lancé une opération conjointe police-armée appelée opération Okoa Maisha (Sauvez la vie) dans le district du mont Elgon, dans l’ouest du Kenya. Elle était dirigée contre des membres de la Force de défense des terres des Sabaots – une milice armée soupçonnée d’homicides illégaux, de déplacements forcés et d’autres exactions commises dans la région. D’après les médias locaux et des organisations locales et internationales, l’armée et la police se seraient rendues coupables au cours de cette opération de violations des droits humains, notamment de plusieurs centaines d’arrestations arbitraires et illégales de civils ainsi que de détentions arbitraires et d’actes de torture dans des camps militaires et lors de gardes à vue. Selon certaines informations, des dizaines d’homicides illégaux ont été commis par des militaires et des disparitions ont été signalées par des proches des victimes. Le gouvernement a démenti ces informations, sans garantir qu’elles feraient l’objet d’une enquête indépendante.
En novembre, des dizaines d’habitants du district de Mandera, dans le nord du Kenya, ont fait état de viols, d’actes de torture, de passages à tabac et du recours à une force excessive dont se seraient rendues coupables des agents des forces de sécurité participant à une opération menée conjointement par l’armée et la police afin d’enrayer l’entrée d’armes illégales en provenance de la Corne de l’Afrique. Le gouvernement a réfuté ces allégations mais n’avait pas ouvert d’enquête indépendante et impartiale à la fin de l’année.
Les autorités n’ont pas enquêté sur les actes de torture et les exécutions illégales que la police est accusée d’avoir commis en 2007, dont des centaines d’homicides perpétrés dans le cadre d’opérations menées contre le groupe interdit Mungiki.

Violences contre les femmes et les filles

Les violences contre les femmes, les jeunes filles et les fillettes demeuraient très répandues. Au cours des épisodes de violence postélectorale et pendant le conflit dans le district du mont Elgon, des femmes et des jeunes filles ont été victimes de viols et d’autres sévices sexuels. Les auteurs présumés de violences liées au genre, parmi lesquels figuraient des policiers et d’autres responsables de l’application des lois, n’étaient presque jamais poursuivis en justice.

Droit à la santé

Les établissements de santé publique étaient toujours mal tenus et leurs moyens financiers et matériels insuffisants, ce qui entraînait un taux élevé de mortalité maternelle ainsi que d’autres problèmes sanitaires dans l’ensemble du pays. Les conséquences du manque de ressources du secteur de la santé se faisaient particulièrement sentir dans les maternités publiques. La plupart des femmes à faibles revenus qui avaient recours à ces maternités recevaient des soins de qualité médiocre.

Expulsions forcées

À la suite de sa promesse faite en octobre 2007 d’indemniser et de reloger les milliers de personnes qui avaient été expulsées du complexe forestier de Mau en 2006, le gouvernement a annoncé en juillet la formation d’un groupe de travail sur la question. Celui-ci devait se pencher sur la délimitation du complexe et l’identification des résidents détenteurs de titres de propriété ainsi que sur l’indemnisation et la réinstallation de ces derniers. Le groupe de travail n’avait pas achevé sa mission à la fin de l’année.
On a appris en novembre que des centaines de familles vivant dans des installations précaires à proximité du fleuve Nairobi risquaient d’être expulsées par les pouvoirs publics.
À la fin de l’année, le gouvernement n’avait pas tenu son engagement, pris en 2006, de mettre en place sur le plan national des directives en matière d’expulsion. Les autorités n’avaient pas non plus instauré de moratoire sur les expulsions forcées dans l’attente de l’application de ces dispositions.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Le gouvernement n’est pas revenu sur sa décision, adoptée en janvier 2007, de fermer sa frontière avec la Somalie. Toutefois, en raison de la persistance des combats et d’une forte intensification du conflit en Somalie, des personnes en quête de protection ont continué à traverser la frontière kenyane. De janvier à septembre, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a ainsi enregistré plus de 38 000 nouveaux arrivants. Pour le seul mois d’octobre, plus de 8 000 personnes auraient franchi la frontière. Des organisations humanitaires ont signalé que les conditions de vie dans les camps accueillant les nouveaux réfugiés ne cessaient de se dégrader et ont demandé une augmentation de l’aide humanitaire au gouvernement kenyan et à la communauté internationale.
Des personnes cherchant refuge au Kenya ont été victimes de harcèlement à la frontière de la part de membres des forces de sécurité kenyanes ; nombre d’entre elles ont été arrêtées, frappées et renvoyées de force en Somalie. Certaines ont été contraintes de verser des pots-de-vin à ces agents (en partie en raison de la décision officielle de maintenir la fermeture de la frontière) afin de pouvoir entrer au Kenya.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Quelques personnes ont été remises en liberté parmi la quarantaine de victimes de transferts illégaux du Kenya vers la Somalie et l’Éthiopie qui, à la fin de 2007, étaient maintenues au secret dans des lieux de détention clandestins en Éthiopie. Au nombre des personnes libérées figuraient au moins huit Kenyans, alors même que le gouvernement de Nairobi avait constamment nié que certains de ses citoyens aient pu faire l’objet d’un transfert illicite.

  • Mohamed Abdulmalik, de nationalité kenyane, a été arrêté par la police kenyane en février 2007, remis de manière illégale à l’armée américaine puis transféré sur la base de Guantánamo Bay, à Cuba, où on croyait savoir qu’il demeurait détenu à la fin de l’année 2008. Il n’a été inculpé d’aucune infraction et n’a pas été autorisé à exercer le droit de contester la légalité de sa détention, qui est le sien au regard du droit international.
    Fin 2008, le gouvernement n’avait donné aucune suite aux demandes d’enquête exhaustive et indépendante sur l’arrestation, la détention et le transfert de ces personnes, et sur le traitement qui leur a été réservé au cours de leur détention.

Liberté d’expression

En février, les autorités ont officiellement levé l’interdiction sur la diffusion d’informations en direct qu’elles avaient imposée en décembre 2007, lorsque les violences ont éclaté au lendemain des élections.
De janvier à mars, un certain nombre de défenseurs des droits humains et de journalistes ont été menacés, notamment de mort, par des groupes armés qui les ont accusés d’avoir « trahi la cause tribale » parce qu’ils avaient commenté les élections et dénoncé certaines des violences postélectorales.
En mars, des militaires ayant participé à l’opération menée conjointement par l’armée et la police dans le district du mont Elgon ont arrêté de manière arbitraire, harcelé et maltraité des journalistes qui enquêtaient sur les événements.
En décembre, le Parlement a adopté le projet de loi de 2008 portant révision de la Loi relative à la communication. Ce texte pourrait entraîner des restrictions injustifiées du droit à la liberté d’expression. Octroyant de vastes pouvoirs au ministre chargé de la sécurité intérieure, il l’habilite à interdire aux médias la couverture de certains sujets et à procéder à la saisie de matériel de diffusion pour des raisons de sécurité nationale. En outre, il donne à une Commission des communications contrôlée par le gouvernement le pouvoir d’accorder les licences d’exploitation, de réglementer les services de radiotélédiffusion et de décider de la nature et de la teneur des programmes. À la fin de l’année, la loi n’avait pas encore été promulguée par le président.

  • En septembre, Andrew Mwangura, ancien journaliste et membre du Programme d’assistance aux marins du Kenya, a été arrêté par la police. Il a été inculpé de propagation de fausses informations pour avoir contredit, dans des interviews à la presse, la version officielle des autorités quant à la destination d’un cargo ukrainien capturé par des pirates en septembre, au large des côtes somaliennes. Son procès se poursuivait à la fin de l’année.

Peine de mort

De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées ; aucune exécution n’a cependant été signalée. Aucune mesure n’a été prise en vue de l’abolition de la peine de mort.

Visites et documents d’Amnesty International

Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Kenya en février, mars, septembre et décembre.

  • Kenya : Amnesty International’s Recommendations to the African Union Peace and Security Council (AFR 32/007/2008).
  • Kenya : Concerns about the Truth, Justice and Reconciliation Commission Bill (AFR 32/009/2008).
  • Kenya. Les transferts illégaux de « terroristes présumés » doivent faire l’objet d’une enquête (AFR 32/010/2008).
  • Amnesty International’s Recommendations to the African Union Assembly (IOR 63/001/2008).
  • Meurtres politiques sur fond de contestation des résultats électoraux au Kenya (4 janvier 2008).
  • Kenya. Amnesty International condamne le recours excessif à la force par la police (18 janvier 2008).
  • Kenya. Le gouvernement doit protéger la population contre les attaques à caractère politique et interethnique (25 janvier 2008).
  • Kenya. Amnesty International appelle le gouvernement et la Commission africaine à intervenir (15 février 2008).
  • Kenya. Le nouveau gouvernement doit faire en sorte que les victimes de la violence post-électorale obtiennent justice (18 avril 2008).
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